samedi 30 mars 2019

FAMILISTÈRE n. m. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Le mot familistère désigne un établissement où plusieurs familles vivent en commun, dans le système de Fourier, ou plus précisément : des familles, unies par des liens moraux et économiques et groupées en des habitations contiguës, qui apportent à la satisfaction de leurs besoins généraux le renfort et les bienfaits d'une organisation commune. Cette organisation est regardée comme fonction d'un milieu favorable à la naissance et au développement d'une nouvelle moralité sociale et le familistère devient la cellule initiale d'un régime appelé à substituer l'harmonie de l'association au désordre de la concurrence. Avant d'aborder, à ce propos et sur ce principe, l'examen de la plus typique et de la plus durable des tentatives qu'ai animé l'esprit fouriériste, il est bon, si nous voulons en suivre de plus près l'inspiration, que nous embrassions, à travers la première moitié du XIXème siècle, le mouvement social à son éveil.

LES IDÉES SOCIALES AU DÉBUT DU XIXème SIÈCLE
QUELQUES PRÉCURSEURS

La Révolution de 1789 ‒ à part l'effort tardif et primaire de Babeuf et de sa République des Égaux ‒ avait limité d'une part à l'abolition du servage et à la possibilité d'acquérir les biens nationaux, et, d'autre part, il la délivrance du métier du cadre des corporations, une tâche économique dont l'importance, par ailleurs, lui avait échappé. Dans une France foncièrement agricole, où l'industrie sommeillait encore dans l'artisanat, la libération des couches paysannes appelées à la propriété semblait ouvrir, avec une dispersion équitable de la richesse nationale, l'ère d'une harmonieuse prospérité. Le transfert opéré, souvent au profit d'habiles accapareurs, on s'aperçut qu'il ramenait à l'astuce et à la rapacité une partie des terres enlevées aux seigneurs et que s'ébauchait, au détriment de l'équilibre, une décevante concentration. En même temps, le réveil véritable de l'industrie qui arrachait à l'atelier et à l'échoppe toute une branche du travail et poussait l'ouvrier sous les fourches caudines du salariat faisait surgir de l'ombre une face encore insoupçonnée de l'esclavage. À l'observateur attentif apparurent les symptômes d'un mal grandissant, dont le prodigieux épanouissement mécanique du siècle allait précipiter les ravages. Et des chercheurs passionnés se lancèrent à la poursuite de remèdes dont l'urgence se poserait vite avec brutalité. De leurs chevauchées audacieuses et souvent chimériques, suivons le défilé succinct...
Le premier en date de ces réformateurs sociaux est SAINT-SIMON (17601825). Des divers ouvrages qu'il écrit au cours d'une vie active et mouvementée se dégage le curieux principe d'une société toute scientifique où le déisme fait place au physicisme et dont l'organisation s'appuie sur le pouvoir des « sages », des savants. Mais surtout s'y affirme une philosophie (celle des Leibnitz, des Condorcet), demeurée abstraite jusque là, et dont Saint-Simon veut faire un facteur de progrès économique : c'est la perfectibilité, non seulement des êtres, mais de la société. « L'âge d'or, dit-il, est en avant, non en arrière ». Il rêvait, sur la fin de sa vie, de voir la religion s'élargir, elle aussi, sous la poussée de cette sollicitation universelle et gagner une réalisation étendue des maximes évangéliques. Il ouvre, par l'entrebâillement du dogme sur les sciences positives, la voie d'une part au catholicisme assoupli de modernisme et, par tactique, démocratique à ses heures et, d'autre part, à ce libéralisme chrétien qui, à travers Reynaud et Lamennais ira mourir à Marc Sangnier. Nonobstant leur dynamisme, ses idées sont, de son vivant, très peu remarquées. Mais ses disciples (Duvergier, Enfantin, Bazard, Pierre Leroux, Lechevalier, Jean Reynaud, H. Carnot, Auguste Comte, etc., et, pour un temps, Blanqui) lui assureront un glorieux retentissement.
