Action par
laquelle on utilise les capacités des personnes ou les ressources
des choses, pour en tirer profit. Ce mot sert aussi à désigner le
lieu où s'accomplissent les travaux, lorsqu'il s'agit d'arracher au
sol ses richesses. L'exploitation d'une forêt consiste en la coupe
des bois, pour les besoins immédiats ou pour la vente. Mais le
chantier où se débitent les arbres, et s'apprêtent les
expéditions, pourra être nommé aussi : l'exploitation. Tant qu'il
s'agit seulement de prendre dans la nature, pour le plus grand bien
de la collectivité humaine, les métaux précieux, le charbon, et
les multiples produits nécessaires à l'industrie, une exploitation
n'est condamnable que lorsqu'elle aboutit au vandalisme, c'est-à-dire
lorsqu'elle détruit, sans absolue nécessité, des merveilles
naturelles, ou tarit, par ses stupides excès, d'abondantes sources
de revenus. Ce qui est particulièrement condamnable, et devrait
disparaître de la civilisation, c'est l'exploitation de l'homme par
l'homme. Elle s'est exercée, tout d'abord, durant l'antiquité, et
presque jusqu'à nos jours, par le moyen de l'esclavage, qui
consistait à réduire en captivité des populations vaincues, et à
les faire travailler pour le compte des vainqueurs. Les esclaves
appartenaient au maître comme des animaux domestiques. Il pouvait
disposer d'eux selon son agrément, les châtier suivant son caprice,
et n'avait à pourvoir en échange qu'à leur entretien. Puis fut
instauré, au moyen âge, le servage, offrant quelques maigres
garanties de sécurité aux opprimés. Avec ce régime, les paysans
avaient faculté de faire fructifier pour eux-mêmes la terre
appartenant au seigneur. Mais c'était à condition de lui verser, en
échange, de lourdes redevances. De plus, ils étaient attachés au
sol qu'ils cultivaient, et pouvaient être vendus avec lui. Le
servage ne disparut totalement en France qu'avec la Révolution de
1789. Il ne fut aboli en Russie qu'en 1865! On en retrouve les
vestiges dans cette coutume, qu'ont encore aujourd'hui les Etats, de
céder, acquérir ou échanger des territoires, sans tenir compte de
la volonté des populations qui les occupent. Avec le salariat, qui
est la forme moderne de l'exploitation de l'homme par l'homme, le
travailleur pauvre n'a pas l'avantage de la pitance assurée
qu'avaient autrefois les esclaves. Il est libre, en revanche, de
changer d'emploi, de voyager, de s'établir, d'accepter ou de refuser
un travail, de disposer de sa personne et de son temps, dans la
mesure où ses économies le lui permettent. Cependant, il ne gagne
de quoi satisfaire aux exigences de la vie qu'autant que la noblesse
d'argent, qui a succédé à la noblesse d'épée et détient presque
tout, a besoin de ses services. Lorsque son travail n'est pas
nécessaire, lorsqu'il peut être remplacé par celui d'un animal ou
d'une machine, on le congédie sans souci de savoir ce qu'il
deviendra. Encore le produit de son travail ne lui est-il point payé
à sa juste valeur, c'est-à-dire selon le prix de vente au
consommateur, abstraction faite de quelques frais généraux. Pour
son bénéfice personnel, l'employeur perçoit une plus-value,
c'est-àdire qu'il opère une majoration de prix, souvent
scandaleuse, sous prétexte de dédommagement de ses risques
financiers, majoration que vient aggraver la série des
intermédiaires du grand et du petit commerce. De telle sorte que,
lorsque les produits du travail utile reviennent sous forme d'objets
de consommation à la masse de ceux qui ont peiné pour les fournir
aux entreprises patronales, c'est à des tarifs tels qu'ils ne
peuvent les racheter qu'en partie, abandonnant le reste à la
puissance d'achat des parasites - ou tout au moins des trafiquants en
surnombre - enrichis de leurs dépouilles. La disparition définitive
de l'exploitation de l'homme par l'homme suppose deux conditions
primordiales : la première, c'est que l'ensemble des moyens de
production : champs, usines, ateliers, mines, carrières, etc.,
cessant d'être la propriété d'une minorité, fasse retour à la
collectivité tout entière ; la seconde, c'est que les produits du
travail livrés à la consommation le soient sans qu'il y ait eu
possibilité pour la spéculation de s'exercer, c'est-à-dire sans
que personne ait eu la faculté, par une opération quelconque, d'en
majorer les prix de revient, sauf pour ce qui concerne d'inévitables
frais généraux, réduits au strict minimum par le contrôle commun.
Il est à remarquer que, ces conditions réalisées, l'exploitation
de l'homme par l'homme pourrait s'exercer encore, si des dispositions
importantes dans la loi, ou mieux, dans les mœurs, n'intervenaient
pour en compléter l'efficacité. Avec le collectivisme d'Etat, qui
serait une généralisation du fonctionnarisme, l'exploitation de la
classe ouvrière pourrait être représentée par une bureaucratie
exagérément nombreuse, que les producteurs de l'industrie et des
champs seraient obligés d'entretenir dans une demi-fainéantise, et
sous le poids de laquelle ils pourraient bien, une fois de plus, être
accablés. Avec le communisme libertaire le plus large, et une
paperasserie réduite à sa plus simple expression, l'exploitation de
l'homme par l'homme aurait licence de s'exercer encore, partout où
des citoyens, consommant sans mesure et ne produisant qu'avec
parcimonie, obligeraient, par cela même, leurs camarades, soit à
diminuer leur consommation personnelle, soit à se charger de tâches
supplémentaires pour que restat assuré le bien-être commun, ce
qui, même après la disparition de tout numéraire, demeureraient,
quant au fond, en rapport avec ce qui se passe aujourd'hui. Pour
prévenir ces abus, il est indispensable que soit développée, par
l'éducation, une conscience morale, basée sur le sentiment de la
responsabilité individuelle, et le respect du bien social. Tant
qu'une telle discipline, librement consentie par tous les humains,
n'assurera pas sans contrainte l'harmonie de la société ; il se
produira inévitablement, contre les excès individuels, des
réactions plus ou moins brutales de la part de ceux qui en seront
les victimes. Sous une forme quelconque, législative ou
insurrectionnelle, la force, mise au service de la règle nécessaire,
deviendra une fois de plus la dure mais suprême ressource de la
sauvegarde publique.
- Jean
MARESTAN
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