vendredi 6 août 2021

REACTIONS ET LETTRES DE LECTEURS

 21. 10. 2002

« Bonjour,

« O. me dit que vous aimeriez connaître mon sentiment sur Sans patrie ni frontières. Cela ne m'est guère facile, car je suis totalement extérieur à ce qui m'a semblé être votre démarche : une (auto- )critique du trotskisme et des groupes politiques qui s'en réclament, et ne puis donc rien vous apporter sur ce plan, fût-ce sur le mode de la polémique.Pourquoi, me direz-vous, avoir alors pris la peine d'acheter la revue? Quelques mots à ce sujet : 1) L'attrait du titre. 2) Une « lecture » cursive en librairie souvent ne permet de se faire qu'une idée très approximative d'un texte, de sa dynamique, etc. 3) M'intéressaient les textes d'Emma Goldmann et l'étude sur Bordiga, et, de ce point de vue, je suis pleinement satisfait. Voilà, c'est bien peu, je l'admets. Bonne fin de journée, B.R. »

* * *

27.10.2002

« Bonjour Yves,

« J'ai bien reçu ton bulletin de traductions et je t'en remercie. Étant d'origine française et vivant à Montréal, je mesure moi aussi, chaque jour, l'étanchéité entre les luttes américaines, canadiennes et européennes. L'idée m'était d'ailleurs venue de rechercher des textes d'Emma Goldman ou de militantes ouvrières canadiennes de l'entre deux-guerres dans les universités américaines notamment à l'U. de Boston, à l'U. du Michigan ou même aux archives canadiennes. Il existe beaucoup de textes inconnus parce que non traduits et un travail de mémoire à ce propos s'impose. « Mais il existe aussi en parallèle, un oubli presque total des luttes de ce temps au Canada notamment et sans doute aux U.S., chose qui est encore pire. Un travail de conscientisation passe t-il par là ? Sans doute mais je peine à voir comment les jeunes particulièrement (j'ai 50 ans) peuvent être sensibilisés par des textes qui traitent de points (certes importants et cruciaux)internes eux mêmes à des situations historiques dont ils ignorent à peu près tout.

« Enfin malgré l'intérêt de ces textes, je ne puis te suivre sur le terrain de la politique révolutionnaire qui détermine ta position théorique. Il me semble que le projet révolutionnaire est indissociable d'une critique de la politique, de toute forme-parti et surtout de l'idéologie sous quelque forme qu'elle se présente. Bien sûr il est louable de proposer les termes d'un débat mais il ne faut pas que celui-ci s'énonce dans des termes identiques aux impasses connues et identifiées. Retrouver au détour de tes pages Bordiga, Lutte ouvrière, les médias de gauche, un nouveau parti anticapitaliste, me semble non pas un recul, mais du sur-place, mais une seule et même erreur : celle de ne pas vouloir ou ne pas accepter d'aller jusqu'au bout de tes interrogations et de ta critique théorique.

« La question la plus actuelle n'est pas contenue dans les formes spectaculaires et événementielles que prend l'idéologie du moment pour se manifester, à travers la guerre israélo-palestinienne remplaçant le Chili ou le Vietnam et les élections en France comme une reddition (ce sont les élections qui ont toujours posées problème) ou la démocratie parlementaire transformée en perversion libérale (la démocratie bourgeoise a toujours servi à nous écraser) où le terrorisme qui mord la main de celui qui l'a nourri (la critique du terrorisme existe au moins depuis Netchaïev jusqu'à Debord ou Cesarano pour l'Italie). Il faut accepter d'aller au fond des choses comme disait Marx, non pas rester en surface.

« Par contre ce que tu nommes le prétendu mouvement antimondialisation recèle sans doute plus de futurs car la plupart des groupes qui se sont constitués en dehors des ONG sont plutôt antiautoritaires proclamés, à la fois produits et acteurs d'un débat de fond qui nous concerne : comment reconstituer un mouvement radical approprié à l'arasement en cours des valeurs humaines? Un débat doit voir le jour sur l'organisation, sur l'idéologie et la question de classes, mais il doit surtout réaffirmer en quoi et comment une théorie radicale peut encore influer sur le monde, sur les comportements, sur les mentalités, en se réalisant offensivement, non pas dans une illusoire résistance au pouvoir, au chaos, ou à quoi d'autre. Il convient qu'une théorie et une pratique s'énonce et se comprenne comme des moments de liberté et d'émancipation sinon il devient impossible de communiquer notre volonté à vouloir d'un monde différent. C'est donc comme rupture qu'une théorie et une pratique adaptées doivent voir le jour. Amicalement R.S. »

* * * Nicolas, du Cercle social, a réagi à l’expression « le Borgne de Saint-Cloud » (de mauvais goût je le reconnais volontiers) que j’ai employée dans le numéro 1 de Ni patrie ni frontières à propos de Le Pen. Il m’a indiqué un article (« Les idées faciles d'accès : les handicaps comme critiques politiques ») sur le site demainlemonde (http:// www. geocities. com/ demainlemonde/ xenophobie.htm) dont j’extrais le passage suivant, sans autres commentaires, malgré mon désaccord sur l’optique de l’article :

 « «Un borgne, c'est un infirme qui n'a droit qu'à un demi-chien.» Journal de Jules Renard -1893-1898.

