En ce qui
concerne la définition scientifique, précise de la faim comme
phénomène biologique, c'est une tâche autrement difficile et
compliquée. La science ne l'a pas encore résolue, en dépit des
tentatives multiples n'ayant abouti, jusqu'à présent, qu'à de
nombreuses hypothèses que nous trouvons superflu d'énumérer ici,
en raison même de leur insuffisance. On ne possède pas encore
l'explication exacte de la sensation de la faim. La seule chose qu'on
peut constater, c'est que, chez la plupart des animaux, la faim
(normale) est un certain état physiologique (et aussi psychologique,
cérébral) de l'organisme, provoqué par le besoin pressant
d'introduire des aliments dans l'estomac plus ou moins vide, besoin
se traduisant par un désir aigu de « manger ». La cause
fondamentale de cet état de l'organisme doit être la nécessité
pour le corps de réalimenter ou de restituer certaines cellules
épuisées ou usées, et aussi de recouvrer l'énergie dépensée. En
somme, la faim avertit celui qui l'éprouve qu'il est temps d'ingérer
des aliments dans les voies digestives afin de soutenir au niveau
normal les processus vitaux de l'organisme.
II se peut
bien que lorsque la pleine lumière sera projetée sur le phénomène
de la faim, sur ses causes et son essence, alors on pourra, se basant
sur certaines découvertes biologiques et chimiques, modifier
complètement le caractère de notre nourriture, les procédés mêmes
de l'alimentation de notre corps, et qu'en conséquence la sensation
de la faim subira également des modifications importantes. Si, par
exemple, on arrive à remplacer les copieux repas de nos temps par
quelques injections introduisant les substances nutritives
directement dans le sang, la sensation de la faim devra certes
changer de caractère. Ceci, d'autant plus que ces procédés
nouveaux devront infailliblement aboutir à des transformations
profondes, sinon à l'atrophie complète de tout le système digestif
chez l'homme.
Il est,
certes, des gens qui, jouisseurs grossiers et bornés de la vie
charnelle contemporaine, ou pauvres myopes, pensent avec effroi à
cet homme futur, à cet état de choses éventuel. Outre cette
consolation qu'ils n'y assisteront pas, nous devons les rassurer : à
la place des jouissances modernes matérielles, corporelles, les
hommes de l'avenir tiendront à savourer d'autres joies :
spirituelles, intellectuelles, créatrices, qu'ils préfèreront aux
misérables plaisirs de nos jours. Tout le sens, toute la véritable
justification de l'évolution humaine, de cette civilisation
tortueuse et dénaturée, consiste en ce que l'homme s'éloigne, à
l'aide de son génie créateur, de l'existence et des joies animales,
pour s'approcher, après avoir traversé l'ère pénible de la
demi-civilisation que nous subissons en ce moment, de la vraie
civilisation humaine : d'une existence qui rendra possible, pour tout
homme, les insondables, les intarissables joies spirituelles ; les
délices intellectuelles, la création illimitée, non sans posséder,
en même temps, une santé parfaite et robuste, un corps sain,
harmonieux, beau, bien que transformé. C'est pour cette raison qu'il
faut certainement préférer à la bonne faim naturelle de l'homme
primitif l'absence éventuelle de toute faim chez l'homme futur
civilisé. C'est pour cette raison qu'en dépit des horreurs « de la
cc civilisation » moderne, il faut, non pas reculer, non pas «
retourner à la nature », mais toujours foncer en avant.
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