Du vivant de
La Fontaine, ces imitateurs : Bensérade, Desmay, Furetière,
Fieubet, Grécourt, Daniel de la Feuille, Le Noble, Sénecé, Mme de
Villedieu, etc..., ne font guère que paraphraser petitement ses
fables. D'aucuns en pénètrent le mérite et tentent d'y faire
participer leurs œuvres : mesure libre du vers, alternance du simple
et de l'épique, tour plaisant, intérêt porté à la nature. Mais
ils sont trop près du tourbilIon : ils ne savent plus s'éloigner,
par ailleurs se reprendre, et ils plagient... Bensérade (1612-1691),
bel esprit suspendu à la faveur des princes, possède l'art de mêler
les allégories aux divertissements qu'il compose pour les
distractions de la cour ; Furetière (1619-1688), ami de La Fontaine,
observateur doublé d'un érudit, cultive aussi l'allégorie et écrit
des fables avec une malice parfois personnelle ; Senecé(1643-1737),
ingénieux et froid, est un conteur frisant la préciosité, mais non
sans adresse, et ses épigrammes ont de l'esprit...
Mentionnons
à part les Fables de FÉNELON (1651-1715) récits en-prose,
d'inspiration modeste, mais gracieux et aimablement tracés.
Précepteur du duc de Bourgogne, l'auteur a composé ces fables en
vue de façonner le caractère de son élève. L'éducateur y domine
le fabuliste et l'intérêt s'en trouve rétréci. Ce sont d'abord
les aventures d'animaux familiers (l'Abeille et la Mouche ; les deux
Renards ; le Rossignol et la Fauvette ; l'Ourse et son petit ; le
Loup et le jeune Mouton, etc... ), puis des sujets empruntés à la
mythologie et à l'histoire et préparant Télémaque(Alexandre et
Diogène ; Bacchus et le Faune, etc... ).
À part
aussi CH. PERRAULT (1628-1703), un des champions (contre Boileau) de
la fameuse querelle des Anciens et des Modernes. Esprit mondain,
renvoyant aux pédants l'antiquité ―habile couverture de
l'ignorance bien accueillie des superficiels de son temps ― unit «
la légèreté décisive des salons à l'indépendance cartésienne
». Les plus durables de ses écrits, et les seuls d'ailleurs que
nous retenions ici, sont les fameux Contes de ma mère l'Oye. Des
féeries peuplées d'enchantements ―prose ondulée, vers murmurants
―dans lesquelles se complurent nos
imaginations
d'enfant et que nous relisons encore avec curiosité et quelque
délice. Un merveilleux fantasmagorique, une fantaisie aisée et
naïve y animent les Barbe-Bleue, les Belle-au-BoisDormant, les
Peau-d'Âne, les Petit Poucet, les Chat Botté, etc..., sous les
auspices, tour à tour chanceux ou maléfiques, de quelques
magiciennes aux mirifiques baguettes. Des moralités parfois avisées
et fines les clôturent. Ainsi :
Tout est
beau dans ce que l'on aime ;
Tout ce
qu'on aime a de l'esprit...
(Riquet à
la Houppe.).
ou
Ayez de
l'esprit, du courage, ils seront choses vaines,
Si vous
n'avez, pour les faire valoir,
Ou des
parrains, ou des marraines ...
(Cendrillon.
)
Aux
œuvrettes de Perrault, rattachons les Contes de féede Mme d'Aulnoy
(de ce même XVIIème siècle) ; l'Oiseau bleu ; la Princette Rosette
; la Belle aux Cheveux d'Or, etc...
Si nous
revenons aux fabulistes proprement dits, nous rencontrons Pannard
(1674-1765), introducteur, dans la chanson, de la satire des mœurs.
Par le négligé de l'existence contrastant avec la délicatesse de
l'esprit, il fait penser à La Fontaine. Mais ses œuvres profuses ne
prolongent pas ce parallèle et valent surtout par une bizarrerie
heureusement amenée... Près de lui, Lamotte (16721731), est le
spécieux contempteur des vers et des figures, et de tant
d'ornements, dans l'art, regardés comme les entraves de l'idée ;
Ses fables se ressentent de cette froideur « raisonnable »
(L'Enfant et les Noisettes ; La Chenille et la Fourmi, etc...). Les
Fables nouvellesde Le Bailly (1756-1832) sont trop diffuses, malgré
leur bonhomie et l'élégance du style (L'araignée et le Vers à
soie ; Le Boiteux, etc...) ; Le Buisson et la Rose :
Je laisse
après moi bonne odeur,
Puis-je
regretter quelque chose ?
Par
ailleurs, Berquin (1747-1791), conteur familier, rend avec une grâce
toute personnelle, ―en ses « lectures » ―des sujets pris aux
littératures étrangères (L'Ami des Enfants, etc...).
