« La grève est leur arme
naturelle, celle qu’ils se sont forgés eux-mêmes. Neuf fois sur dix, les
patrons redoutent la grève – même si, bien sûr, il peut arriver que certains s’en
réjouissent, mais c’est plut^to rare. Les patrons savent qu’ils peuvent gagner
contre les grévistes, mais ils ont terriblement peur que leur production s’interrompe.
Par contre, ils ne craignent nullement un vote qui exprimerait « la
conscience de classe » des électeurs ; à l’atelier, vous pouvez
discuter du socialisme, ou de n’importe quel autre programme ; mais le
jour où vous commencez à parler de syndicalisme, attendez-vous à perdre votre
travail ou au moins à ce que l’on vous menace et que l’on vous ordonne de vous
taire. Pourquoi ? Le patron se moque de savoir que l’action politique n’est
qu’une impasse où s’égare l’ouvrier, et que le socialisme politique est en
train de devenir un mouvement petit-bourgeois. Il est persuadé que le
socialisme est une très mauvaise chose – mais il sait aussi que celui-ci ne s’instaurera
pas demain. Par contre, si tous ses ouvriers se syndiquent, il sera
immédiatement menacé. Son personnel aura l’esprit rebelle, il devra dépenser de
l’argent pour améliorer les conditions de travail, il sera obligé de garder des
gens qu’il n’aime pas et, en cas de grève, ses machines ou ses locaux seront
peut-être endommagés. »
« Pour les patrons, une
grève sera synonyme de projecteurs, de fil de fer barbelé, de palissades, de
locaux de détention, de policiers et d’agents provocateurs, de kidnappings
violents et d’expulsions. Ils inventeront tous les moyens possibles pour se
protéger directement, sans compter l’ultime recours à la police, aux milices, aux
brigades spéciales et aux troupes fédérales.
Tout le monde sait cela et
sourit lorsque les responsables syndicaux protestent, affirmant que leurs
organisations sont pacifiques et respectent les lois. Tout le monde est conscient
qu’ils mentent. Les travailleurs savent que les grévistes utilisent la
violence, à la fois ouvertement et clandestinement, et qu’ils n’ont pas d’autres
moyens, s’ils ne veulent pas capituler immédiatement. Et la population ne
confond pas les grévistes qui sont obligés de recourir à la violence avec les
crapules destructrices qui les provoquent délibérément. Généralement, les gens
comprennent que les grévistes agissent ainsi parce qu’ils sont poussés par la
dure logique d’une situation qu’ils n’ont pas créé, mais qui les force à
attaquer pour survivre, sinon ils seront obligés de tomber tout droit dans la
misère jusqu’à ce que la mort les frappe, à l’hospice, dans les rues dans
grandes villes ou sur les berges boueuses d’une rivière. »
« Les partisans de l’action
politique nous racontent que seule l’action électorale du parti de la classe
ouvrière pourra atteindre un tel résultat ; une fois élus, ils entreront en
possession des sources de la vie et des moyens de production ; ceux qui
aujourd’hui possèdent les forêts, les mines, les terres, les canaux, les
usines, les entreprises et qui commandent aussi au pouvoir militaire à leur
botte, en bref les exploiteurs, abdiqueront demain leur pouvoir sur le peuple
dès le lendemain des élections qu’ils auront perdues.
Et en attendant ce jour béni ?
En attendant, soyez
pacifiques, travaillez bien, obéissez aux lois, faites preuve de patience et
menez une existence frugale ( comme Madero le conseilla aux paysans mexicains
après les avoir vendus à Wall Street).
Si certains d’entre vous sont
privés de leurs droits civiques, ne vous révoltez même pas contre cette mesure,
cela risquerait de « faire reculer le parti ».
« Presque toutes les lois
originellement conçues pour le bénéfice des ouvriers sont devenues une arme
entre les mains de leurs ennemis, ou bien sont restées lettres mortes, sauf
lorsque le prolétariat et ces organisations ont imposé directement leur
application. En fin de compte, c’est toujours l’action directe qui a le rôle
moteur. Prenons par exemple la loi antitrust censée bénéficier au peuple en
général et à la classe ouvrière en particulier. Il y a environ 2 semaines, 250
dirigeants syndicaux ont été cités en justice. La compagnie des chemins de fer
Illinois central les accusait en effet d’avoir formé un trust en déclenchant
une grève !
Mais la foi aveugle en l’action
indirecte, en l’action politique, a des conséquences bien plus graves :
elle détruit tout sens de l’initiative, étouffe l’esprit de révolte individuelle,
apprend aux gens à se reposer sur quelqu’un d’autre afin qu’il fasse pour eux
ce qu’ils devraient faire eux-mêmes ; et enfin elle fait passer pour
naturelle une idée absurde : il faudrait encourager la passivité des
masses jusqu’au jour où le parti ouvrier gagnera les élections ; alors,
par la seule magie d’un vote majoritaire, cette passivité se transformera tout
à coup en énergie. En d’autres termes, on veut nous faire croire que des gens
qui ont perdu l’habitude de lutter pour eux-mêmes en tant qu’individus, qui ont
accepté toutes les injustices en attendant que leur parti acquière la majorité ;
que ces individus vont tout à coup se métamorphoser en véritables « bombes
humaines », rien qu’en entassant leurs bulletins dans les urnes ! »
« Le pouvoir des ouvriers
ne réside pas dans la force de leur vote, mais dans leur capacité à paralyser
la production. La majorité des électeurs ne sont pas des ouvriers. Ceux-ci
travaillent à un endroit aujourd’hui, à un autre demain, ce qui empêche un
grand nombre d’entre eux de voter ; un grand pourcentage des ouvriers dans
ce pays sont des étrangers qui n’ont pas le droit de voter. »
« En attendant, tant que
la classe ouvrière internationale ne se réveillera pas, la guerre sociale se
poursuivra, malgré toutes les déclarations hystériques de tous ces individus
bien intentionnés qui ne comprennent pas que les nécessités de la vie puissent
s’exprimer ; malgré la peur de tous ces dirigeants timorés ; malgré
toutes les revanches que prendront les réactionnaires ; malgré tous les
bénéfices matériels que les politiciens retirent d’une telle situation. Cette
guerre de classe se poursuivra parce que la vie crie son besoin d’exister ;
qu’elle étouffe dans le carcan de la propriété, et qu’elle ne se soumet pas.
Que la vie ne se soumettra
pas.
Cette lutte durera tant que l’humanité
ne se libérera pas elle-même pour chanter l’hymne à l’homme de Swinburne :
« Gloire
à l’homme dans ses plus beaux exploits
Car
il est le maitre de toutes choses. » »
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