Penchés sur le passé, non plus pour enfermer le présent dans la glace tombale des « vérités » retrouvées, mais pour en démêler les clartés qui jalonnent et les lois qui régissent le développement du genre humain, ils vont, élargissant le domaine des tâches de l'esprit jusqu'aux intérêts du peuple dont leur cœur rejoint la souffrance, et, pénétrés des enseignements de Condorcet, à savoir que « toutes les institutions doivent avoir pour but l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », travailler à la régénération de l'humanité. Pour les saint-simoniens, l'association universelle (avec ses états organiques) doit se substituer à l'antagonisme (états critiques). « Tout homme doit travailler » et le principe « à chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres » étagera, sous l'omniscience de l'État, toute la société. Mais, pour mettre fin à l'exploitation de l'homme par l'homme, il faut d'abord récuser, en droit et en fait, la propriété héréditaire. « L'État héritera des richesses accumulées et répartira les instruments de travail suivant les besoins et les capacités .. Une banque centrale, avec des banques spéciales, organisera la production méthodique sans disette ni encombrement. L'enseignement exercera l'activité matérielle de l'enfant pour l'industrie, la faculté Rationnelle pour la science, la sympathie pour les beaux-arts. Il faut, d'autre part, une religion plus puissante que les religions antérieures, réhabilitant la matière actuellement sacrifiée à l'esprit. Les prêtres coordonneront les efforts des savants et des industriels : c'est vers une théocratie nouvelle que s'acheminera la Société. » (Larousse.) Et voilà Dieu et l'État (providence en deux personnes) « scientisés » et promus guides suprêmes du nouveau char social...
Un des disciples sociaux ‒ le plus original peut-être ‒ de Saint-Simon, et longtemps un chef reconnu, ENFANTIN (1796-1864) veut poursuivre la réformation des mœurs jusque dans le mariage et la famille, proclame « l'égalité de la chair devant l'esprit, le droit des amours mobiles égal à celui des unions constantes ». Et, sans parler de l'atteinte à l'immuabilité (sous les auspices divins) d'un mariage qui, dans la légalité même, s'ouvrira un jour sur le divorce, les théoriciens anarchistes reprendront plus tard cette réhabilitation païenne des sens refoulés par les contraintes monastiques. Certains étendront jusqu'à la pluralité les libertés de l'amour. Enfantin, par la renaissance du rôle et des droits du « prêtre », égare sa morale vers « le matérialisme mystique de certaines religions de l 'antiquité ». Il met au service de cette résurrection un apostolat de « Messie » et ferme en Église la nouvelle école. Aussi l'ascendant du « Père » couvre-t-il mal l'étroitesse de la secte. Et le schisme en brise la rigueur doctrinaire. En 1831, les « philosophes » : les Reynaud, Leroux, Carnot, Charton, Comte, au fond demeurés fidèles à la suzeraineté de l'esprit et distants, dans leur atticisme, d'une trop fruste moralité, s'échappent. par la liberté individuelle, vers le groupe d'études et d'élaboration. Ils laissent le pontife Enfantin disputer à Bazard les derniers tronçons du corps saint-simonien et ramener au cloitre le cycle religiosâtre de ses réformations...
