jeudi 7 mars 2019

La Justification du Bien Par Vladimir Soloviev





« Considérer la cupidité ou l'intérêt personnel comme motif fondamental du travail, c'est enlever au travail sa signification de commandement universel, c'est en faire quelque chose d'accidentel. Si je ne travaille que pour mon bien-être et celui de ma famille, alors dès que je puis atteindre celui-ci par d'autres moyens, je perds mon seul motif de travail. Et s'il était prouvé que toute une classe ou un groupe de personnes peuvent prospérer au moyen de rapines, de fraudes et d'exploitation du travail d'autrui, quelle objection de principe pourrait-on élever contre cette manière de faire du point de vue de l'intérêt égoïste non réprimé ? Est ce l'harmonie naturelle des intérêts qui supprimer pareil abus ? »

« Du point de vue moral, tout homme , qu'il soit agriculteur, écrivain ou banquier, doit travailler en reconnaissant et en désirant que son travail soit utile à tous ; il doit le considérer comme un devoir, comme l'accomplissement de la volonté divine, comme un service pour le bien-être universel de se semblables ; mais, précisément parce que ce devoir est général, cela présuppose que tous doivent considérer la personne en question de la même manière, c'est-à-dire la traiter non comme un moyen , mais comme une fin ou un but de l'activité de tous – que le devoir de la société est de reconnaître et de garantir à chacun de ses membres le droit de jouir sans trouble d'une existence humaine digne , tant pour lui-même que pour les siens. Une existence digne est compatible avec la pauvreté volontaire , celle que prêchait saint François et que pratiquent nos pèlerins voyageur , mais elle est incompatible avec un travail qui réduit toute la raison d'être de l'homme au rôle d'un simple instrument de production ou de transport de richesses matérielles. »

« Le travail qui est exclusivement et grossièrement mécanique ou comporte un déploiement excessif de force musculaire est incompatible avec la dignité humaine ; est pareillement incompatible et immoral le travail qui, tout en n'étant pas en lui-même accablant ou dégradant, se prolonge toute la journée et absorbe tout le temps et toutes les forces de l'ouvrier, de sorte que les rares heures de loisir qui lui restent sont nécessairement consacrées au repos physique et qu'il ne lui reste ni temps ni énergie pour des pensées ou considérations de l'ordre idéal ou spirituel. Outre les heures de repos, il y a, certes, des jours entiers de repos, dimanches et jours de fêtes ; mais le travail physique épuisant et abrutissant des jours de semaine produit aux jours de repos une réaction naturelle – une frénésie de se plonger dans la dissipation et l'oubli de soi , et les jours de repos sont consacrés à satisfaire cette frénésie. »

« Il est aisé de comprendre qu'un ouvrier épuisé, découragé ; aigri par un travail excessif peut produire en seize heures moins qu'il ne produirait en huit heures si il travaillait avec zèle , ayant la conscience de sa dignité humaine et l'assurance des liens moraux qui l'unissent à la société et à l'état lesquels veillent à ses intérêts et ne l'exploitent pas. Ainsi la moralisation des relations économiques entraînerait en même temps un progrès économique. »






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