Andrieux
(1759-1833), poète comique, est le père du Meunier-Sans-Souci, et
autres contes l'éloge du Bonheur dans la médiocrité... L. de
Jussieu (1792-1866) est connu pour maints ouvrages d'éducation parmi
lesquels les Petits Livres du Père Lami, Fables et Contesen vers où
le moraliste efface trop souvent le conteur.
De Frédéric
Jacquier, dont le pittoresque d'expression et la souplesse versique
sont comme d'attachantes réminiscences, signalons : Jupiter et la
Brebis, Les deux Frères, et La Souris Persévérantequi
Se dresse
vers le trou, le gratte, le regratte,
Avec ses
dents, avec sa patte,
Pour
l'agrandir,
Et
l'arrondir ...
Avec les
Fablesde FLORIAN (1755-1794) nous abordons, un siècle après La
Fontaine, la première œuvre qui se détache avec quelque relief sur
une production menacée de grise uniformité. Non pas que nous
regagnions l'espace où brillent les étoiles du Bonhomme. Rien du
tumulte imagé qui fait, parmi les genres prodigieusement confondus,
comme des cascades d'harmonie. Ce ne sont pas ici les orgues et leur
orchestration, mais, sur un clavier modeste, simplement mélodieuses,
des fables en demi-tons. Avec un sens avisé de ses forces, Florian
ne s'expose pas à manier les tonnerres en cacophonie, à jeter le
bouffon sur l'épique en bousculades ridicules. Plus sage qu'à la
contrefaire, il laisse chanter sa note, qui est tendre et fine, et
situe, sans défaillances, d'adroites compositions sur un plan moyen
de charme étudié. Il n'évite pas les travers de l'époque,
aggravés par les exigences de l'apologue. Il prêche volontiers,
coiffant la grâce de ses contes d'une couronne austère de
moraliste. Un sentiment, parfois fade et apprêté, mais souvent
généreux et qui exhorte aux gestes solidaires, adoucit cependant ce
rigorisme sermonneur. Ses fables claires s'assurent avec aisance la
faveur du public. On connaît : Les Deux Voyageurs; Le Chien coupable
; La Guenon, le Singe et la Noix ; La Mère, l'Enfant et les Sarigues
; Le Vacher et Le Garde-chasseavec le dicton :
...Chacun
son métier
Les vaches
seront bien gardées.
et :
Aidons-nous
mutuellement :
La charge
des malheurs en sera plus légère...
de L'Aveugle
et le Paralytique ; La Carpe et les CarpilIons ; Guillot(le menteur
puni) ;
L'Enfant et
le Miroir; Le Grillon ; Le Troupeau de Colas ; et la médisante
Chenille... comme autant d'apologues invétérés et populaires.
Déjà, les
contemporains de La Fontaine, et quelques-uns de ses successeurs,
avaient, en leurs subtilités, préparé la renaissance de la fable
politique. VIENNET (1777-1868) la ressuscite et l'étend, en ses
apologues satiriques, pleins d'une verve piquante et spirituelle. La
période mouvementée, pendant laquelle il joue son rôle en acteur
courageux, marque son œuvre (et notamment ses Fableset ses Épîtresde
remous agités. ARNAULT (1759-1833), qui cultive la tragédie,
compose aussi des fables d'un tour épigrammatique. De son recueil,
détachons : Le Colimaçon, la Châtaigne et la Feuille, qui va...
...Où va
toute chose,
Où va la
feuille de rose,
Et la
feuille de laurier.
LACHAMBAUDIE
(1806-1872), attaché au saint-simonisme et plus tard à Blanqui,
doit à ses opinions la prison et l'exil. Et dans ses Fables
populaires, qu'il mêle à la vie publique (il les dit lui-même dans
les clubs, les concerts), il apporte les préoccupations
démocratiques de sa vie militante. Dans sa forme soignée, son œuvre
regagne, par-delà les siècles, pour la combativité de l'épigramme,
les fables allusives de Phèdre. Elle n'en a pas cependant l'incisive
virulence. Par contre, elle s'allume de quelques éclairs poétiques
:
Or, la lune
dorait le pli des vagues bleues...
(L'Enfant et
les Bottes.)
Citons :
L'Hermine et le Rat ; L'Escargot et le Chien ; L'Enseigne du
Cabaret(« demain on rasera gratis ») ; L'Enfant et la Pendule :
Tu
n'arrêteras pas, dans sa course éternelle,
Le temps qui
fuit, rapide, et qui ne revient pas...
La fable,
avec ces auteurs, prend part aux mêlées du forum et redevient, pour
un temps, une arme, à peine enveloppée, contre le régime. Elle
s'apparente au pamphlet pénétrant et frondeur. Mais, comme lui, et
comme toutes les œuvres qui personnalisent l'attaque ou qu'envahit
la doctrine, elle participe de la momentanéité qui fait du meilleur
journalisme un art éphémère. Nonobstant sa valeur, et ses
aspirations, elle survit avec peine à son objet et se traîne avec
effort au-delà des hommes et des institutions qu'elle a visés...De
ces fabulistes de combat, Lamennais (1782-1854) est le frère, un
frère plus large et, plus qu'eux tous, poète. Ce grand évangéliste,
aux visions de prophète, brûlé d'une foi toute romantique, ne peut
manquer d'appeler la parabole au secours de son ardent amour du
peuple. Il en parsème ce cantique passionné que sont les Paroles
d'un Croyant : la parabole des Ombres, de l'Oiseau nourrissant les
orphelins de la couvée voisine, la parabole du rocher :
« Et ils se
levèrent, et tous ensemble ils poussèrent le rocher, et le rocher
céda, et ils poursuivirent leur route en paix.
