Introduction
« Les ouvriers, comme à l'époque de la Grande
Révolution le « peuple " ou la, sans-culotterie, incarnent la
force, l'acte et le désir mis en route sur la scène sociale où
l'imagination construit les voies de changement révolutionnaire.
Les grandes images dynamiques du prolétariat en action
nous séduisent et nous mobilisent nous aussi, révolutionnaires à
la recherche d'une révolution. C'est la Commune, les Premiers Mai
rouges, les matins noirs du syndicalisme, l'occupation des usines
(Italie 1920). les marins de Kronstadt, les mineurs asturiens, les
collectivisations dans l'Espagne révolutionnaire, l'action directe,
la lutte ouverte contre une société d’exploitation, pour un monde
nouveau.
Ce type d'action mis en avant par le désir
révolutionnaire qui resurgit périodiquement, et qui éclate à
échelle restreinte (grèves sauvages, séquestration de patrons,
sabotages) tranche avec l'aspect événementiel, «spectaculaire
marchand" et uniforme de la vie quotidienne dans les sociétés
industrielles où le capitalisme (voire les sociétés
multinationales), l’État, ont atteint un niveau élevé de
développement.
C'est ainsi que l'action ouvrière « contrôlée"
par les syndicats se déroule autour du pôle réformiste, aussi bien
au niveau strictement syndical que « politique " (partis,
parlement, élections) ; les exemples à ce niveau, si on les puise
dans le développement historique' du mouvement ouvrier, montrent la
distance qui sépare l'action directe de la concertation, la
définition révolutionnaire propre à l'époque de
l'anarcho-syndicalisme des accords de Grenelle. Nous vivons
aujourd'hui l'aboutissement de cette évolution, exprimé par
exemple, par le changement apporté par la C.G.T. en 1969, dans ses
statuts, à la définition de la finalité syndicale; «la
suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme"
d'autrefois est devenue maintenant: «la suppression de
l'exploitation capitaliste,,; l'abolition du patronat et du salariat
», fait place à « la socialisation des moyens de production et
d’échange e : ceci réaffirmé par F.O. à travers son «
attachement à la politique contractuelle qui a permis de mettre en
place des mécanismes de garantie du pouvoir d'achat dans la fonction
publique, les entre- prises nationalisées et de nombreuses branches
du secteur privé » et par son refus de toute action « politique»;
et si le doute subsiste, nous verrons la C.G.T. et la C.F.D.T.
grossir les files de l'union de la gauche.
Dans notre propre mouvement, surtout dans les pays à
forte tradition ouvrière anarchiste comme l'Italie, l'Espagne et
l'Amérique Latine, toutes les feuilles militantes de l'anarchisme
invoquent l'action révolutionnaire du prolétariat. Les «militants»
ne peuvent pas, cependant, ne pas ressentir un certain malaise en
percevant l'écart entre le désir et la réalité, écart non
théorisé. Nous trouvons la même attitude de fond, quoique sans «
l'appel au peuple », dans un certain gauchisme qui se refuse la
possibilité d'intervenir en attendant du «mouvement réel -. voire
de l'action du prolétariat urbain, l'affranchissement général. »
«Dans ce sens la démocratie bourgeoise n'est pas un
système pire qu'un autre pour maintenir au pouvoir une classe
dominante. Mais à condition d'un certain degré de complicité,
"d'occultation" et de mystification qui y ont leur place.
L'idéologie dominante est un aspect important de ce contexte (8).
