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Le commandement de la passion ascétique est :
« Meurs ! ». Sous-entendu : aux conditions de Dieu dont il
dépend que chacun jouisse de l’éternité, pour le rachat de son existence (seul
universel non capitaliste fantasmable). « Pour le rachat de son existence »,
que l’ascèse seule rachète en effet, qui ne promet la félicité aux fidèles qu’à
la condition qu’ils accèdent à la mort par le moyen du martyre.
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Dans un cas comme dans l’autre, si l’on va
vite, que chacun ressuscite – ici-bas sans relâche (la politique comme
religion) ; au-delà une fois
pour toutes (la religion comme politique).
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« Jouis » est un commandement à peine
moindre que : « Meurs », qui ne parait d’ailleurs qu’à
peine moins comminatoire. Par lequel le salut des uns n’est pas davantage
assuré que le narcissisme des autres est rassasié. Lesquels, par principe, leur
échappe. Qui ne satisfont qu’à ceux qui leur commandent.
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Dieu d’un côté, de l’autre l’argent : dans
un cas comme dans l’autre le salut. Le capitalisme est en reste cependant, et
qui le sait ; qui sait qu’il n’a jamais à promettre que d’épisodiques et
petits saluts, quand le Djihadisme n’en promet qu’un, mais entier, et éternel.
Le bénéfice du capitalisme, en revanche : il sait faire valoir ses saluts
immédiats, fussent-ils épisodiques et petits ; le préjudice du Djihadisme :
il peine à faire valoir le sien, qui n’est pas moins lointain qu’éternel – de là,
la précipitation dans l’exaucement par le martyre.
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La passion ascétique est manifeste, qui se
donne comme telle. La passion narcissique, moins. Il s’y mêle tant de servitude
connue qu’on hésite…A moins – et c’est le plus difficile- qu’il faille préciser
que la passion narcissique cache en réalité une passion de la servitude narcissique, à laquelle la
passion ascétique s’opposerait terme à terme en tant que passion de la
délivrance.
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Exemples inattendus de l’alternative ou de l’inversion
de ces deux politiques (alternative et inversion qui attestent de la
réciprocité des passions en jeu) : la surenchère puritaine des cas de
conversion. Lesquels témoignent sans conteste pour une réaffectation
strictement religieuse du puritanisme occidental, c’est-à-dire pour son
surenchérissement symbolique : entre servitudes, choisir celle qui
affranchirait au moins de l’épuisement nauséeux de la satiété.
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Parce que la satiété est insupportable. « Jouis »
est un commandement sans doute, jusqu’à un certain point cependant. Il n’y a
personne qui ne veuille jouir, autant du moins que le capitalisme le promet,
qui ne sache aussi :
1.
Que jouir autant que promis est impossible ;
2.
Que la possibilité d’une telle jouissance, si
elle était possible, serait insupportable.
3.
Que le narcissisme lui-même s’y épuiserait,
épuisant par le fait le capital lui-même.
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De ces dichotomies de principe, qui complètent
les représentations autant qu’elles les opposent, celles-ci se déduisent :
-la guerre sainte est
ensorcelante quand le capitalisme n’est qu’hypnotique.
-Jouir ne s’échange que contre
la transe, quand tuer/mourir s’échange contre une délivrance (transe
artificielle contre délivrance réelle).
- Dieu se mesure à l’amour (par
principe immodéré) quand l’argent n’atteint tout au plus qu’au plaisir (par
définition compté).
-Les emblèmes emphatiques de
la vie qu’arbore l’une, contre l’autre ceux de la mort, qui ne sont pas
cependant, à terme, en nature sinon en degré, l’une moins que l’autre
mortifères.
-L’exubérance de la mort
partout répandue, de l’une, cruelle à l’excès, contre la parcimonie pour finir
de la jouissance, abrutissante, de l’autre… (À ceci près qu’on ne suffit pas
davantage à satisfaire l’irrassasiable appétit de consumation que de
consommation).
-L’extase de l’instant, ici,
contre la latence de la répétition, là, létales, dans un cas comme dans l’autre
(à ceci près cette fois que la mort est sans commune mesure plus extasiante que
la jouissance).
-Etc.
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C’est encore un point en commun qu’ont ces deux
puritanismes, qu’il ne s’agit pas ici de renvoyer dos à dos mais de mettre face
à face (appuyant l’hypothèse de leur spécularité : ce qui les oppose saute
aux yeux, quand ce qui les fait se rassembler, est en partie inconscient). L’un
s’entend à priver de toute jouissance (les femmes, les homosexuels) ; l’autre
à rassasier de toutes (les femmes, les homosexuels – les transsexuels bientôt).
Tous les deux, chacun à sa façon, pour démontrer l’essentielle inanité qu’il y
a à jouir. Chacun a raison ; le premier suivant le modèle de la passion
ascétique ; le second suivant le modèle de la passion narcissique. Ce ne
sont pas moins deux religions. Qui ont comme telles partie liée à la mort. Qui
sont comme telles deux nihilismes.
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Il n’empêche que ce qui, au fond, leur est si
essentiellement semblable, n’apparait a
priori que comme ce qui serait irréconciliablement dissemblable.
Entretenant l’illusion d’une adversité et d’un affrontement définitifs. Alors
que ce ne sont deux mêmes mondes inconscients, à fronts renversés.
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Comment croire en ce cas à l’alternative sans
reste de la passion narcissique et de la passion ascétique ? De la passion
narcissique universaliste (capitaliste) et la passion ascétique identitaire (djihadiste,
mais pas seulement – religieuse dans tous les cas ?) Le croire est
impossible : d’ailleurs, une tentation ascétique croissante (hygiéniste,
par exemple) travaille même le capitalisme. Et une tentation narcissique travaille
pareillement la jeunesse cultivée des pays çà dominante islamique. Si bien qu’on
pourrait avoir affaire, à terme, d’un côté à un puritanisme majoritairement
narcissique, tolérant une minorité narcissique et, de l’autre, à un puritanisme
majoritairement ascétique, entretenant des minorités narcissiques. La guerre,
apparemment inévitable, ne se résorbera que dans cet équilibre aléatoire.
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La passion ascétique identitaire (djihadiste
dans ce cas, religieuse dans tous les cas) constitue apparemment une réaction à
la passion narcissique universaliste (capitaliste) qu’elle conteste. Cependant,
en tant qu’elle ne constitue qu’une réaction,
elle conforte malgré elle la passion narcissique universaliste propre au
capitalisme – la seule encore assez puissante pour d’avoir raison d’elle, qu’elle
dévorera le moment venu où elle ne lui sera plus nécessaire.
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