Action d'expier ;
réparation ; châtiment ; expiation d'une faute, d'un crime, d'un
délit. La loi de l'expiation fut sans doute la première loi
répressive qui dirigea l'humanité. Caïn, d'après la légende,
expia toute sa vie par la souffrance et la douleur le meurtre d'Abel.
« Dieu » était alors moins cruel que ne le sont les hommes
d'aujourd'hui, car les lois de l'expiation sont devenues plus
pénibles. « L'humanité, dit M. J. M. Guyau, a presque toujours
considéré la loi morale et la sanction comme inséparables : aux
yeux de la plupart des moralistes, le vice appelle rationnellement à
sa suite la souffrance, la vertu constitue une sorte de droit au
bonheur. Aussi, l'idée de sanction a-t-elle paru jusqu'ici une des
notions primitives et essentielles de toute morale ». L'expiation,
en vertu de cette loi « morale » est donc l'acte qui consiste à
subir la sanction. Est-elle juste, est-elle injuste? Est-elle
simplement morale? « Existe-t-il, dit encore Guyau, aucune espèce
de raison (en dehors des considérations sociales), pour que le plus
grand criminel reçoive, à cause de son crime, une simple piqûre
d'épingle, et l'homme vertueux un prix de sa vertu? L'agent moral
lui-même, en dehors des questions d'utilité et d'hygiène morales,
a-t-il, à l'égard de soi, le devoir de punir pour punir, ou de
récompenser pour récompenser? » On pourrait objecter que
l'expiation ne résulte pas nécessairement de l'idée de sanction et
qu'elle peut n'être que la punition naturelle de celui qui viole les
lois naturelles. Ce fut l'idée de Lamennais qui déclare que : «
Une loi fatale, inexorable, nous presse ; nous ne pouvons échapper à
son empire : cette loi, c'est l'expiation, axe inflexible du monde
moral, sur lequel roulent toutes les destinées de l'humanité ».
Rien n'est plus faux à notre sens et c'est encore à Guyau que nous
faisons appel pour détruire cette thèse. « De même l'indigestion
d'un gourmand ou l'ivresse d'un buveur n'ont dans la nature aucune
espèce de caractère moral ou pénal : elles permettent simplement
au patient de calculer la force de résistance que son estomac ou son
cerveau peut offrir à l'influence nuisible de telle masse d'aliments
ou de telle quantité d'alcool : c'est encore une équation
mathématique qui se pose, plus compliquée cette fois, et qui sert à
vérifier les théorèmes généraux de l'hygiène et de la
physiologie. Cette force de résistance d'un estomac ou d'un cerveau
variera d'ailleurs beaucoup selon les individus : notre buveur
apprendra qu'il ne peut pas boire comme Socrate, et notre gourmand
qu'il n'a pas l'estomac de l'empereur Maximin. Remarquons-le, jamais
les conséquences naturelles d'un acte ne sont liées à l'intention
qui a dicté cet acte : jetez-vous à l'eau sans savoir nager, que ce
soit par dévouement ou par simple désespoir, vous serez noyé tout
aussi vite. Ayez un bon estomac et pas de disposition à la goutte :
vous pourrez presque impunément manger à l'excès ; au contraire,
soyez dyspeptique, et vous serez condamné à souffrir sans cesse le
supplice de l'inanition relative. Autre exemple : vous avez cédé à
un accès d'intempérance ; vous attendez avec inquiétude la «
sanction de la nature » : quelques gouttes d'une teinture médicale
la détournera en changeant les termes de l'équation qui se pose
dans votre organisme. La justice des choses est donc à la fois
absolument inflexible au point de vue mathématique et absolument
corruptible au point de vue moral » (J. M. Guyau ; Esquisse d'une
Morale sans obligation ni sanctions, pp. 183, 184). Nous pensons donc
que la loi de l'expiation n'est nullement naturelle, mais intimement
liée à celle de la justice distributive, foncièrement humaine.
