[Ecrite fin 1920, publiée dans Die Aktion du 19 mars 1921 / Trad. fr. par Serge Bricianer dans Pannekoek et les conseils ouvriers]
Si je vous comprends bien,
vous blâmez le [IIe] Congrès de Moscou d’avoir exclu une partie des
révolutionnaires [le K.A.P. notamment] et commis, ce faisant, la même erreur,
manifesté la même intolérance bornée que les Congrès de la Ie (La Haye, 1872)
et de la IIe Internationales (Londres, 1892). Et vous proposez à tous les
groupes ou partis qui se trouvent hors de l’Internationale de Moscou de s’unir
en une fédération libre, laissant à chacun de ses membres toute liberté
d’agitation et d’action. Je vais exposer maintenant les raisons pour lesquelles
j’y suis opposé.
Nous tenons le Congrès pour
coupable de s’être montré, non pas intolérant, mais beaucoup trop tolérant. Ce
n’est pas notre exclusion que nous reprochons aux dirigeants de la IIIe
Internationale : nous les blâmons de rechercher l’adhésion du plus grand nombre
possible d’opportunistes. Il ne s’agit pas de nous, dans notre critique, mais
de la tactique du communisme; nous ne critiquons pas le fait très secondaire de
nous voir écartés de la communauté des communistes, mais bien ce fait capital
que la IIIe Internationale suit en Europe occidentale une tactique fausse et
néfaste au prolétariat. L’exclusion n’est rien d’autre que la forme désagréable
que revêt la séparation nécessaire d’avec ceux qui ne marchent pas, qui veulent
pouvoir manifester librement leur opposition et ne consentent pas à s’en aller
sur la pointe des pieds. Et pourtant la lutte de tendances est nécessaire, qui
permet au prolétariat de trouver sa voie. Il ne servirait de rien que les
esprits imbus d’idées révolutionnaires se sautent au cou et se félicitent
mutuellement île leur excellence; mais il est nécessaire que le prolétariat,
les masses immenses, discernent clairement la voie et le but, cessent d’hésiter
et de flotter au gré des événements pour passer résolument à l’action. Et cela
ne peut être le fruit d’aspirations purement sentimentales à l’unité, mais
d’une théorie de combat claire et cohérente, et qui, au feu de la lutte, sous
la pression de la nécessité, finit par s’imposer, par ne faire plus qu’un avec
les masses.
La Ière Internationale eut
donc raison en 1872 d’exclure les anarchistes ; c’est pourquoi également, et
bien que l’opportunisme montât déjà en ses rangs, la IIe Internationale eut
raison de réitérer cette exclusion. En effet, la théorie de combat qui, seule,
peut conduire le prolétariat à la victoire n’est autre que le marxisme. Seule,
la science marxiste, facteur de bouleversement radical des idées, permet
d’acquérir une connaissance précise des conditions propres à la révolution
prolétarienne. Certes, le marxisme a été défiguré, au cours de ces dernière
années, par ceux qui en ont mésusé afin d’exorciser la révolution : en premier
lieu, les conservateurs de la tradition marxiste du type U.S.P.D., la Rote
Fahne les suivant ensuite dans cette voie. Il faut donc proclamer, sans la
moindre ambiguïté, que l’agitation et la tactique du K.A.P.D., qui n’invoque
pas Marx à tout bout de champ, se rattachent à un marxisme plus authentique et
plus pratique, où la flamme révolutionnaire de Marx est autrement plus présente
qu’elle ne l’est chez les porte-parole de l’U.S.P.D. et du K.P.D., qui ont
toujours son nom à la bouche.
En raison toutefois de ce
mauvais usage, qui amène beaucoup de jeunes révolutionnaires à s’en détourner
comme s’il s’agissait réellement d’une théorie de l’évolution mécanique et de
la certitude fataliste, l’accent doit être mis inlassablement sur l’importance
du marxisme en ce qui concerne la révolution. Ceci ne veut nullement dire que
les érudits les mieux avertis de la lettre du marxisme constituent les
meilleurs militants – l’expérience a au contraire démontré mille fois que le
savoir théorique et l’enthousiasme pour l’action étaient liés à des
dispositions d’esprit s’excluant souvent réciproquement, et que nombreux sont
ceux qui arrivent à l’action révolutionnaire juste, sans théorie, grâce à une
pratique intuitive nous entendons par là que la conception
matérialiste-révolutionnaire du monde et de la société, qui fut celle de Marx,
doit pénétrer dans les masses pour les rendre lucides et sûre d’elles-mêmes.
Vous voulez créer une
fédération de tous les groupes révolutionnaires exclus par Moscou. Nous n’en
voulons pas parce qu’une fédération de cette espèce se transformerait
d’elle-même en adversaire déclaré de Moscou. Bien que le Congrès ait expulsé
notre tendance, nous nous sentons solidaires des bolcheviks russe. Nous leur
reprochons de ne pas connaître suffisamment la situation en Europe de l’Ouest,
les conditions de lutte dans les pays clés, capitalistes depuis des siècles, ou
de ne pas assez en tenir compte, et de s’être alliés aux grands partis
opportunistes dans l’espoir d’arriver plus vite ainsi à la révolution mondiale.
Et nous leur disons : les opportunistes n’ont rien à faire dans vos rangs,
c’est à nous d’y prendre place. Nous leur reprochons de sous-estimer les
différences énormes existant entre la Russie et l’Europe de l’Ouest, entre leur
parti bolchevik et les partis ouest-européens, et de commettre ainsi l’erreur
qui consiste à renforcer la puissance des chefs dont la mise au rancart est une
condition première de la révolution en Occident. Toutefois, ce serait faire
preuve de doctrinarisme borné que de se laisser aller à la même erreur et
d’appliquer aux conditions russes des considérations qui valent pour l’Europe
de l’Ouest, de projeter notre analyse du rôle des chefs ici sur ce qu’il est
là-bas, le rôle des dirigeants de la révolution russe étant tout différent
parce qu’il s’exerce dans des conditions toutes différentes. Nous proclamons
donc notre solidarité non seulement avec le prolétariat russe, mais aussi avec
ses chefs bolcheviks, et cela quand bien même nous critiquons avec la dernière
énergie leur intervention au sein du communisme international. C’est évidemment
en partant de cette même position — solidarité fraternelle totale avec les
communistes russes associée au refus tout aussi catégorique de la tactique
suivie par eux en Europe de l’Ouest – que le K.A.P.D. a proposé à la IIIe
Internationale d’entretenir des relations avec elle en tant que parti «
sympathisant ».
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