Dès que
nous atteignons l'antiquité grecque et romaine, apparaît avec une
insistance souvent excessive le souci d'influencer les mœurs. Le but
moral s'appesantit comme la raison d'être de l'œuvre. « Tout ce
qu'on demande aux fables est de corriger les erreurs des hommes »,
dira Phèdre. Aussi l'intérêt se ressent de cette préoccupation,
et la poursuite constante du bienétouffe souvent la floraison du
beau.
La fable
grecque qui a ses sources propres et lointaines, et n'a rien, ou peu,
reçu des narrateurs indiens voit dans HOMÈRE (IXème siècle av. J.
C.), avec ses légendes poétiques des Lestrigeons, des Letophages et
du Cyclope ; dans Archiloque de Paros (VIIème siècle) inventeur du
vers ïambique (« cette arme de la rage », comme dit Horace) avec
ses élégies, ses pamphlets imagés ; dans Stésichore (VIIème
siècle) avec l'Aigle et le Renard ; et surtout dans HÉSIODE (IXème
ou VIIIème siècle) ses premières productions durables. Le poème
affabulé du Faucon et du Rossignol, volontiers cité, révèle en
effet les traits essentiels du genre. Voltaire considère la fable de
Vénus, reprise par Hésiode, comme une allégorie de la nature
entière. « Les parties de la génération sont tombées de l'éther
sur le rivage de la mer ; Vénus naît de cette écume précieuse ;
son premier nom est celui d'amante de la génération... »
Cependant,
la fable ne brille véritablement qu'à l'époque où des hypothèses
situent l'existence d'Esope le Phrygien (VIIème ou VIème siècle
av. J. C.). Cet ESOPE, la tradition nous le montre accablé de tels
défauts physiques que « quand il n'aurait pas été de condition à
être esclave, il ne pouvait manquer de le devenir », mais doué
d'un si bel esprit que ses maîtres les plus durs finissent par subir
l'ascendant de ce caractère propre à « exercer la patience du
philosophe ». D'événements malheureux, dont les siens ne sortent
d'ordinaire qu'au prix de cruels châtiments, Esope devient le héros
loué pour sa finesse. On transmet avec agrément les aventures des
figues dérobées, du fardeau, de la vente de Samos, du magistrat et
surtout du repas des langues (la meilleure et la pire des choses),
comme autant d'à-propos sagaces et parfois astucieux. « Son âme se
maintînt toujours libre et indépendante de la fortune. » Affranchi
plus tard par Xanthus ―après l'incident de l'anneau des Samiens
―il crible de ses traits, pour leur cupidité, les prêtres
d'Apollon, récite aux Athéniens, après l'usurpation de Pysistrate,
l'apologue des Grenouilles demandant un roi. Pour avoir comparé les
Delphiens aux « bâtons qui flottent sur l'eau » il est condamné à
être précipité et se défend par la menace de la Grenouille
entraînant le Rat sous l'ondeet en évoquant le sort de «
l'Aigleinsensible aux objurgations de l'Escarbotet que punit
Jupiter... »
Avec Esope,
la fable, orientée vers le proverbe final, concise et froide quoique
subtile, et malgré que les animaux y soient aussi des auxiliaires,
abandonne en couleur ce qu'elle gagne en clarté, et la sentence
souvent nous prive du tableau. L'invention demeure, cependant,
spirituelle, et un sens aigu du sarcasme qui font de la fable une
arme incisive et durable. Des maximes ainsi persistent, qui devancent
et préparent les vertus socratiques... Les fablesdites ésopiques
―qui embrassent vraisemblablement les œuvres de divers fabulistes
et demeurèrent longtemps orales ― sont groupées, en prose, au
IVème siècle, par Démétrio de Phalène. Au XIVème siècle, un
nouveau recueil, condensé et épuré, en est rédigé par Planude,
moine de Byzance, auteur d'une Viefantaisiste d'Esopedans laquelle La
Fontaine puisera plus tard en invoquant la tradition. Citons, parmi
les plus connues des fables d'Esope : La Cigale et la Fourmi; Le Loup
et l'Agneau ; Le Lion et le Moucheron ; Le Lièvre et les Grenouilles
; Le Loup et la Cigogne ;Le Chat et un vieux Rat; Le Singe et le
Dauphin; Le Chameau et les Bâtons flottants; La Grenouille et le
Rat; Le Lièvre et la Tortue; L'Aigle et l'Escarbot, etc...
Au IIème
siècle avant J. C. BABRIUS ―après Socrate ―versifie en grec un
certain nombre de fables d'Esope et s'essaie lui-même agréablement
à la composition. On transformera, au moyen âge, ses ïambes en
quatrains et c'est sous cette forme que La Fontaine compulsera «
Gabrias ». Notons de lui : La Chauve-Souris et. les deux Belettes ;
L'Observateur des Astres et le Voyageur; Philomène et Progné; le
Cheval et le Cerf ; Le Soleil et les Grenouiles, etc... Au IIème
siècle, Aristide Millet, un ancêtre du conte, groupe, dans ses
Milésiaques, de vieux récits populaires d'Iônie. Traduits en latin
par Sisenna, ces contes milésiens, tour à tour délicats et
licencieux, alimenteront plus tard les auteurs de fabliaux et
Boccace, Shakespeare, Rabelais, La Fontaine. Aphtonius, au Vème
siècle, laisse quelques fables en prose dont on retrouve la trace
chez ses successeurs : L'Oiseau blessé d'une flèche; Le Corbeau
voulant imiter l'Aigle; L'Âne et le Loup; Le Cheval, la Chèvre et
le Mouton, etc...
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