Mais l'influence de personnalités aussi puissantes survit à cette dislocation. De nouveau éparses à travers la société du temps, elles jettent autour d'elles bien des semences fécondes. De la perfectibilité, gagée par le libre-arbitre universel, de l'auteur de « Terre et Ciel » au positivisme, retrempé dans le matérialisme, d'un Auguste Comte ; du socialisme chaotique d'un Leroux jusqu'à la coopération directe des uns ou des autres à ce progrès matériel qui demeure comme le lien tenace de leur panthéisme commun, elles portèrent dans tous les domaines de l'idée et des mœurs de salutaires répercussions. « Beaucoup de gens, comme le dit Henri Martin, aujourd'hui ne savent pas qu'ils vivent, en grande partie, des idées mises en circulation, soit par Saint-Simon, soit par Enfantin et les siens, soit, plus souvent encore, par les adversaires d'Enfantin qui avaient été d'abord ses associés dans le saint-simonisme. Au fond, le saint-simonisme a été comme la préface d'un livre qui reste à faire : on pourrait dire que l'élaboration de ce livre continue sous des formes contradictoires qui, sans doute, trouveront un jour leur unité... »
Parallèlement au mouvement ‒ surtout spéculatif ‒ du saint-simonisme se développent, en Angleterre, les expériences hardies de ROBERT OWEN (17711858) qui, par les relations qu'il noue sur le continent, en précipitent le retentissement. Owen préconise « l'égalité absolue des droits et la communauté de tous les biens ». Devant le désordre social, il plaide l'irresponsabilité des hommes, incrimine le milieu, veut le rendre propice en le réformant. Du foyer de NewLanark, les essais de coopératisme socialisant, auquel aboutit, dans la pratique, une sorte de communisme tempéré d'autorité patriarcale, gagnent les comtés surpris, inquiètent le gouvernement, s'exportent, en 1826, au Mexique (terre d'élection des colons sociaux) en « New-Harmony », pour, finalement, se désagréger et périr. Comme des lambeaux, seules, en flotteront quelques idées, bientôt assoupies. Et se les remémoreront, dans leur détresse, quelque vingt ans plus tard, les pauvres tisserands de Rochdale, pionniers modestes de ce mouvement coopératif anglais, de nos jours si puissant...
En France, un courant, lui aussi, en un sens, davantage effectif, porte plus avant les tentatives spécifiquement socialistes. Dans ses Théories des Mouvements et de l'Unité universelle, CHARLES FOURIER (1772-1837) jette les fondements de la doctrine sociale qui aboutit au phalanstère, fonde une école qui, sous des noms divers (harmonieuse, sociétaire, garantiste, etc...), fera sentir jusqu'à nous sa pénétrante influence. « Soumettant à un doute absolu toutes les notions que lui apporte la civilisation, le philosophe observe le monde et est frappé de l'harmonie universelle qui y règne, grâce à la loi d'attraction, découverte par Newton. Seul, l'homme fait exception à cet ordre, parce que, jusqu'ici, il a substitué à la loi d'attraction morale des caprices philosophiques. Pour le moment, il s'agit, pour l'humanité, qui a déjà traversé les périodes successives d'édénisme, de sauvagerie, de patriarcat, de barbarie et de civilisation, d'arriver à l'état de garantisme, auquel elle touche, et qui l'acheminera vers l'harmonie parfaite.
« La loi universelle se traduit dans le monde moral par l'attraction passionnelle. En vain les moralistes ont voulu réprimer les passions de l'homme. Il s'agit, bien au contraire, de modeler sur elles l'organisme social. Elles sont au nombre de douze, et peuvent se grouper en huit cent-dix caractères différents. Doublez ce nombre, vous aurez la certitude de trouver réunis tous les spécimens possibles de caractères. Ce sera donc d'environ seize cents personnes que se formera la phalange, unité sociale de la société future. Chaque phalange s'installera dans un palais, le phalanstère, au milieu d'un territoire qui lui sera réservé, et où elle se livrera à tous les travaux, chacun, selon ses goûts, s'enrôlant dans des séries de travailleurs diverses. Le travail, devenu attrayant, se fera sans effort et sera infiniment fructueux. Chaque phalanstérien aura droit à un minimum de bien-être. Le surplus de la production sera divisé en douze douzièmes, dont cinq rémunéreront le capital, quatre le travail et trois le talent. Ce système se généralisera en peu de temps sur le globe, qui formera un seul empire unitaire. (Larousse.)
