dimanche 1 août 2021

Capitalisme et Djihadisme: Une guerre de religion Décembre 2015 Partie 2 Par Michel Surya

 

« Je ne me reconnais encore dans la protestation, c’est-à-dire d’abord dans la lutte contre toutes les formes du religieux et de ses succédanés prétendument laïcs : étatisme, nationalisme, ethnisme, sexisme, libéralisme ou économisme […] ; tout ce qui mène à l’asservissement et au meurtre – la liste est longue. »

Philippe Lacoue-Labarthe

 

« La variété extrême et accidentelle des circonstances défie toute exactitude ; l’imprévu des évènements, qui est la loi la plus certaine et la plus constante du monde, est donc composé par un certain jeu de notre organisation qui permet à l’existence vivante de subsister au milieu des hasards et à l’existence pensante de se dédire ou de se contredire. »

Paul Valéry.

 

 

 

« Faire, pour commencer, l’hypothèse que deux représentations, ou deux systèmes, ou les représentations de deux systèmes s’opposent : le capitalisme d’un côté, le Djihadisme de l’autre. Hypothèse dont on déduira alors (déduction minimale) que c’est la première réelle opposition mondiale (dans un monde en effet se mondialisant) depuis la chute du mur de Berlin et la fin du communisme historique (la fin d’un monde encore grandement provincialisé).

Il y aurait donc, selon cette hypothèse, d’un côté le capitalisme et de l’autre le Djihadisme.

·       Du capitalisme, il est de règle de dire qu’il n’est pas « politique ». Parce qu’il a depuis toujours eu peur qu’on le prenne pour ce qu’il est – une idéologie-, quand il s’emploie à passer pour ce qu’il n’est pas – un état de nature. Du Djihadisme, il convient de plus en plus de dire qu’il est « politique », pour qu’on ne le confonde pas avec l’islam religieux. De fait, le capitalisme n’a de cesse de ne pas passer pour ce qu’il est, quand le Djihadisme n’a de cesser de passer pour ce qu’il n’est pas : politique pour l »’un, religieux pour l’autre.

·       Cette double dénégation doit nous amener à en déduire ceci, fait pour tenir lieu de deuxième hypothèse : ils sont l’un et l’autre politiques et religieux, ce qui veut dire qu’on ne différenciera pas dorénavant entre politique et religion – ainsi que le veut la fin du matérialisme historique. Politiques et religieux, ils le seraient donc l’un comme l’autre, et c’est radicalement qu’ils ne le seraient pas moins l’un que l’autre (« et » et « comme » ne cherchent pas ici ni dans la suite à désigner une identité, intenable, tout au plus une possible identification perverse de l’un à l’autre).

·       On ne se demanderait sans doute pas autant pourquoi est apparu l’islamisme politique radical (le Djihadisme) si l’on admettait que le capitalisme a lui-même atteint au stade religieux du radicalisme politique (exactement, depuis la chute du mur de Berlin et la fin du communisme). Et que c’est en tant que le capitalisme est ce radicalisme religieux qu’est né, de lui, contre lui (peu importe à ce stade) ce radicalisme antagonique qu’est l’islam politique radical. Un premier indice : « la fin de l’histoire » (Francis Fukuyama) était un énoncé téléologique, pour le moins, théologique ensuite, apocalyptique pour finir, qu’on a, à tort, pris de haut. A tort : il énonçait sans ambages de quelle victoire le capitalisme se prévalait alors. Une victoire dont c’est toute téléogie, toute théologie et tout apocalytisme qui ne pouvaient pas manquer de s’inspire pour re-naître. Dont le théo-téléo-apocalyptisme islamiste (le Djihadisme) est en effet né.

·       Sur ce que le capitalisme et le Djihadisme ont en commun de politique – ou d’opposé, puisque c’est la même chose de ce point de vue (une première méprise consiste en effet à ne voir que ce qui les oppose, qui n’est certes pas négligeable, pas ce qu’ils ont en commun)-, il n’y a à peu près rien à dire que nous ne sachions. Il y a beaucoup à dire, et qu’on ne dit pas, sur ce qu’ils ont en commun de religieux – à moins qu’il ne faille faire des religions actuelles l’équivalent des idéologies passées, et des politiques actuelles l’équivalent de l’idéologie et de la religion passées (deuxième méprise).

·       (Je précise, 1 : « le capitalisme » n » vaut pas ici pour la « démocratie », dont il procède par aberration et à laquelle il échappe de part en part ; 2 « la religion » ne vaut pas ici pour la mystique, qui s’en excepte avec superbe, un peu à la façon dont il arrive que l’amour s’excepte de la reproduction.)

·       On peut en dire cependant, et ce sera pour constituer une troisième hypothèse, inattendue ou contestable : capitalisme et Djihadisme sont l’un et l’autre une variante du puritanisme ; mieux : ils ont l’un comme l’autre une variante violente d’un même puritanisme à son stade terminal.

·       Puritains, en ceci qu’ils obéissent chacun à une passion (il ne faut pas moins que la passion pour que le puritanisme s’exerce sans reste) : la passion ascétique (le Djihadisme), la passion narcissique (le capitalisme).

·       Au contraire de ce qu’il semble en effet, le capitalisme est un puritanisme aussi, et violent, dont le commandement est : « Jouis ! » Pas de commandement plus violent, quand on sait que nul ne jouit, au juste, a fortiori aux conditions du capital.

·       « Jouis », sous-entendu : aux conditions de l’argent dont il dépend de la distribution du capital que chacun jouisse ou non, pour son plus grand bénéfice ou pour son plus grand préjudice identificatoire ou narcissique (seul universel occidental manifeste). (Ce qui demanderait d’établir par la suite l’équivalence stricte de la jouissance et du narcissisme ; et de faire même de cette équivalence violente la forme accomplie et donc religieuse du capital ayant enfin atteint au stade terminal du puritanisme).

·       Son identification, au moins. Au plus, sa place dans la distribution inéquitable des jouissances permises par l’argent, par nature frustrantes et par avance toujours déjà perdues. On notera qu’ »identification » (à préférer ici, en revanche à « identité », à quoi il prélude) constitue déjà une jouissance, quand chacun crie après la sienne, sinon comme déjà perdue, du moins comme incessamment menacée.

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