dimanche 1 août 2021

Capitalisme et Djihadisme: Une guerre de religion Décembre 2015 Partie 3 Par Michel Surya

 

·       Le commandement de la passion ascétique est : « Meurs ! ». Sous-entendu : aux conditions de Dieu dont il dépend que chacun jouisse de l’éternité, pour le rachat de son existence (seul universel non capitaliste fantasmable). « Pour le rachat de son existence », que l’ascèse seule rachète en effet, qui ne promet la félicité aux fidèles qu’à la condition qu’ils accèdent à la mort par le moyen du martyre.

·       Dans un cas comme dans l’autre, si l’on va vite, que chacun ressuscite – ici-bas sans relâche (la politique comme religion) ; au-delà une fois pour toutes (la religion comme politique).

·       « Jouis » est un commandement à peine moindre que : « Meurs », qui ne parait d’ailleurs qu’à peine moins comminatoire. Par lequel le salut des uns n’est pas davantage assuré que le narcissisme des autres est rassasié. Lesquels, par principe, leur échappe. Qui ne satisfont qu’à ceux qui leur commandent.

·       Dieu d’un côté, de l’autre l’argent : dans un cas comme dans l’autre le salut. Le capitalisme est en reste cependant, et qui le sait ; qui sait qu’il n’a jamais à promettre que d’épisodiques et petits saluts, quand le Djihadisme n’en promet qu’un, mais entier, et éternel. Le bénéfice du capitalisme, en revanche : il sait faire valoir ses saluts immédiats, fussent-ils épisodiques et petits ; le préjudice du Djihadisme : il peine à faire valoir le sien, qui n’est pas moins lointain qu’éternel – de là, la précipitation dans l’exaucement par le martyre.

·       La passion ascétique est manifeste, qui se donne comme telle. La passion narcissique, moins. Il s’y mêle tant de servitude connue qu’on hésite…A moins – et c’est le plus difficile- qu’il faille préciser que la passion narcissique cache en réalité une passion de la servitude narcissique, à laquelle la passion ascétique s’opposerait terme à terme en tant que passion de la délivrance.

·       Exemples inattendus de l’alternative ou de l’inversion de ces deux politiques (alternative et inversion qui attestent de la réciprocité des passions en jeu) : la surenchère puritaine des cas de conversion. Lesquels témoignent sans conteste pour une réaffectation strictement religieuse du puritanisme occidental, c’est-à-dire pour son surenchérissement symbolique : entre servitudes, choisir celle qui affranchirait au moins de l’épuisement nauséeux de la satiété.

·       Parce que la satiété est insupportable. « Jouis » est un commandement sans doute, jusqu’à un certain point cependant. Il n’y a personne qui ne veuille jouir, autant du moins que le capitalisme le promet, qui ne sache aussi :

1.    Que jouir autant que promis est impossible ;

2.    Que la possibilité d’une telle jouissance, si elle était possible, serait insupportable.

3.    Que le narcissisme lui-même s’y épuiserait, épuisant par le fait le capital lui-même.

·       De ces dichotomies de principe, qui complètent les représentations autant qu’elles les opposent, celles-ci se déduisent :

-la guerre sainte est ensorcelante quand le capitalisme n’est qu’hypnotique.

-Jouir ne s’échange que contre la transe, quand tuer/mourir s’échange contre une délivrance (transe artificielle contre délivrance réelle).

- Dieu se mesure à l’amour (par principe immodéré) quand l’argent n’atteint tout au plus qu’au plaisir (par définition compté).

-Les emblèmes emphatiques de la vie qu’arbore l’une, contre l’autre ceux de la mort, qui ne sont pas cependant, à terme, en nature sinon en degré, l’une moins que l’autre mortifères.

-L’exubérance de la mort partout répandue, de l’une, cruelle à l’excès, contre la parcimonie pour finir de la jouissance, abrutissante, de l’autre… (À ceci près qu’on ne suffit pas davantage à satisfaire l’irrassasiable appétit de consumation que de consommation).

-L’extase de l’instant, ici, contre la latence de la répétition, là, létales, dans un cas comme dans l’autre (à ceci près cette fois que la mort est sans commune mesure plus extasiante que la jouissance).

-Etc. 

 

·       C’est encore un point en commun qu’ont ces deux puritanismes, qu’il ne s’agit pas ici de renvoyer dos à dos mais de mettre face à face (appuyant l’hypothèse de leur spécularité : ce qui les oppose saute aux yeux, quand ce qui les fait se rassembler, est en partie inconscient). L’un s’entend à priver de toute jouissance (les femmes, les homosexuels) ; l’autre à rassasier de toutes (les femmes, les homosexuels – les transsexuels bientôt). Tous les deux, chacun à sa façon, pour démontrer l’essentielle inanité qu’il y a à jouir. Chacun a raison ; le premier suivant le modèle de la passion ascétique ; le second suivant le modèle de la passion narcissique. Ce ne sont pas moins deux religions. Qui ont comme telles partie liée à la mort. Qui sont comme telles deux nihilismes.

·       Il n’empêche que ce qui, au fond, leur est si essentiellement semblable, n’apparait a priori que comme ce qui serait irréconciliablement dissemblable. Entretenant l’illusion d’une adversité et d’un affrontement définitifs. Alors que ce ne sont deux mêmes mondes inconscients, à fronts renversés.

·       Comment croire en ce cas à l’alternative sans reste de la passion narcissique et de la passion ascétique ? De la passion narcissique universaliste (capitaliste) et la passion ascétique identitaire (djihadiste, mais pas seulement – religieuse dans tous les cas ?) Le croire est impossible : d’ailleurs, une tentation ascétique croissante (hygiéniste, par exemple) travaille même le capitalisme. Et une tentation narcissique travaille pareillement la jeunesse cultivée des pays çà dominante islamique. Si bien qu’on pourrait avoir affaire, à terme, d’un côté à un puritanisme majoritairement narcissique, tolérant une minorité narcissique et, de l’autre, à un puritanisme majoritairement ascétique, entretenant des minorités narcissiques. La guerre, apparemment inévitable, ne se résorbera que dans cet équilibre aléatoire.

·       La passion ascétique identitaire (djihadiste dans ce cas, religieuse dans tous les cas) constitue apparemment une réaction à la passion narcissique universaliste (capitaliste) qu’elle conteste. Cependant, en tant qu’elle ne constitue qu’une réaction, elle conforte malgré elle la passion narcissique universaliste propre au capitalisme – la seule encore assez puissante pour d’avoir raison d’elle, qu’elle dévorera le moment venu où elle ne lui sera plus nécessaire.

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