Prenons par exemple la loi du talion, qui remonte à la plus haute
antiquité, et fut la base de la législation mosaïque. Elle
n'emprunte à nos yeux aucun caractère « d'expiation en soi »,
bien que, pour l'esprit simpliste, elle présente la forme de justice
la plus logique. Pour que, moralement, il y ait expiation, il
faudrait que l'expiateur reconnaisse, comprenne sa faute, son erreur,
son crime. Il faudrait que cette erreur, cette faute, ce crime
renferment en soi l'action primitive ; or, ce n'est pas le cas, et en
dehors des cadres déterminés par une forme quelconque de société,
il n'y a pas d'expiation. Tel criminel, s'il n'est pas découvert,
jouira en toute quiétude du bénéfice de son forfait ;
conséquemment, on peut dire que l'expiation naturelle est une simple
formule et que seule, l'expiation d'ordre, de caractère social,
mérite notre attention. Si le crime ne trouve pas sa sanction dans
le crime même, faut-il conclure à la nécessité d'une justice
distributive? « C'est un devoir pour le pouvoir social, dit Lainé,
de faire accomplir l'expiation dans une certaine mesure ; de là
l'origine et la nécessité d'une justice pénale ». C'est là
l'avis d'un grand nombre de philosophes et de sociologues. Ce n'est
pas là le nôtre. Pour admettre la nécessité d'une justice pénale,
il faudrait reconnaître l'utilité sociale de l'expiation ; or,
l'exemple et l'expérience sont à nos yeux suffisamment probants
pour nous permettre d'affirmer qu'en aucun cas, contraindre un
individu à l'expiation n'a été d'un avantage quelconque pour la
collectivité. Depuis des temps immémoriaux, la « justice »
accomplit son œuvre sans que s'améliore, par son action le sort des
sociétés humaines. Expier un délit par quelques mois de prison
n'efface pas le délit et n'empêche pas l'individu d'accomplir un
nouveau forfait, sitôt que l'occasion - ou le besoin - se présente.
Expier un crime par la peine de mort n'efface pas le crime, et même
si l'on acceptait ce principe que l'expiation est nécessaire pour
l'exemple, il serait facile de démontrer, par la statistique, que le
nombre de crimes ne diminue pas en raison du châtiment infligé,
mais en raison d'une évolution consécutive à des facteurs
extérieurs à toute justice pénale. Non seulement l'expiation
n'efface ni le délit ni le crime, mais elle les sanctifie. Les
expiateurs prennent souvent une figure de héros, et le but poursuivi
par les moralistes partisans de la justice distributive s'éloigne de
plus en plus à mesure que s'exerce cette justice distributive. Que
faire alors? Laisser le crime s'accomplir? Absoudre et laisser en
liberté tous ceux qui, pour une cause ou pour une autre, s'attaquent
à l'individu, profitent de sa faiblesse pour le voler, le piller, le
tuer? Il est évident que si l'on accepte une société élaborée
sur des principes d'autorité et de propriété, on est également
obligé d'accepter le principe de l'expiation. Mais alors, loin de
remédier au mal, on le perpétue. L'anarchiste, plus que tout autre
peut-être, parce qu'il a conscience des possibilités de vie
harmonique, a le crime en horreur. Plus que tout autre, il voudrait
voir s'effacer de la surface du globe tous les méfaits qui s'y
accomplissent, et qui ne sont déterminés que par l'ignorance, les
vices, les tares, les travers inhérents à une société mal
constituée. Aussi ne s'arrête-t-il pas simplement aux phénomènes
; il en recherche les causes, et c'est parce qu'il pense les avoir
comprises qu'il dit que l'expiation ne changera jamais rien à
l'ordre des choses ; mais que, pour voir disparaître tout ce qui est
une source de souffrance individuelle ou sociale, il faut transformer
du tout au tout cette société. Tout l'appareil judiciaire est
corruptif et immoral. Etablie par une caste pour défendre une caste,
inféodée à une classe de privilégiés, la « justice » est
injuste ; elle le fut, et elle le sera toujours ; et si l'expiation
peut emprunter un jour un caractère de justice, ce ne sera que
lorsque le peuple révolté fera expier à la bourgeoisie les crimes
accumulés depuis des siècles et des siècles
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