Pour avoir, jusqu'à l'abusive assimilation, rapporté aux lois physiques et à leur régularité, les phénomènes du monde moral et leurs répercussions économiques, Fourier a précipité toute une portion des énergies sociales dans l'impasse de l'utopie. Mais, pour vains qu'apparaissent les essais de vie phalanstérienne que tentèrent, tant vers 1830, en France, qu'après 1848, en Amérique, quelques-uns de ses plus ardents disciples, la considération du mérite et, d'autre part, l'importance de l'attraction ne manqueront pas de préoccuper à nouveau les bâtisseurs qui, de Godin aux anarchistes, chercheront, par des chemins différents, à harmoniser production et répartition en dehors de l'ingérence de l'État. Malgré l'abîme où doit sombrer, dans la pratique, la mise en jeu, sans distinction de légitimité, sur le terrain social surtout, de toutes les passions « naturelles, générales, primitives, et les passions factices qui résultent des raffinements et des déviations des sociétés vieillies » (H. MARTIN) ; malgré le jugement de légèreté et d'artifice qui va attacher des expériences avortées aux notations profondes, motrices d'une théorie seulement ingénieuse, il n'en est pas moins vrai que Fourier y frôle, aux portes de la sociabilité, des conditions qui sont bien près d'être des déterminantes. Il introduit, dans la communauté mitigée qui est le milieu de la cellule nouvelle, un facteur libre du travail et un élément certain de concorde : l'affinité. Après lui, les systèmes autoritaires l'écarteront a priori comme étant à l'inverse du rendement et d'une introduction superflue à la base des rapports humains, la contrainte au service de l'intérêt général devant assurer à un degré suffisant ce minimum d'entente nécessaire à l'équilibre du corps social. Par sa théorie des passions, Fourier sauvegarde la liberté individuelle dont fera si bon marché, plus tard, le collectivisme. Il évoque, par ailleurs, par une aperception vigoureuse, le rôle futur de l'association, ce levier social, et il en cherche vers la cohésion volontaire la forme la plus susceptible d'assurer, dans l'abondance, l'indépendance de l'effort...D'autre part, tandis que le pouvoir disperse à Ménilmontant les derniers fidèles d'Enfantin, interdit les groupes nouveaux, contraint à l'exil le fouriérisme dans la personne de Considérant, rejette dans la conspiration les sectes socialistes plus ou moins issues du saint-simonisme, l'activité des chercheurs sociaux, stimulée plus qu'entravée par les obstacles, ne cesse de se développer. Le communisme, assoupi depuis Babeuf, se remontre « tantôt pacifique, tantôt violent ». Populaire et matérialiste, et plein de réminiscences de la République de Platon, il gagne des adeptes à son système « moins grandiose que celui de Saint-Simon, moins ingénieux que celui de Fourier, mais le plus propre, par sa simplicité apparente ; à séduire aisément les esprits peu cultivés ». (H. MARTIN). Il oscille du classique Louis Blanc à CABET et BLANQUI, ces romantiques, monte, à travers « l'Icarie », vers toutes les utopies égalitaires, d'essence poussé aux extrêmes. Par sa formule, les forces deviennent l'arbitre de l'effort les besoins le barème de la répartition. Mais il rappelle, lui aussi ‒ vertige du siècle ‒ pour dispenser sa justice distributive, la toute-puissance de l'État, ramène sous sa tyrannie les ouvriers arrachés à la dépendance du ventre et « justifie » par la liberté ‒ le paradoxe a peu vieilli ‒ la dictature, ce corollaire de toutes les révolutions...
Fanatiques et désintéressés, touchant avec leurs fibres les souffrances d'une classe spoliée, les agitateurs du communisme ressuscitent, pour son triomphe, l'atmosphère jacobine, toute la violence des factions. La Révolution les retrouve aux faubourgs : Cabet dans les clubs, Blanqui menant l'émeute. En ces jours où le peuple a faim, le drapeau rouge couvre l'impérieux appel de la vie, devient, en sa seule couleur, comme le symbole d'unité d'une incoercible détresse et l'emblème d'une « société nouvelle qui rompt avec 89 comme avec l'ancien régime » et ouvre aux besogneux sans pain l'ère d'apaisants lendemains. La répression s'abat sur les hommes, exalte leur courage, en fait des apôtres. Faible par son système, prestigieux par ses actes, le communisme grandit par ses martyrs. Et Blanqui, « l'Enfermé », rayonne sur les simples en doctrine vivante...
