Connaissance acquise
par l'épreuve personnelle que l'on a faite d'une chose, soit
volontairement par l'observation et la pratique, soit
involontairement, par suite des circonstances dans lesquelles on
s'est trouvé placé. Le mot expérience ne sert pas seulement à
désigner le résultat de l'épreuve personnelle, quant à
l'augmentation des connaissances acquises, mais le moyen par lequel
ce résultat a été obtenu, c'est-à-dire l'épreuve elle-même. On
dit : « C'est un homme d'expérience » en parlant de quelqu'un
ayant eu l'occasion de beaucoup observer et l'avantage de beaucoup
retenir. Mais on dit aussi : « Le talent de ce romancier s'inspire
de ses expériences amoureuses » ; ou bien encore : « Les
expériences de ce savant ont justifié toutes nos suppositions ».
Les vieillards se réclament volontiers des droits que leur donne
l'expérience, pour essayer d'imposer leurs opinions à autrui. C'est
là une prétention excessive. D'abord, parce qu'il suffit de
questionner des vieillards sur maints sujets, notamment dans les
domaines de la politique et de la religion, pour constater qu'ils
sont loin d'être d'accord entre eux, ce qui ne manquerait pas de se
produire s'il était vrai qu'il suffît d'avoir un grand âge pour
acquérir, à l'égard de toutes choses, une sorte d'infaillibilité.
Ensuite, parce que l'expérience de beaucoup de personnes âgées,
dont l'existence fut surtout végétative, préoccupées chaque jour
d'effectuer les mêmes gestes, en relation avec les mêmes personnes,
dans un décor identique, n'est en vérité qu'une expérience
insuffisante, pour apprécier la vie dans sa complexité, Enfin,
parce que faire valoir au cours d'une discussion, que l'on a les
cheveux blancs, constitue une référence sans doute, quant au
caractère sérieux des propos émis, mais ne devrait jamais
dispenser une personne raisonnable de faire, avec des arguments plus
positifs que celui-ci, la démonstration de ce qu'elle affirme. On
n'a pas forcément raison parce que l'on est âgé, ou parce que l'on
est père de famille, ou parce que l'on a été soldat. On a raison
quand on a pour soi la logique et l'observation des faits. Sous
réserves de ces remarques, il est exact que, si la jeunesse a pour
elle la générosité des enthousiasmes, et le courage désintéressé,
qui s'allient fréquemment à là candeur, l'âge mûr a pour lui le
sens réaliste, et les prudentes méthodes suggérées par les
difficultés graves que l'on rencontre dans la pratique. Encore ne
faut-il point confondre ces avantages intellectuels avec la
sécheresse de cœur, et l'esprit de routine, qui caractérisent tant
de gens ayant traversé la vie sans voir et dont les jugements
portent la marque de l'égoïsme et de l'irréflexion. Dans le
domaine scientifique, la méthode expérimentale, qui consiste dans
le contrôle des idées par les faits, est la seule qui donne des
résultats certains. Tant que l'on discute sur des données
métaphysiques, ou d'après des convenances philosophiques
personnelles, les systèmes s'affrontent sans grand profit, et l'on
n'arrive point à conclure, du moins d'une manière satisfaisante
pour tout le monde. La preuve par le fait évident pour quiconque ne
se refuse point à ouvrir les yeux, est l'argument sans réplique. Il
réduit à néant les thèses chimériques, et met un terme aux
ratiocinations vaines. C'est grâce à la méthode expérimentale,
telle que la conçurent Galilée, Newton, Descartes, Claude Bernard,
que la science, se dégageant des idées préconçues, nées de
l'influence religieuse et des préoccupations abstraites, a donné de
si merveilleux résultats, en ne s'inspirant désormais que de la
libre recherche de la vérité. Partout où elle peut s'exercer, la
méthode expérimentale est, pour ce qui concerne l'enseignement, la
meilleure et, en même temps, la plus honnête. Avec elle, il n'est
point nécessaire, pour convaincre, de faire appel à l'autorité de
la tradition, ni au témoignage des ancêtres en faveur d'une
douteuse révélation. Il suffit d'inviter l'élève à se rendre
compte par lui-même de la réalité des faits décrits par le livre.
A l'écolier qui douterait de ceci : qu'un acide répandu sur un
calcaire détermine une effervescence, il serait fâcheux de répondre
: « Tu dois le croire parce que j'ai un diplôme et que je suis ton
aîné! » Il est beaucoup plus sage, et plus modeste, et plus
affectueux, et plus convaincant aussi, de dire à l'enfant : « Voici
du vinaigre et un morceau de craie. Verse donc sur la craie quelques
gouttes de vinaigre, et décris-moi ce qui va se passer! »
- Jean
MARESTAN.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire