« Ainsi, cet homme n’avait plus, dans son
égarement, d’autre pensée ni d’autre volonté que de poursuivre
sans relâche l’objet qui l’enflammait, de rêver de lui quand il
était absent, et à la manière des amants, d’adresser des mots de
tendresse à son ombre même. La solitude dans un milieu étranger,
et la fortune d’une ivresse tardive et profonde l’engageaient et
l’encourageaient à se permettre sans crainte et sans honte les
plus choquantes fantaisies ; c’est ainsi qu’un soir, rentrant de
Venise tard dans la nuit, il s’était arrêté au premier étage de
l’hôtel devant la chambre de son dieu, et appuyant dans une
griserie totale son front au gond de la porte, il était resté
longtemps sans pouvoir s’en séparer, au risque d’être surpris,
à sa honte, dans cette attitude insensée. »
« Celui qui avait reçu en don ce sourire, l’emporta comme un présent fatal. Il était si ému qu’il fut forcé de fuir la lumière de la terrasse et du parterre de l’hôtel et se dirigea précipitamment du côté opposé, vers l’obscurité du parc. Il laissait échapper, dans une singulière indignation, de tendres réprimandes : « Tu ne dois pas sourire ainsi ! Entends-tu ? Il ne faut pas sourire ainsi à personne ! » Il se laissa tomber sur un banc, affolé, aspirant le parfum nocturne des plantes. Et penché en arrière, les bras pendants, accablé et secoué de frissons successifs, il soupira la formule immuable du désir… impossible en ce cas, absurde, abjecte, ridicule, sainte malgré tout, et vénérable même ainsi : « Je t’aime ! » »
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