(du latin : luxus)
Le luxe est caractérisé par la
surabondance et la somptuosité dans les biens. Il représente l'extrême opposé
du dénuement, qui implique la privation totale. On emploie fréquemment le mot
luxe comme synonyme de superflu, qui représente ce qui est au-delà du
nécessaire. Cependant, entre les deux termes, existe une légère différence de
signification, qui mérite d'être signalée : le superflu n'est pas forcément
coûteux, le luxe n'est pas forcément inutile. Un bibelot encombrant, qui n'est
même pas beau, et dont on ne se servira jamais dans un intérieur, parce qu'il
déparerait la pièce est du superflu, même s'il fut acheté à bas prix. Mais un
manteau de coupe impeccable et d'étoffe précieuse, pour être un article de
luxe, n'en demeure pas moins fort utile lorsqu'il s'agit de se préserver du
froid. La limite entre ce que l'on désigne couramment par ces mots : « l'utile
» et « le superflu » n'est pas très aisée à établir de manière satisfaisante
pour tout le monde. Elle varie selon les individus, leurs habitudes, leur
éducation. Ordinairement chacun décrète qu'est utile ce qui satisfait ses
besoins, et superflu ce qui ne lui convient point, sans tenir compte de
l'extrême variété des goûts chez ses contemporains. J'ai vu, une fois, un
ouvrier morigéner sa fille parce qu'elle s'était permis de coudre après sa
pauvre robe quelques menus ornements. Mais lui ne jugeait pas superflu de
bourrer une pipe après les repas. Pour nous-mêmes il arrive que le point de vue
change avec les années. Certaines satisfactions, dont nous ne faisons pas état,
parce que nous n'avions guère eu l'occasion de les apprécier, deviennent par la
suite, avec l'accoutumance, des éléments non négligeables de notre félicité,
alors que d'autres, jugées plus grossières, perdent notre estime. Le seul moyen
de nous mettre d'accord serait de reconnaître cette vérité : est, sinon du
superflu, du moins un luxe, tout ce qui n'est pas indispensable à la conservation
de notre existence. Nos ancêtres les plus éloignés, qui logeaient dans des
cavernes, buvaient l'eau des sources, se nourrissaient d'aliments crus, et
ignoraient la vêture, ne possédaient certainement aucun luxe. Celui-ci a été
une conséquence de la recherche du beau et de l'agréable. Il est né lorsque les
femmes ont commencé à parer de fleurs et de coquilles leurs chevelure, lorsque
les hommes ont pris souci d'agrémenter le gîte familial d'images gravées dans
la pierre ; lorsque l'on a connu la douceur du vêtement, le réconfort du feu,
la saveur de quelques apprêts culinaires. Grâce au progrès scientifique et
industriel, tout ceci s'est considérablement développé au cours des âges, et
pas seulement pour le profit de quelques privilégiés, mais aussi pour
l'ensemble de la population, quoique avec des inégalités choquantes, et de
scandaleuses injustices dans la répartition. Non seulement pour la classe riche
et la classe moyenne, mais encore pour quantité de travailleurs manuels et
d'ouvrières aux ressources modestes les parures, les spectacles, l'esthétique
du vêtement et un certain confort dans l'ameublement, représentent des
avantages acquis dont ils ne pourraient plus aisément se passer, parce qu'ils
contribuent, dans une notable proportion, à rendre la vie digne d'être vécue.
Le goût du luxe - tout au moins d'un luxe relatif et non malsain - est trop
ancré dans les mœurs, et depuis trop longtemps, pour que l'on puisse songer à
le faire disparaître. A part un très petit nombre d'ascètes naturistes - dont
il n'y a d'ailleurs pas lieu de se moquer, et qui ne dédaignent pas totalement
les bienfaits de la civilisation - personne n'éprouve le désir de revenir à la
vie primitive. Rien n'est plus de nature à éloigner les foules modernes d'un
idéal collectiviste ou communiste que cette sorte de monasticisme laïque dont
ont fait preuve tant d'auteurs, influencés sans doute par les enseignements religieux
ne leur enfance. Présenter, comme tableau du futur, l'existence d'une famille
nombreuse de travailleurs dans ce qu'elle a de plus parcimonieux ; jeter
l'anathème sur toute fantaisie, presque toute distraction n'ayant pas un but
sociologique ; attendre des femmes qu'elles renoncent aux jolies toilettes et
aux bijoux, et des hommes qu'ils jettent à terre leurs dernières cigarettes,
c'est se condamner à prêcher indéfiniment l'absolu de sa doctrine devant
l'absolue indifférence du grand nombre. Le peuple n'aspire aucunement, en plein
XXème siècle, à vivre dans des phalanstères prolétariens, à réminiscences de
casernes ou de couvents, une existence terne de petit fonctionnaire à retraite
assurée. Ce qui le séduit comme perspective, c'est l'aisance moyenne actuelle,
dans un home convenable, en échange d'une tâche modérée ; et les superbes
monuments, les vastes avenues, les grandioses réjouissances publiques, ne lui
déplaisent point. Avec une organisation plus rationnelle que la nôtre, il
pourrait, dans un proche avenir, bénéficier de tout ceci, et il n'y aurait pas
à lui en faire grief. Le luxe n'est à proscrire que lorsqu'il comporte
d'avilissantes débauches. Il n'est blâmable que lorsqu'il s'alimente de la
misère des faibles. Il n'y a pas lieu de rééditer à son égard les hypocrites
imprécations de l'Eglise, mais d'en généraliser, dans toute la mesure du
possible, les agréments, en même temps que l'on en modifiera, dans un sens plus
intellectuel et plus social, le caractère et l'inspiration. –
Jean MARESTAN
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