vendredi 1 mars 2019

Ne faire que passer, ne faire que rester Partie 3 Par Jérôme Lèbre




Forme-Logement

La meilleure preuve en est donnée par les bénévoles qui, dans le cadre associatif, accueillent chez eux des migrants arrêtés dans un camp informel, donc encore ouvert, telle la jungle de Calais, où les installations précaires situés au bord des villes, quelquefois dans les villes elles-mêmes, au bord des boulevards, sous le métro, etc. Ils ne se confrontent alors pas seulement à la loi qui interdit d'héberger ceux qui n'ont pas de titre de séjour, mais aux apories de l'hospitalité elle-même.
On ne peut accueillir quelqu'un chez soi qu'en lui permettant de franchir un seuil qui en est vraiment un ; dès lors les migrants peuvent se sentir parzadoxalement trop accueillis, en raison d'un statut de victime qui nie leur singularité ou à l'inverse d'un intérêt pour leur parcours qui les oblige à se raconter ; les hébergeurs, eux-mêmes savent qu'ils en font à la fois trop ou pas assez vis-à-vis de ces étrangers à qui ils ont donnéle plein droit d'être chez eux au risque de ne plus être vraiment chez eux, et ne souhaitent pas plus héberger n'importe qui. Il n'y a aucun raisonnement bourgeois dans le fait de reporter ainsi sur le seuil l'existence de la frontière : nous ne parlons pas de forme-maison-bourgeoise mais bien de forme-logement, peise alors dans la même aporie que les lieux frontaliers et la forme-camp. Il faudrait, à chaque fois, que celui qui est accueilli dans un logement occupé ne fasse que passer et ne fasse que rester ; qu'il arrive à être chez soi chez l'autre tandis que l'autre est encore chez soi. Il n'y a pas d'habitation sans cette crise du logement.
Même dans les camps, les occupants n'habitent qu'en transformant les abris en logement, donc en marquant ( ne serait-ce qu'avec une couverture) la frontière du dehors et de l'intime. Ils aménagent leurs intérieurs, les rendent à la fois hospitaliers et privés et se gardent alors le droit d'inviter ou non leurs voisins, ainsi que le personnel humanitaire, les bénévoles, les journalistes, les chercheurs. Il s'avère alors que l'expérience, aussi «  intérieure » qu'elle soit, s'avère toujours l'expérience de l'éthos entendu comme « chez soi » ouvert aux autres. Sans cette aporie il n'y aurait pas ( nulle part) d'hospitalité. L'espace où cette aporie est la plus vivable- la plus habitable-, c'est alors, à la différence de la forme-camp mais aussi de la forme-logement la forme urbaine.

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