dimanche 17 mars 2019

LA FABLE ANTIQUE. LA GRÈCE : ESOPE Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure



Dès que nous atteignons l'antiquité grecque et romaine, apparaît avec une insistance souvent excessive le souci d'influencer les mœurs. Le but moral s'appesantit comme la raison d'être de l'œuvre. « Tout ce qu'on demande aux fables est de corriger les erreurs des hommes », dira Phèdre. Aussi l'intérêt se ressent de cette préoccupation, et la poursuite constante du bienétouffe souvent la floraison du beau.
La fable grecque qui a ses sources propres et lointaines, et n'a rien, ou peu, reçu des narrateurs indiens voit dans HOMÈRE (IXème siècle av. J. C.), avec ses légendes poétiques des Lestrigeons, des Letophages et du Cyclope ; dans Archiloque de Paros (VIIème siècle) inventeur du vers ïambique (« cette arme de la rage », comme dit Horace) avec ses élégies, ses pamphlets imagés ; dans Stésichore (VIIème siècle) avec l'Aigle et le Renard ; et surtout dans HÉSIODE (IXème ou VIIIème siècle) ses premières productions durables. Le poème affabulé du Faucon et du Rossignol, volontiers cité, révèle en effet les traits essentiels du genre. Voltaire considère la fable de Vénus, reprise par Hésiode, comme une allégorie de la nature entière. « Les parties de la génération sont tombées de l'éther sur le rivage de la mer ; Vénus naît de cette écume précieuse ; son premier nom est celui d'amante de la génération... »
Cependant, la fable ne brille véritablement qu'à l'époque où des hypothèses situent l'existence d'Esope le Phrygien (VIIème ou VIème siècle av. J. C.). Cet ESOPE, la tradition nous le montre accablé de tels défauts physiques que « quand il n'aurait pas été de condition à être esclave, il ne pouvait manquer de le devenir », mais doué d'un si bel esprit que ses maîtres les plus durs finissent par subir l'ascendant de ce caractère propre à « exercer la patience du philosophe ». D'événements malheureux, dont les siens ne sortent d'ordinaire qu'au prix de cruels châtiments, Esope devient le héros loué pour sa finesse. On transmet avec agrément les aventures des figues dérobées, du fardeau, de la vente de Samos, du magistrat et surtout du repas des langues (la meilleure et la pire des choses), comme autant d'à-propos sagaces et parfois astucieux. « Son âme se maintînt toujours libre et indépendante de la fortune. » Affranchi plus tard par Xanthus ―après l'incident de l'anneau des Samiens ―il crible de ses traits, pour leur cupidité, les prêtres d'Apollon, récite aux Athéniens, après l'usurpation de Pysistrate, l'apologue des Grenouilles demandant un roi. Pour avoir comparé les Delphiens aux « bâtons qui flottent sur l'eau » il est condamné à être précipité et se défend par la menace de la Grenouille entraînant le Rat sous l'ondeet en évoquant le sort de « l'Aigleinsensible aux objurgations de l'Escarbotet que punit Jupiter... »
Avec Esope, la fable, orientée vers le proverbe final, concise et froide quoique subtile, et malgré que les animaux y soient aussi des auxiliaires, abandonne en couleur ce qu'elle gagne en clarté, et la sentence souvent nous prive du tableau. L'invention demeure, cependant, spirituelle, et un sens aigu du sarcasme qui font de la fable une arme incisive et durable. Des maximes ainsi persistent, qui devancent et préparent les vertus socratiques... Les fablesdites ésopiques ―qui embrassent vraisemblablement les œuvres de divers fabulistes et demeurèrent longtemps orales ― sont groupées, en prose, au IVème siècle, par Démétrio de Phalène. Au XIVème siècle, un nouveau recueil, condensé et épuré, en est rédigé par Planude, moine de Byzance, auteur d'une Viefantaisiste d'Esopedans laquelle La Fontaine puisera plus tard en invoquant la tradition. Citons, parmi les plus connues des fables d'Esope : La Cigale et la Fourmi; Le Loup et l'Agneau ; Le Lion et le Moucheron ; Le Lièvre et les Grenouilles ; Le Loup et la Cigogne ;Le Chat et un vieux Rat; Le Singe et le Dauphin; Le Chameau et les Bâtons flottants; La Grenouille et le Rat; Le Lièvre et la Tortue; L'Aigle et l'Escarbot, etc...
Au IIème siècle avant J. C. BABRIUS ―après Socrate ―versifie en grec un certain nombre de fables d'Esope et s'essaie lui-même agréablement à la composition. On transformera, au moyen âge, ses ïambes en quatrains et c'est sous cette forme que La Fontaine compulsera « Gabrias ». Notons de lui : La Chauve-Souris et. les deux Belettes ; L'Observateur des Astres et le Voyageur; Philomène et Progné; le Cheval et le Cerf ; Le Soleil et les Grenouiles, etc... Au IIème siècle, Aristide Millet, un ancêtre du conte, groupe, dans ses Milésiaques, de vieux récits populaires d'Iônie. Traduits en latin par Sisenna, ces contes milésiens, tour à tour délicats et licencieux, alimenteront plus tard les auteurs de fabliaux et Boccace, Shakespeare, Rabelais, La Fontaine. Aphtonius, au Vème siècle, laisse quelques fables en prose dont on retrouve la trace chez ses successeurs : L'Oiseau blessé d'une flèche; Le Corbeau voulant imiter l'Aigle; L'Âne et le Loup; Le Cheval, la Chèvre et le Mouton, etc...

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