lundi 11 mars 2019

La lanterne noire N°2




Les LIP

«Ce problème de l'isolement est donc celui de la solidarité, tant évoquée, comme si elle allait de soi, et comme s'il suffisait d'en prononcer le nom pour que cela soit chose faite, Mise au Point montre bien que la seule phase où s'est manifestée une solidarité active et concrète, dans une relation réciproque, se place au moment Où l'usine a été occupée par les C,R.S. - et comment les ouvriers descendus dans la rue pour les affronter se sont laissés ramener au calme par les deux syndicats, « Plus faible que l'obéissance aux syndicats », cette solidarité concrète a néanmoins existé - et se différencie dès lors de toutes les déclarations, prises de positions, de toutes les formes d'action qui se sont présentées comme actes de solidarité sans parvenir à dissiper la contusion, soit iparce que cette forme d'action était spectaculaire (comme la marche sur Besançon), soit parce que les conditions, de mise en place restaient obscures et peu analysées (le meeting Mutualité du 12 décembre). »


« L'intention de Mise au Point est avant tout de montrer, sur le cas de Lip, comment une action, non seulement collective mais aussi autonome, dans la détermination des buts et des moyens, une action directe par conséquent. transforme la mentalité des travailleurs qui s'y engagent. Et comment elle peut être aussi l'indice des transformations déjà accomplies, On rappelle ainsi les atteintes collectives à la légalité, à la propriété bourgeoises, protégées d'ordinaire ne serait-ce que par la peur de la transgression entretenue par les syndicats ; ceux-ci ne pouvant sans se détruire eux-mêmes assumer ouvertement l'illégalité d'actions comme saisie de stocks, ventes sauvages, paies sauvages, etc. Mise au point analyse aussi longuement la nature et le rôle du Comité d'Action, forme qui au départ, ne résulte pas de magouilles syndicales ni de quelques initiatives individuelles, mais bien, comme les AG, les commissions, etc, de la participation massive des travailleurs à cette lutte (sans exprimer entièrement celle-ci, d'ailleurs). »

« Mise au nomt ne dissimule certes pas que l'action autonome des tra- vailleurs, leur participation massive, leur réunion dans le CA, etc, n'ont pas réussi à déposséder les syndicats ni de la direction des luttes ni de leur emprise sur les travailleurs - y compris les plus radicaux des membres du CA, qui renoncèrent en certains cas à exprimer leur position face à celles des syndicats, Elles n'ont pas non plus réussi à faire prévaloir les objectifs liés à l'action autonome (développement de la force des travailleurs dans une lutte irréconci- liable avec le . système capitaliste) sur les objectifs syndicaux - et patronaux - de la négociation. Le maintien de la domination syndicale, et donc capitaliste, sur la mentalité des travailleurs, Mise au Point en donne une raison dernière: c'est le refus de la réflexion théorique sur l'action collective et ses conditions, qui empêche la constitution d'une ligne d'action plus cohérente et plus mobilisatrice. Ce refus laisse, une fois de plus, aux prétendus spécialistes, bonzes et experts syndicaux, le soin d'élaborer les données et de formuler les conclusions théoriques - et pratiques, Dans la lutte des Lip, la remise en cause de la division du travail, constatable ailleurs, n'est pas parvenue jusqu'à ce point: les travailleurs ayant renoncé à penser ensemble et par eux-mêmes. »

«C'est un peu ce qu'indique Mise au Point en constatant que la mentalité des travaîlleurs peut évoluer en rapport avec les luttes qu'ils mènent cette évolution ayant dans Chaque cas des limites repérables, Quant à ce qui déclenche ces luttes nouvelles et cette évolution, Mise au Point a tort de craindre le reproche de subjectivisme: il explique en effet que les Lip sont entrés dans l'action illégale, non par choix politique ou par marginalisme, mais bien « par nécessité de trouver les moyens de lutte dans un combat où ils défendaient finalement les conditions de vie d'ouvriers qualifiés» »

« Décrivant cette lutte avec ses hardiesses, ses hésitations et ses" confusions, Mise au point y voit une « étape dans le long processus de liquidation de ce passé de défaite qui pèse sur l'action de la classe ouvrière. Mais comme chaque étape d'un nouveau mouvement ouvrier, elle constitue aussi une brêche dans le vieux monde». Optique qui se veut encourageante, et qui risque pourtant de raire l'effet inverse : une étape, une de plus, rien de plus, sur un long chemin conduisant on ne sait où, on ne sait quand,., Ce n'est sûrement pas ainsi que l'on vécu ceux qui l'ont fait; et il resterait à comprendre pourquoi cette simple « étape» a suscité en tous lieux tant de réactions, de passions, d'illusions, pourquoi le nom de Lip est si évocateur »

«De la même façon toute lutte pour les salaires, ainsi que pour les conditions du travail, pourra être interprétée comme potentiellement (?) ou réelle- ment contre-révolutionnaire, puisqu'elle n'inclut pas dans son contenu la « destruction» (?) de l'emploi, du travail, de l'entreprise, du patron, du capital : on se trouve ainsi ramené au problème du sens des revendications économiques mais posé en des termes qu'on pouvait pourtant espérer avoir dépassés, depuis 70 ans! »


Critique sur le mouvement LIP :

«Quand nous sommes maîtres auxiliaires, c'est-à-dire le plus souvent sans emploi, nous gueulons pour trouver un poste; avec ou sans syndicat, selon l'efficacité possible. Quand nous sommes professeurs et que l'un d'entre nous est viré, on gueule pour sa sa réintégration. Quand nous sommes employés dans une petite boite où il va y avoir de compression de personne, on fait grève, puis on va chercher du boulot ailleurs si cela n'a rien donné. Où et quand sont posés alors les problèmes de la finalité de l'école, du bureau d'assurance ou de la boîte où on travaille? A côté, à d'autres moments jamais, ou presque, quand il y a un conflit sur le problème de l’emploi. Le fait est qu'on ne peut être radical de l'extérieur, et que sans salaire, pas de vie, pas de contestation, sinon stérile. »

« On a bien souvent l'impression lorsqu'on est « anti-syndicaliste », de mener des luttes en dehors des syndicats; et pourtant on ne se rend pas compte que le syndicalisme, même révolutionnaire, ce n'est pas seulement une affaire de structure, d'encadrement, d'organisation, c'est aussi un contenu, c'est autant ce que l'on demande que la façon de le demander. Le problème est que les syndicats ne sont plus efficaces, alors on fait A COTE et contre eux ce qu'en d'autres temps ils auraient très bien pu faire; actions plus violentes, plus minoritaires" plus efficaces, et plus autonomes aussi, plus près de l’engagement à la base et non bureaucratiques. »

«La mise à jour de cette contradiction, chez nous autant qu'à LIP, est le point de départ d'un dépassement de l'éternel conflit entre réformisme et révolution, On a souvent répondu à cette question en affirmant que les périodes révolutionnaires, insurrectionnelles, étaient précisément ce dépassement en acte à un moment où le « réformisme » n'avait plus de sens puisque concrètement était envisageable un changement radical des rapports sociaux. Malheureusement cela me semble peu probable, car alors, encore .t toujours, se posent de nouveaux problèmes qui peuvent se résoudre de manière différente suivant que l'on veut « risquer tout » pour aller encore plus loin, ou consolide, ce que l'on pense avoir conquis. »

«  Parce que ce fameux moyen d'action résonnait bien dans le contexte politique du moment; tous pouvaient y retrouver leurs petits: les modernistes de la CFDT et leur autogestion, les gauchistes et leur autogestion, les ultragauchistes et leur critique de l'autogestion. Il ,yen avait pour ·tous les goûts d'autant que chacun pouvait se sentir -légitimé à parler sur le sujet étant donné la facilité qu'il pouvait y avoir de croire pouvoir s'appuyer sur un semblant de base grâce à l'ouverture décrite plus haut, D'une certaine manière donc les LIP ont facilité le racket; mais pouvait-il en être autrement? LIP donnait l'image d'une classe ouvrière triomphante, « jamais battue ", qui correspond très exactement aux désirs et aux analyses des gauchistes, Quoi de plus logique alors qu'Ils se soient précipités sur un événement qu'ils n'avaient pas créé pour s'y alimenter (et nous aussi d'une certaine manière quoique plus tardivement), C'est bien souvent leur fonction que celle du parasitage ! »

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