On ne conteste plus,
aujourd'hui, les bienfaits dont nous sommes redevables à la machine mais on
commet souvent une erreur sur la nature des services qu'elle nous rend. On
admet volontiers, sans examen suffisant que la machine fournit du travail,
produit de l'énergie, alors qu'en réalité elle en consomme. Paul Lafargue
exaltait, jadis, ces esclaves d'acier qui, un jour, affranchiront l'homme de la
plus grande partie de son travail. Un écrivain socialiste contemporain a
caressé le même espoir illusoire. Or, cette erreur n'est pas sans conséquence.
L'homme produit plus qu'il ne consomme, son labeur donne naissance à une
plus-value. Il nous paraît équitable qu'il bénéficie intégralement du produit
de son travail, soit directement, soit en échangeant des services contre des
services équivalents, des produits ayant exigé l'apport d'une certaine énergie
contre d'autres ayant requis un apport égal. Si la machine, collaborant à
l'œuvre des hommes, produit, elle aussi, plus qu'elle ne consomme, celui qui en
a fait la fourniture ne va-t-il pas, au jour du partage des fruits, avoir le
droit de réclamer en sus de ses frais de construction, une part de la
plus-value due à son matériel. Ainsi serait justifié l'intérêt dû au capital,
ou plus exactement au capitaliste détenteur des moyens de production. Quand la
machine est réduite à sa plus simple expression, outil ou engin mu par le bras
de l'ouvrier, chacun voit bien qu'elle ne fournit par elle-même aucun travail,
qu'elle reste inerte tant qu'une volonté ne lui a pas infusé sa vigueur. Elle
donne au travailleur la possibilité d'exécuter des besognes dont sans elle il
n'aurait pu venir à bout, mais elle lui emprunte son énergie et, même, ne lui
rend pas tout ce qu'elle a reçu. Uri homme qui élève, à la hauteur d'un mètre
cinquante pierres de 10 kilos dépense 500 kilogrammètres ; avec un palan, il
soulèvera à la même hauteur un fardeau de 500 kilos et il aura fourni le même
nombre de kilogrammètres et même un léger supplément pour vaincre les
frottements et la raideur des cordes. Mais il n'y a pas que des machines-outils
; il y a celles qui sont mues par la vapeur, l'eau, le vent. Eh bien !
celles-là aussi sont consommatrices et non productrices d'énergie. Le bénéfice
qu'elles nous apportent vient de ce qu'elles nous permettent d'utiliser des
forces naturelles, celles qui proviennent des combustibles tirés des entrailles
de la terre où des causes fortuites les avaient mises à l'abri de la
dégradation inévitable des matières organiques, ou des agents actuels, courants
aériens ou chute de l'eau, qui revient à son niveau après un cycle souvent
décrit. Considérons, par exemple, le charbon. Si d'un puits de 500 mètres nous
avions extrait une pierre de 1 kilo, nous aurions, en l'y laissant retomber
récupéré les 500 kilogrammètres que nous a coûté son élévation. Sa combustion,
au contraire, produira 8.000 calories, soit 8.000 x 425 kilogrammètres soit
3.400.000 kilogrammètres. Déduction faite des frais d'extraction, de transport,
etc., équivalant au plus aux 9 dixièmes du total, il nous testera 340.000
kilogrammètres. Or, la machine à vapeur ordinaire ne nous en rend que 10 à 11 %
soit 34.000. Le profit est important malgré tout, car il correspond à une heure
de travail d'un manœuvre. Des calculs analogues nous renseigneraient sur le
rendement des autres forces naturelles. Mais ces richesses, ce n'est pas le
capitaliste qui en est l'auteur. De quel droit vient-il donc en réclamer la
jouissance ? Ainsi les machines-outils accroissent l'empire de l'homme sur son
milieu, elles étendent son rayon d'action, multiplient les biens dont il
jouira, mais n'ajoutent rien à la somme de travail qu'il met en œuvre, et par
conséquent à leur valeur, si nous faisons du travail la mesure de la valeur.
Les machines motrices consomment plus d'énergie qu'elles n'en restituent, mais
cette énergie est empruntée à la nature et il y a là un enrichissement évident
de l'humanité. Par contre nul n'a de titres à l'appropriation de ce dont la
nature nous a gratifié. Le capitaliste constructeur ou fournisseur de
l'outillage mécanique a droit, comme chacun au remboursement du travail qu'il a
apporté à la masse. Une fois cette compensation perçue, tout prélèvement
périodique sur les résultats d'une activité à laquelle il ne participe pas est
illégitime. Rien ne justifie l'intérêt du Capital.
G. GOUJON.
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