Elle a pour fonction de réduire le conflit fondamental du mode
capitaliste de production à des limites acceptables pour le système
établi en prêchant la collaboration de classes, la concertation, la
négociation et le compromis, la cogestion, voire la coexistence
pacifique entre la bourgeoise et le prolétariat, même dans les
idéologies dites révolutionnaires qui invoquent "l'Union
nationale» contre l'impérialisme. »
« La révolution bourgeoise s'est appuyée sur
l'universalité de droits, sur l'égalité; elle substitua à la
souveraineté de droit divin la souveraineté populaire. Mais ce fut
la bourgeoisie et non pas le peuple qui s'empara du pouvoir; pour
conserver à la fois le soutien populaire et son pouvoir de classe,
elle a dû affirmer la différence entre l'égalité des droits et
l'inégalité de fait, et imposer l'idée de la représentativité et
de la délégation de pouvoir (ou' de la souveraineté) . Guérin le
montre en parlant de la Révolution Française: «en théorie, tout
pouvoir émanait du peuple; mais en pratique, on lui déniait le
droit de l'exercer lui- même: il avait seulement la permission de le
«déléguer,,; la souveraineté passait à une assemblée qui, en
son nom, prétendait faire les lois et gouvernait. »
« Dans la mesure où l'Etat apparaît opposé à
la société, en tant qu'expression d'un type de relation sociale
aliénée, la réalité de son existence se matérialise à travers
des appareils concrets de domination qui imposent une direction à la
totalité du processus social. »
«Le système politique représentatif, parlementaire
survole cette dissociation de la pratique sociale en politique d'une
part et économique de l'autre, et s'appuie sur une légalité qui
compte sur l'illusion et le leurre dans le partage du pouvoir.
Proudhon disait: "Vous parlez de Suffrage
Universel! Il est tout fait, les élus sont désignés d'avance.
L'ouvrier nommera son patron, le domestique son maître, le fermier
son propriétaire, le boutiquier son banquier, le soldat son général,
le paroissien son curé".
Ceci parce que le suffrage universel (dénomination
abusive: il y a toujours des minorités, voire des majorités,
exclues: pendant longtemps les femmes, aujourd'hui les travailleurs
immigrés, etc) recouvre une inégalité fondamentale non seulement
au niveau économique mais aussi au niveau de l'influence réelle des
différents groupes sociaux à travers les appareils d’État. La
classe qui a le pouvoir contrôle ces appareils, et non seulement le
gouvernement et la justice, ou la police ou l'armée, mais aussi
l'école et l'organisation de la famille, et elle impose un type de
"socialisation politique" basée sur la différence
dirigeant-dirigé, intellectuel-manuel.
Les partis politiques, bourgeois ou «prolétaires",
perpétuent le système, jouent le jeu. Voter, acte pour lequel
existe bien une égalité formelle, contribue à masquer l'inégalité
inhérente au système et " constitue une fonction, de
légitimation extrêmement importante" (34).
La responsabilité historique de la social-démocratie
dans cette légitimation du système est accablante, mais son origine
est donc 'a politique de Marx lui-même qui n'a pas su ou n'a pas pu
se débarrasser du schéma autoritaire bourgeois et qui imposa à la
Première Internationale - même au prix de sa destruction - la
participation "politique" 'au sein des institutions
bourgeoises: à travers les partis politiques et la lutte
électorale. »
« Ce prolétariat internationaliste qui commençait
à s'organiser de façon autonome, avec la finalité explicite de
renverser totalement l'ordre existant, fut obligé par les,
conditions même du marché capitaliste de négocier la vente de sa
force de travail. Les premières organisations, les bourses du
travail et les organisations de résistance, turent "
légalisées" (35), Le syndicalisme revendiqua de plus en plus
des arnélio- rations immédiates et prisonnier de la contradiction
entre l'abolition du salariat d'une part et l'augmentation du pouvoir
d'achat et le maintien du plein emploi de l'autre, sc transforma en
une institution nécessaire au système capitaliste, devint une
organi- sntion réformiste, bureaucratisée pour gérer, au profit du
système, la lutte de classes. Aujourd'hui il est un médiateur,
entre les travailleurs et l’État.
Parallèlement à l'évolution réformiste du
syndicalisme se développe une autre grande institution de contrôle
social, nécessaire au capitalisme, base de la stabilisation des
classes populaires dans le système établi: l'institution qu'on
connaît sous le nom de sécurité sociale. »
« Le mouvement ouvrier, prisonnier dans le filet
d'un dilemme de fer, condamna en principe, à l'époque de la
prépondérance du courant révolutionnaire, la prise en charge par
l’État de la condition ouvrière, voyant les dangers que cela
signifiait pour la combativité du prolétariat, mais il n'échappa
pas à l'acceptation inévitable des lois de sécurité sociale que
la vie quotidienne, réformiste par excellence, imposait à chaque
ouvrier. »
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