Déjà, vers 1840 ‒ et, de la période qui nous occupe, son influence n'atteindra que les dernières phases ‒ se détache, à l'écart des partis et des sectes, une silhouette puissante. À la faveur d'un aphorisme retentissant, PROUDHON (18091865) martèle les impossibilités ‒ ne sont au fond que des incompatibilités provisoires ‒de cette propriété que « le travail détruit dans l'ordre de la justice ». Campé en marge des systèmes et des utopies (tour à tour « fantaisistes ou niveleuses ») qu'il poursuit pour leur invraisemblance ou leurs dangers et qu'il aiguillonne de ses aperceptions, sa violence dissèque imperturbablement les tendances et les hommes, tend à préserver des « archies » prochaines une société qui soulève à peine de séculaires astreintes. D'un individualisme irréductible (« petit-bourgeois » dira Karl Marx) mais au-dessus de l'appropriation, ni l'étatisme, ni le communisme ‒ pour les tyrannies préalables ou finales qu'ils cèlent ‒ne trouvent grâce devant sa liberté. Et cette propriété « transformée, humanisée, purifiée du droit d'aubaine » à laquelle l'amènent sa raison et son cœur « ne sera plus sans doute l'antique domaine quiritaire, mais elle ne sera pas davantage la possession octroyée, précaire, provisoire, grevée de redevance, tributaire et subordonnée » (P.-J. Proudhon : Théorie de la Propriété). Publiciste infatigable et pamphlétaire vigoureux, aussi timides sont ses édifices qu'audacieuse est sa critique. Des apostrophes comme « Qu'est-ce que la Propriété ? »ou la mise à nu des « Contradictions économiques » (sans parler d'une Correspondance capitale, des Confessions et de tant d'écrits : ouvrages, brochures, articles de presse que prodigue une activité intellectuelle interrompue) sont, en un sens, autrement constructives que ces solutions bâtardes de « mutualisme » de « réciprocité des services » et de « gratuité des crédits » de celui qui veut « des réformes toujours, des utopies jamais »... Plus que ses bâtisses « juste-milieu » s'ancrent dans les esprits de son temps ‒ et d'après ‒ ses dénonciations pénétrantes et ses âpres mises en garde. Et c'est là (car elles seules sont profondes et salutaires) qu'il faut chercher le rayonnement de cet « en-dehors » clairvoyant...
Ainsi le socialisme est d'abord sentimental dans ses alarmes et moral dans ses utopies fraternelles. Mais, si l'économie sociale s'y complique du maniement des impondérables, la bonne volonté de réduire les écarts du sort demeure le lot égal de tous les hommes. Avec l'intensité trépidante du machinisme et la poussée industrielle, l'accélération des concentrations de la richesse, la décadence précipitée de l'artisan, hier encore créateur, faisant place à cet agglomérat d'éléments laborieux voués à devenir les serviteurs passifs de l'outil, il va devenir davantage scientifique dans ses conceptions, catastrophique dans ses espérances et unilatéral dans ses manifestations. L'affluence du prolétariat le cantonnera peu à peu dans l'ouvriérisme et la sincérité de ses vues deviendra l'apanage d'une classe. De ne le voir que d'une couche sociale, et à travers les matérialités au premier plan, tranche durement un problème plus que de le résoudre. L'exclusivisme qui brusque les données ne condense qu'en brutalisant. Et dans le cadre étroit où s'affronteront ‒ ennemis ‒ les intérêts divergents, s'abîmeront bien des perspectives d'orientation solidaire. Surtout seront remises à la haine des tâches de raison et, dans le « prolétaire », oubliée l'humanité...
Au rappel des précurseurs ‒ êtres de foi, phalange sincère ‒ qui, de 96 jusqu'après 48, s'élancent, de tous les horizons de l'esprit et du cœur et de toutes les classes, pour affranchir l'avenir des angoisses de la misère et des sujétions du travail ; à l'évocation des théories subtiles et des constructions hasardeuses, des idées et des actes avant-coureurs dont tout le mouvement social moderne porte l'empreinte originelle, nous bornerons ce bref historique. Eux seuls ont pu, en effet, ‒ nous verrons tout à l'heure lesquels et dans quelle mesure ‒ influencer l'homme et l'œuvre que nous nous proposons d'examiner ici.

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