« Je ne me
reconnais encore dans la
protestation, c’est-à-dire d’abord dans la lutte contre toutes les formes du
religieux et de ses succédanés prétendument laïcs : étatisme,
nationalisme, ethnisme, sexisme, libéralisme ou économisme […] ; tout ce
qui mène à l’asservissement et au meurtre – la liste est longue. »
Philippe Lacoue-Labarthe
« La variété
extrême et accidentelle des circonstances défie toute exactitude ; l’imprévu
des évènements, qui est la loi la plus certaine et la plus constante du monde,
est donc composé par un certain jeu
de notre organisation qui permet à l’existence vivante de subsister au milieu
des hasards et à l’existence pensante de se dédire ou de se contredire. »
Paul Valéry.
« Faire, pour commencer, l’hypothèse que deux
représentations, ou deux systèmes, ou les représentations de deux systèmes s’opposent :
le capitalisme d’un côté, le Djihadisme de l’autre. Hypothèse dont on déduira
alors (déduction minimale) que c’est la première réelle opposition mondiale (dans
un monde en effet se mondialisant) depuis la chute du mur de Berlin et la fin
du communisme historique (la fin d’un monde encore grandement provincialisé).
Il y aurait donc, selon cette hypothèse, d’un côté le
capitalisme et de l’autre le Djihadisme.
·
Du capitalisme, il est de règle de dire qu’il n’est
pas « politique ». Parce qu’il a depuis toujours eu peur qu’on le
prenne pour ce qu’il est – une idéologie-, quand il s’emploie à passer pour ce
qu’il n’est pas – un état de nature. Du Djihadisme, il convient de plus en plus
de dire qu’il est « politique », pour qu’on ne le confonde pas avec l’islam
religieux. De fait, le capitalisme n’a de cesse de ne pas passer pour ce qu’il
est, quand le Djihadisme n’a de cesser de passer pour ce qu’il n’est pas :
politique pour l »’un, religieux pour l’autre.
·
Cette double dénégation doit nous amener à en
déduire ceci, fait pour tenir lieu de deuxième hypothèse : ils sont l’un
et l’autre politiques et religieux,
ce qui veut dire qu’on ne différenciera pas dorénavant entre politique et
religion – ainsi que le veut la fin du matérialisme historique. Politiques et religieux, ils le seraient donc l’un comme l’autre, et c’est radicalement qu’ils
ne le seraient pas moins l’un que l’autre (« et » et « comme »
ne cherchent pas ici ni dans la suite à désigner une identité, intenable, tout
au plus une possible identification perverse de l’un à l’autre).
·
On ne se demanderait sans doute pas autant
pourquoi est apparu l’islamisme politique radical (le Djihadisme) si l’on
admettait que le capitalisme a lui-même atteint au stade religieux du
radicalisme politique (exactement, depuis la chute du mur de Berlin et la fin
du communisme). Et que c’est en tant que le capitalisme est ce radicalisme
religieux qu’est né, de lui, contre lui (peu importe à ce stade) ce radicalisme
antagonique qu’est l’islam politique radical. Un premier indice : « la fin de l’histoire » (Francis
Fukuyama) était un énoncé téléologique, pour le moins, théologique ensuite,
apocalyptique pour finir, qu’on a, à tort, pris de haut. A tort : il
énonçait sans ambages de quelle victoire le capitalisme se prévalait alors. Une
victoire dont c’est toute téléogie, toute théologie et tout apocalytisme qui ne
pouvaient pas manquer de s’inspire pour re-naître. Dont le
théo-téléo-apocalyptisme islamiste (le Djihadisme) est en effet né.
·
Sur ce que le capitalisme et le Djihadisme ont
en commun de politique – ou d’opposé,
puisque c’est la même chose de ce point de vue (une première méprise consiste
en effet à ne voir que ce qui les oppose, qui n’est certes pas négligeable, pas
ce qu’ils ont en commun)-, il n’y a à peu près rien à dire que nous ne
sachions. Il y a beaucoup à dire, et qu’on ne dit pas, sur ce qu’ils ont en
commun de religieux – à moins qu’il
ne faille faire des religions actuelles l’équivalent des idéologies passées, et
des politiques actuelles l’équivalent de l’idéologie et de la religion passées (deuxième
méprise).
·
(Je précise, 1 : « le capitalisme »
n » vaut pas ici pour la « démocratie », dont il procède par
aberration et à laquelle il échappe de part en part ; 2 « la religion »
ne vaut pas ici pour la mystique, qui s’en excepte avec superbe, un peu à la
façon dont il arrive que l’amour s’excepte de la reproduction.)
·
On peut en dire cependant, et ce sera pour
constituer une troisième hypothèse, inattendue ou contestable : capitalisme et Djihadisme sont l’un et l’autre
une variante du puritanisme ; mieux : ils ont l’un comme l’autre
une variante violente d’un même puritanisme à son stade terminal.
·
Puritains, en ceci qu’ils obéissent chacun à une
passion (il ne faut pas moins que la
passion pour que le puritanisme s’exerce sans reste) : la passion ascétique (le Djihadisme), la passion narcissique (le capitalisme).
·
Au contraire de ce qu’il semble en effet, le
capitalisme est un puritanisme aussi, et violent, dont le commandement est : « Jouis ! »
Pas de commandement plus violent, quand on sait que nul ne jouit, au juste, a fortiori aux conditions du capital.
·
« Jouis », sous-entendu : aux
conditions de l’argent dont il dépend de la distribution du capital que chacun
jouisse ou non, pour son plus grand bénéfice ou pour son plus grand préjudice
identificatoire ou narcissique (seul universel occidental manifeste). (Ce qui
demanderait d’établir par la suite l’équivalence stricte de la jouissance et du
narcissisme ; et de faire même de cette équivalence violente la forme
accomplie et donc religieuse du capital ayant enfin atteint au stade terminal
du puritanisme).
·
Son identification, au moins. Au plus, sa place
dans la distribution inéquitable des jouissances permises par l’argent, par
nature frustrantes et par avance toujours déjà perdues. On notera qu’ »identification »
(à préférer ici, en revanche à « identité », à quoi il prélude)
constitue déjà une jouissance, quand chacun crie après la sienne, sinon comme
déjà perdue, du moins comme incessamment menacée.
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