Action de
chasser, d'expulser des individus de leur résidence ; contraindre
quelqu'un à quitter le lieu où il est établi ; évacuation d'un
locataire de l'appartement qu'il occupe. Expulser d'une maison, d'une
ville, d'un pays. L'expulsion, quelque soit son caractère, est une
entrave à la liberté individuelle, et son action affecte
politiquement et économiquement tous les déshérités de la société
bourgeoise. Nous ne nous arrêterons pas à ce que l'on appelle
l'expulsion locative. Chacun sait qu'en notre belle société le
malheureux, réduit à la misère par le chômage ou la maladie, n'a
pas le droit de se loger. Ne pas avoir d'argent est un crime et celui
qui n'a pas de ressources pour payer le loyer périodiquement réclamé
par le propriétaire rapace est impitoyablement expulsé de son
logis. C'est normal et logique, conformément à la légalité. Mais
il est une sorte d'expulsion plus terrible encore que l'expulsion
locative c'est l'expulsion nationale, c'est-à-dire l'interdiction à
un individu de résider sur un territoire. « Dès que le séjour
d'un étranger » dit le Larousse « devient un danger ou une menace
pour l'Etat qui l'a reçu, il peut être expulsé ». C'est la porte
ouverte à tous les arbitraires, à toutes les infamies
gouvernementales. En France, ajoute le Larousse, « l'expulsion a
lieu en vertu d'un arrêté du ministre de l'Intérieur ou même du
préfet dans les départements frontières, et l'étranger n'a aucune
garantie contre la mesure dont il est l'objet ». Pour un
dictionnaire d'esprit réactionnaire et à caractère officiel, c'est
un aveu qu'il est bon d'enregistrer. Avant la guerre, une seule
nation en Europe ne pratiquait pas l'expulsion des étrangers :
c'était l'Angleterre. Les étrangers jouissaient, comme les
nationaux, de l'inviolabilité individuelle, et les mêmes lois
étaient appliquées aux uns comme aux autres. En 1912, une tentative
d'expulsion, dont notre vieil ami Malatesta aurait été victime,
souleva une telle protestation, non seulement dans la classe
ouvrière, mais dans tout le monde libéral, que le gouvernement
britannique céda devant la réprobation unanime de tous les hommes
de cœur. Hélas! Tout cela a changé, et la « libre Angleterre »
expulse aujourd'hui à son tour, trahissant tout un passé de
libéralisme à l'égard de ceux qui cherchaient sur son sol un lieu
de repos. Le dernier coin du globe où était respecté le droit
d'asile a adopté les mêmes mesures répressives contre les
étrangers que les autres nations et, à présent, le malheureux
chassé d'une terre inhospitalière ne sait plus où aller pour
trouver un refuge où la tranquillité et la sûreté lui seraient
assurés. Chaque nation, cependant, aussi réactionnaire soit-elle,
prétend respecter la tradition du droit d'asile et n'user de
l'expulsion que pour garantir la sûreté de l'Etat. Cela est
complètement faux et l'on peut remarquer que ce ne sont d'ordinaire
que des révolutionnaires que l'on chasse d'une nation. En dehors des
liens qui existent entre les divers gouvernements mondiaux il y a une
solidarité capitaliste lorsqu'il s'agit de lutter contre les forces
de transformation sociale. Aussi divisé, nationalement ou
internationalement, que puisse être le capitalisme lorsqu'il faut à
certains de ses groupes défendre des intérêts particuliers, il est
cependant uni dans sa lutte contre la Révolution. Un révolutionnaire
italien ou espagnol est considéré comme nuisible aussi bien dans
les autres pays que dans son pays d'origine et, quelle que soit la
partie du monde où il posera les pieds, il sera poursuivi et chassé
comme un malfaiteur par les classes dirigeantes. « Sûreté de
l'Etat » veut dire simplement « Sûreté du Capitalisme » et c'est
pourquoi l'homme d'avant-garde est condamné, comme le Juif Errant, à
marcher toujours s'il ne veut pas se courber devant les forces de
régression sociale. La terre appartient à tous et l'expulsion d'un
individu est la plus lâche des infamies, la plus terrible des
agressions du capitalisme. Il existe des hommes qui sont condamnés à
traîner une existence misérable parce qu'en vertu de leur passé,
de leur action, aucune nation ne veut les recueillir, et qu'ils sont,
en conséquence, continuellement obligés de se cacher, de se terrer
pour échapper aux griffes de la police internationale. Le nombre de
camarades que l'on arrache à la bourgeoisie, lorsque le scandale
d'une expulsion par trop arbitraire éclate, est infime ; et ils se
comptent par milliers, les pauvres bougres que l'on expulse sans
autre forme de procès qu'une simple signature ministérielle. En
France, ce sera la honte de la démocratie de s'être servie, de
cette arme : l'expulsion, pour défendre les intérêts d'une caste
de privilégiés. Un projet de loi qui, probablement, sera voté dans
le courant de l'année 1927, retirera aux ministres la possibilité
d'expulser les étrangers, Ce soin incombera aux magistrats. Est-ce
mieux, est-ce plus mal? A nos yeux, il ne peut y avoir de
demi-mesure. Nous ne pouvons accorder ce pouvoir d'expulser qui que
ce soit à un ministre ou à un magistrat. Si le législateur, en
réformant une pratique gouvernementale, considère que l'expulsion
ouvre la porte à tous les abus, il doit aussi comprendre que le
magistrat est toujours un agent gouvernemental, et qu'il agira par
ordre lorsque le besoin s'en fera sentir. Et c'est pourquoi ce n'est
pas codifier « l'expulsion » qu'il faut, mais la supprimer et
permettre à tout homme de vivre, là où il en a le désir.
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