Le voyageur,
c'est l'homme, le voyage, c'est la vie, le rocher, les misères de la
route... »
Hautes et
frémissantes leçons d'entraide fraternelle !... Ces lueurs
éteintes, la fable retombe dans la monotonie. Mentionnons Xavier
MARMIER (1809-1892), traducteur du « Choix de Paraboles » de
Krummacher, pour ses Contes populaires de tous les pays, remarquables
par une connaissance approfondie de l'Europe du Nord, infatigablement
visitée ; PLOUVIER (1821-1876), laborieux autodidacte, qui écrit
des contes soignés, mais ternes : Contes pour les jours de pluie ;
La Buche de Noël, etc... ; F. de GRAMMONT (1815-1897) qui fait
revivre en France la sextine des latins et est l'auteur de récits,
chants et rondes de l'enfance (Bons Petits Enfants) dont : La Petite
Fille et le Jardinier ; La Charité, etc...
Ensemble,
notons rapidement : ROYER, avec L'Enfant à la Tartine(Voulez-vous
donner, donnez vite!) ; REYRE, prédicateur et pédagogue, de l'Ordre
des Jésuites ; RICHER (1729) avec Les Bergers ; le duc de NIVERNAIS
; TOURNIER ; Amélie PERRONET (L'art d'être GrandMère; Le Petit
Fanfaron, Pan ! Pan !) ; l'abbé AUBERT (1731-1814) avec quelques
fables bien construites et imagées ; G. de BOILLEAU, qui publie deux
volumes de fables, plutôt effacées ; MANCINI-(1716-1876) ; Mme de
la FÉRANDlÈRE (1736-1817), qui a de l'élégance (Le Pinson et la
Pie, Le Pinson et le Moineau, etc...) ; E. CHASLES (1827-1895) :
Contes de tous pays en prose (Le Renard et la Grenouille, etc...) ;
A. de NAUDET ; Mme ACKERMANN (1813-1890) avec ses Contes en vers,
etc...
Divers
auteurs, de la fin du XIXème siècle notamment, accentuent la
tendance, déjà sensible, à amener la fable au diapason des
intelligences enfantines. Retour, ou ―sous un certain angle
―évolution. Tentative en tout cas passionnante, mais délicate et
pleine de périls. Ils ne montrent d'ailleurs sur le chemin qu'une
bonne volonté obstinément trahie par les réalisations. Aucun n'y
apporte cette maîtrise géniale qu'il faut pour saisir, en deçà de
l'appris des hommes, l'esprit vivant de l'âge et le restituer, sans
le grandir ni l'éteindre ; pour se libérer du factice et descendre
à la vérité puérile, et en même temps, ne pas perdre de vue le
ciel fuyant de l'art et de la poésie... Aussi la fable, en
s'infléchissant avec eux vers les jeunes perd surtout sa dernière
verdeur et sa malice trépidante. Pauvre pastiche décoloré, elle
s'affadit encore en s'amenuisant. Et sur cette naïveté ―si grêle,
hélas ! et toute pâle de convention ―qu'ils éveillent avec
effort, ils ne peuvent (vieillards dévorant la candeur) résister à
jeter, en graines denses, l'herbe étouffante de la morale...
Dans les
Maternelles, davantage récits attendris que fables, de Mme Sophie
Hue, se détachent des pièces d'une simplicité touchante, comme La
Mère et l'Enfant. Jean Aicard, poète familial, a côtoyé la fable
avec sa Chanson de l'Enfant, son Livre des Petits. Des récits
attrayants et émus y abondent, telle la simple histoire du
Rouge-gorge. Louis RATISBONNE (1827-1900) est l'auteur officiellement
prôné du répertoire de la jeunesse pour sa Comédie enfantine,
recueil de récits et dialogues distractifs et de fables morales où
les bêtes et les choses, et surtout les enfants (parfois saisis dans
leur ingénuité) déroulent des scènes tour à tour simples et
rieuses. Détachons cette mignardise : Le Souhait de la Violette, que
Flore a doté des couleurs « les plus tendres de la palette » et de
l'arôme « qui la trahit dans le sillon » et qui demande, fleurette
modeste, « un peu d'herbe pour la cacher »... Les œuvres de
Ratisbonne n'évitent pas l'écueil de l'artificiel, si proche de
l'enfantillage, et traînent, comme un boulet, la résolution d'être
« moralisatrices »...
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