samedi 30 mars 2019

Faim Suite Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




En ce qui concerne la définition scientifique, précise de la faim comme phénomène biologique, c'est une tâche autrement difficile et compliquée. La science ne l'a pas encore résolue, en dépit des tentatives multiples n'ayant abouti, jusqu'à présent, qu'à de nombreuses hypothèses que nous trouvons superflu d'énumérer ici, en raison même de leur insuffisance. On ne possède pas encore l'explication exacte de la sensation de la faim. La seule chose qu'on peut constater, c'est que, chez la plupart des animaux, la faim (normale) est un certain état physiologique (et aussi psychologique, cérébral) de l'organisme, provoqué par le besoin pressant d'introduire des aliments dans l'estomac plus ou moins vide, besoin se traduisant par un désir aigu de « manger ». La cause fondamentale de cet état de l'organisme doit être la nécessité pour le corps de réalimenter ou de restituer certaines cellules épuisées ou usées, et aussi de recouvrer l'énergie dépensée. En somme, la faim avertit celui qui l'éprouve qu'il est temps d'ingérer des aliments dans les voies digestives afin de soutenir au niveau normal les processus vitaux de l'organisme.
II se peut bien que lorsque la pleine lumière sera projetée sur le phénomène de la faim, sur ses causes et son essence, alors on pourra, se basant sur certaines découvertes biologiques et chimiques, modifier complètement le caractère de notre nourriture, les procédés mêmes de l'alimentation de notre corps, et qu'en conséquence la sensation de la faim subira également des modifications importantes. Si, par exemple, on arrive à remplacer les copieux repas de nos temps par quelques injections introduisant les substances nutritives directement dans le sang, la sensation de la faim devra certes changer de caractère. Ceci, d'autant plus que ces procédés nouveaux devront infailliblement aboutir à des transformations profondes, sinon à l'atrophie complète de tout le système digestif chez l'homme.
Il est, certes, des gens qui, jouisseurs grossiers et bornés de la vie charnelle contemporaine, ou pauvres myopes, pensent avec effroi à cet homme futur, à cet état de choses éventuel. Outre cette consolation qu'ils n'y assisteront pas, nous devons les rassurer : à la place des jouissances modernes matérielles, corporelles, les hommes de l'avenir tiendront à savourer d'autres joies : spirituelles, intellectuelles, créatrices, qu'ils préfèreront aux misérables plaisirs de nos jours. Tout le sens, toute la véritable justification de l'évolution humaine, de cette civilisation tortueuse et dénaturée, consiste en ce que l'homme s'éloigne, à l'aide de son génie créateur, de l'existence et des joies animales, pour s'approcher, après avoir traversé l'ère pénible de la demi-civilisation que nous subissons en ce moment, de la vraie civilisation humaine : d'une existence qui rendra possible, pour tout homme, les insondables, les intarissables joies spirituelles ; les délices intellectuelles, la création illimitée, non sans posséder, en même temps, une santé parfaite et robuste, un corps sain, harmonieux, beau, bien que transformé. C'est pour cette raison qu'il faut certainement préférer à la bonne faim naturelle de l'homme primitif l'absence éventuelle de toute faim chez l'homme futur civilisé. C'est pour cette raison qu'en dépit des horreurs « de la cc civilisation » moderne, il faut, non pas reculer, non pas « retourner à la nature », mais toujours foncer en avant.

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