« Xénophobie, la haine de l'Autre, peut être déclinée à l'envi tant elle s'adapte à toutes les formes de haine. Cependant si l'on évoque couramment le racisme, l'homophobie, le sexisme, rares sont les débats touchant les handicapé-e-s. Certain-e-s militant-e-s se sont penché-e-s sur les handicapé-e-s dit mentaux surtout pour fustiger les asiles, milieux carcéraux et aliénants, ou pour dénoncer la réalité de certains handicaps mentaux (par exemple, travaux de Michel Foucault). Ici, mon propos ne sera pas d'évoquer les problèmes d'accès à la santé ou les difficultés matérielles que rencontrent les handicapé-e-s dans la société de profit, que j'essayerais d'évoquer ultérieurement mais bien de m'attaquer à l'utilisation de l'image du handicap physique par des militant-e-s de « gauche », à travers deux exemples sensibles. Il semble qu'à l'instar de nos adversaires politiques xénophobes, certain-e-s utilisent pleinement le handicap comme procédé de condamnation et de disqualification.

« Le premier exemple analyse les attaques concernant le handicap visuel du président de Front National, Jean-Marie Le Pen.

Le délit de faciès de Le Pen

« Dans les années soixante-dix, Le Pen portait un bandeau noir. Je me souviens d'avoir vu sur les tracts électoraux cet homme très droit, la tête haute, fier d'arborer ostensiblement ce bandeau. A travers ce symbole manifeste, Le Pen affirmait sa blessure de guerre, celle qu'il aurait eu lors de la guerre d'Algérie. L'impact était visuel, fort. Il jouait (consciemment ?) sur les deux tableaux : primo, je suis un militaire qui affronte le combat, et preuve de ma mâle bravoure, j'ai perdu un œil. Secundo, mon allure rigide et martiale doit inspirer la frousse, je désire impressionner, je suis un vétéran, un vieux briscard.

« Dans les années quatre-vingt, suite peut-être au relooking médiatique de la politique (c'était le début des grands shows, il fallait savoir être " recevable " à la télé, séduire les masses par une apparence standardisée, etc.), comprenant que le port du bandeau noir le rend peu sympathique, Le Pen change d'image. Ses scores électoraux confirment que sa nouvelle apparence est bienvenue. Visuellement, Le Pen a deux mirettes ! Le Borgne n'est plus. Ce qui est intéressant, c'est que ce changement n'empêcha pas certains antifascistes de continuer à le traiter de borgne.

« Or, être borgne est un handicap difficile à porter au quotidien. Quand on parle de borgne, ce n'est pas un simple terme descriptif, neutre, car il existe précisément tout un imaginaire accolé à ce nom : signe de disgrâce physique mais aussi signe de méchanceté. Les personnes concernées préfèrent le terme médical d'amblyope unilatéral. On retrouve cet imaginaire pour les bossu-e-s, pied-bots, boiteux-ses, etc. On comprend mieux, dans ce contexte, pourquoi il est si facile de stigmatiser Le Pen sur son handicap : cela renforce les préjugés les plus éculés sur le " méchant borgne ". L'iconographie de Le Pen à travers les caricatures (par exemple, Charlie-Hebdo) ou les textes de chansons de rock " alternatif ", qui ont usé et abusé de cet amalgame facile, sont extrêmement dangereux, car ils génèrent une haine viscérale, où la raison est absente.

« Or, en attaquant Le Pen sur ce handicap, on attaque tous ceux qui ont le même handicap et on utilise la même rhétorique que ceux qu'on combat. C'est une évidence, mais elle ne semble pas toujours avoir effleuré les grand-e-s militant-e-s de l'antiracisme et de l'antifascisme ! Attaquer Le Pen sur ses idées et non sur son handicap, c'est précisément refuser la "lepenisation des esprits".

« Cela fait une nouvelle fois le jeu des idées réactionnaires, car la méchanceté gratuite est à la portée du/ de la premier-e stupide venu-e. Effectivement cela demande aucune remise en question. Ces " idées faciles d'accès " montrent qu'il manque une véritable prise de conscience de certains préjugés ou plis mentaux. A cet égard, les militant-e-s, les médias militants ont un rôle essentiel à jouer. Ces situations ne peuvent se développer que si on les encourage ou même si on les tolère, car le droit au respect passe par le langage et l'attitude réciproque. Entre signer des pétitions, manifester pour soulager sa bonne conscience et réfléchir au quotidien sur les préjugés pour tenter de trouver des solutions, il y a un monde. (…) »

Syb (2002)

Aucun commentaire: