Une
incursion dans la littérature étrangère nous montre la fable, de
la Méditerranée à la mer du Nord et de l'Atlantique à l'Oural,
soumise au même processus dépendant : imitation primordiale de
l'antiquité, imitation de La Fontaine ensuite, imitation, entre eux,
des fabulistes d'un pays ; plan commun de convention, sujets remaniés
ou similaires, même figure traditionnelle. Quelques trouvailles
dispersées, les structures de l'idiome, des nuances ethniques, voilà
tout l'apanage de cette fable de traduction... Les pays scandinaves,
à l'écart des grandes foulées d'invasion, ne reçoivent ―à part
la Suède ―qu'en ondes légères les influences extérieures. Aussi
la fable s'y baigne-t-elle librement dans un folklore original
intégré peu à peu au patrimoine national. À peine contrariée par
d'infinies pénétrations, elle évolue selon son rythme propre,
s'épanouit dans ce conte large et mélancolique, en incessant repli
sur l'âme. Les légendes qui, de brume en brume, ont survolé le
temps, une poésie naïve et pénétrée les berce et les affine, en
fait comme la pulsation profonde et nostalgique d'un peuple. La fable
rejoint ainsi, aux confins d'une rêverie lancinante, toutes les
productions d'un climat.
En Italie,
citons VERDIZOTTI (Le Loup devenu Berger) ; La Femme noyée ; Jupiter
et le Métayer ; Phébus et Borée, etc... ) ; PASSERONI (1713-1802),
célèbre pour ses Fabule esopiane; PIGNOTTI (1739-1812) dont les
fables ont la clarté de l'historien qu'il fut avant tout, mais un
peu de froideur ; BERTOLA (XVIIIème siècle), etc...
En Espagne :
JEAN RUIZ DE HITA (XIVème siècle) dans son Libro de cantares, un
des monuments de la littérature archaïque de l'Ibérie, prodigue, à
côté des lyriques Canticas de serranaet d'épisodes mêlés de
prières, des Exemplos, apologues d'emprunt antique ou oriental.
TOMAS DE YRIARTE (1750-1791) est le traducteur de l'Art poétique
d'Horace ; ses fables sont ingénieuses et fines. Des œuvres
littéraires de Samaniego (1745-1806), protagoniste de l'instruction
populaire, survivent ses Fabulas en verso castillanoqu'il mit au
service de son prosélytisme.
En
Angleterre, citons : MOORE (XVIIème siècle), avec ses fables et
satires ; GAY (16881732) qui, après les pastorales de La Semaine du
Berger, écrit des fables pour l'éducation du duc de Cumberland. Sa
nature indolente et bonhomme, une vie insoucieuse dont les grands
assurent les dépens, lui donne avec La Fontaine quelques curieuses
similitudes ; DOBSLEY ; JOHNSON (XVIIIème siècle), etc... ; les
Contes sociauxde Miss MARTINEAU (1833) ; les Contesde miss EDGEWORTH.
En Hollande : JACOB, KATZ, etc...
En Belgique,
nous rencontrons STASSART (1780-1854) dont les fables sont populaires
(telles : Le Dromadaire et le Singe) ; en Suisse : J.J. PORCHAT
(1800-1864), qui s'est attaché à écrire pour la jeunesse et a
publié, entre autres, Recueil de Fables, Glanures d'Ésope, Fables
et Paraboles, etc... Il développe des sujets variés avec bonheur et
naturel. Voici (dans Les Poires) un couple de paysans dont il campe
avec vigueur et sobriété la rapacité matoise. Laborieusement
décidés à l'offrande, afin d'appeler sur leur fils les bonnes
grâces de l'intendant, ils ont, celles-ci les devançant, un
tourné-court venu « du cœur » :
Brave homme,
bon enfant ! dit le vieillard touché.
...Femme,
portons demain ces poires au marché.
En Allemagne
: de GILBERT (1715-1769) professeur d'éloquence, auteur de Contes et
Fables, voire de cantiques, d'un talent dégagé et spirituel ; GLEIM
(1719-1803), écrivain de l'école anacréontique, mécène des
jeunes littérateurs, qui cultive la poésie badine, la pastorale et
compose des fables où il imite La Fontaine ; G. LESSING (1729-1781),
écrivain considérable, précurseur de la période classique, esprit
exact et rationaliste, qui introduit dans ses Fablesun louable souci
de simplicité porté jusqu'à la sécheresse ; M. LICHTEVER
(1719-1783) qui imite Gellert et l'éclipse souvent par ses qualités
narratives et sa personnalité. Son recueil : Quatre livres de fables
épisodiques, ès goûté, est traduit en français ; PFEFFEL ;
HAGEDORN (XVIIIème S.), avec ses odes, chansons, poésies morales où
revit l'épicurisme d'Horace, et des Fableset contes en vers où se
fait sentir l'influence de La Fontaine, etc... Rapprochons ici des
fables proprement dites les Contes d'enfants et de familledes frères
GRIMM, avec les légendes du folklore allemand, reconstitution naïve
et délicate de la littérature primitive ; les contes de Wieland
(1733-1813) contemplatif, puis voltairien, contes divers d'une gamme
exquise et variée ; les contes fantaisistes de TIECK (17731853) ―à
la fois précis et romantique ―dont l'ironie et la maîtrise
dramatique témoignent d'un talent sûr et souple (Contes populaires,
Phantasus, etc...) ; les contes populaires de MUSŒUS (XIXème
siècle), avec ses elfes et ses gnomes (Rübezahl) ; les contes
moraux de MEISSNER (1802) et d'Aug. LA FONTAINE (1814) plutôt
nouvelles et menus romans, etc...
En Russie,
KRYLOW (1768-1844), fabuliste national, débute par deux adaptations
de La Fontaine (Le Chêne et le Roseau, La Fille) et publie plus tard
son recueil de trois cent fables (Basni) où figurent toutes les
classes de la Société.
La Suède
―la plus ouverte des Scandinaves ―n'a, de longtemps, en propre,
que les rudiments d'une ancienne poésie héroïque et des fragments
de lois orales versifiées. À travers le Christianisme et la
prédominance latine qui survit à la Réforme, des sympathies
oscillant du classicisme français à l'Angleterre démocratique, les
constitutives d'une langue originale s'ordonnent avec peine, et la
littérature ―même nationale ―continue de payer au continent
(jusqu'à ces derniers siècles où elle reconquiert un
particularisme vigoureux) un assez lourd tribut d'influence. Dans une
production confuse et mouvante, les genres les plus heurtés s'y
disputent de passagères prépondérances. La fable y a pour
représentants : GYLLENBORG (1731-1808) ; BELLMANN (1740-1795) avec
ses Satires Morales ; VITALIS (Sjöberg) 1794-1828, dont les Poèmes,
reflets de sa vie tourmentée, sont empreints d'une misanthropique
mélancolie. De ses Fables, relevons, dans Le Paon et le Rossignol :
...
l'avantage ordinaire
Qu'ont sur
la beauté les talents ;
Ceux-ci
plaisent de tous les temps,
Et l'autre
n'a qu'un temps pour plaire...
Mentionnons
aussi SNOÏLSKY (1841-1903) avec ses Légendes et Contes en vers (La
Nouvelle Cendrillon, Ginevra)etc...
L'âpre
Norvège, affranchie des liens danois, voit se parfaire son
indépendance littéraire (qu'ont assurée déjà les Wergelandet,
les Welhaven) par l'effort des Asbjœrnsen et des Mœ, « tous deux
rassembleurs zélés des vieux contes norvégiens, dont l'union
féconde révèle au pays les trésors du folklore indigène ».
ASBJŒRNSEN (1812-1885), un simple attaché à ses origines,
recueille, des paysans, une précieuse moisson de légendes. Il
traduit d'abord les Contes de Grimm, mais bientôt uniquement
attentif au miroir natal, dégage, avec Mœ, ses Contes populaires
norvégiens, puis ses égendes des Esprits de la Montagne... JŒRGEN
MŒ (1813-1882) fouille au cœur des vieilles langues rustiques,
écrit des poèmes, puis des chansons, des chants alternés en
patois, enfin ces Contes―en collaboration ―où s'épanouissent
les richesses originales du terroir... De ces bâtisseurs, la
littérature montera aux Bjœrnson et aux Ibsen, à la fois si
Norvégiens et si humains...
Jusqu'au
XVIIIème siècle, la littérature danoise tient toute entière dans
les « sagas » historiques et dans la mythologie de l'Edda,
compositions plus ou moins mêlées aux « Chants populaires ».
Puis, au XIXème siècle s'affirment, dans une note grave et
inspirée, poètes, romanciers et conteurs. Parmi ces derniers émerge
ANDERSEN (1805-1875) dont les Contes, imaginés ou légendaires, si
caractéristiques et pensés, sont connus dans toute l'Europe (Le
Père, le Nid d'Aigle ; Le Briquet; Petit Claus ; Le Coffre volant,
etc...).
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