Pourquoi la guerre est-elle possible ? Christian Meriot
Nous sommes entourés de gens
plus ou moins intéressants, mais dans l’ensemble, sauf quelques cyniques ou
téméraires irréfléchis, fort paisibles eu égard au moins à cette paix si
scrupuleusement gardée par les agents du même nom. Or, comment les gens, par
ailleurs fort honorables, peuvent-ils en venir à être des monstres de cruauté
et d’imbécilité et comment sur ce terreau pourri peuvent pousser quelques
vertus éminemment humaines comme la solidarité et la fraternité, fût-ce dans un
sens unique, telles qu’on les voit dans toutes les guerres ?
A la première question, je
répondrai en disant à la suite de Freud qu’il y a en nous des instincts de
violence, que la vie elle-même une violence continuelle, une lutte à mort, si
je puis dire. Vivre s’est s’imposer, progresser, c’est faire disparaitre autour
de soi les gênes naturelles ou sociales. En temps normal, la morale sociale
nous empêche de vivre notre vie au sens immédiat du terme et, dès qu’il y a un
motif officiel d’en découdre, je ne dis pas que les hommes courent tous au
combat le cœur en liesse, mais qu’une fois dans un certain milieu social, les
camarades, le front, l’intoxication psychologique et physiologique, ils
éprouvent inconsciemment un plaisir à expectorer leurs graines de violence
légalement, faute d’avoir su les refouler assez profondément ou d’avoir réussi
à les intégrer dans d’autres déterminismes de même inspiration, mais plus
acceptables socialement ( par exemple le sadique sublimant ses instincts sur un
rôle de boucher ou de chirurgien).
La vie est force et violence.
Les vrais pacifistes le savent bien qui ne sont pas des émasculés ou des
couards. Leur exemple nous invite à voir comment on peut transformer des forces
matérielles de violence et de sadisme en forces culturelles, humaines pour tout
dire de construction. Le problème est donc d’utiliser cette énergie diffuse et
barbare pour réaliser les idéaux les plus relationnels qui nous sont ordonnés
par notre conscience, de la même manière qu’un torrent est utilisé par l’ingénieur
dans un but de confort électrique, par exemple. En ce sens, la non-violence, n’est
pas à mon avis le refus pur et simple de la violence, mais son aménagement en
fonction de critères intérieurs plus élevés.
La deuxième question est liée
à la première. En effet si l’on en croit les rescapés, et je pense qu’on peut
les croire, c’est la fraternité, la solidarité, vertus éminentes s »il en
est qui leur ont permis de supporter et de tenir dans ce cauchemar. Comment se
fait-il que c’est plus facilement dans ces conditions détestables que fleurissent
ces qualités ?
Je crois que l’héroïsme est le
vice caché et sacré de tous. Or la vie courante ne donne pas à la plupart des
hommes cette possibilité : c’est pourquoi les hommes acceptent si
facilement la guerre dans la mesure où elle leur permet, entre autres, de se
dépasser, de s’accomplir. Je ne nie pas que moralement parlant on pourrait
trouver des accomplissements et des dépassements moins stupides et dangereux,
mais il faut bien constater que la vie civile n’en offre pas de conditions faciles,
puisque toute initiative, toute création se heurte aussitôt au mur d’argent, de
pudeur, d’hypocrisie etc de la société. L’homme ne demande qu’à aider autrui et
on ne peut que déplorer que seules, la plupart du temps, les conditions guerrières
lui permettent de retrouver face au danger une certaine communauté dont il est
privé généralement.
Ces remarques pourraient sans
doute aussi expliquer le problème des gangs de jeunes. D’où l’importance d’une réflexion
sur le pouvoir énorme de la société et du milieu qui peut engluer les meilleurs
et les plus justes ( cf. la guerre d’Algérie avec les appelés tortionnaires) et
sur les mérites de cultiver mieux certains individualismes, synonymes de
liberté, source de toutes les vraies valeurs. D’où l’importance aussi pour les
non-violents d’attaquer le mal en son fondement, c’est-à-dire une nature
humaine, telle que l’homme puisse trouver rationnellement des causes valables
pour son héroïsme latent, si l’on admet que l’homme ne s’accomplit que dans le
sacrifice et le dépassement, voies d’accès vers l’autre, vers une communauté
idéale qu’il reste toujours à incarner.
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