Lignes: collection dirigée par Michel Sury
Restitution Jean-loup Amselle
La décision de restituer aux
pays africains des objets d’ « art premier » exposés dans les
musées français, décision annoncée par Emmanuel Macron lors de son discours à
Ouagadougou en novembre 2007 s’inscrit dans le cadre d’une politique de bascule
entre le social, l’économique et le « sociétal », politique qui
remonte au mandat de François Hollande, voire à celui de Nicolas Sarkozy, et
qui porte la marque de la fondation Terra Nova.
Indolore sur le plan politique
puisque les Français se moquent comme d’une guigne du retour de ces objets à
l’Afrique, ce geste éminemment symbolique a pour mérite de donner une image
postcoloniale, voire décoloniale à Macron qui a bien vu là l’intérêt d’adopter
une telle posture. C’est pourquoi il s’est empressé de demander à l’historienne
de l’art française Bénédicte Savoy et à l’économie sénégalais Felwine Sarr un
rapport qui a rapidement fait l’unanimité de ce qu’on appelle l’opinion
publique, c’est-à-dire des médias dominants, seuls quelques esprits chagrins
dont l’ex-président du Musée du quai Branly, directement concerné, se
permettant d’émettre des réserves à l’égard de cette mesure présentée comme
généreuse et désintéressée.
Qu’il faille rendre à
l’Afrique des objets pillés pendant la période de la traite esclavagiste ou
sous la colonisation est en effet une idée qui n’est pas contestable, la
question pendante étant celle de savoir à qui l’on rend ces objets. Difficile
de les restituer aux descendants de ceux qui les ont fabriqués, aux
« communautés-mères », aux différentes « ethnies », qui
entretemps se sont largement christianisées ou islamisées et qui par conséquent
ne sauraient accueillir des statues ou des masques appartenant à l’ère honnie
du paganisme.
Reste donc les musées qui se
sont porté candidats à la réception de ces pièces. Mais là encore, n’y a-t-il
pas un malentendu ainsi qu’en témoigne le musée des civilisations noires de
Dakar au Sénégal qui expose des « fétiches » en provenance de
plusieurs pays d’Afrique de l’ouest dans un pays où quatre-vingts pour cent au
moins de la population sont musulmans. Plus généralement, cette entreprise de
restitution n’ouvre-t-elle pas une boite de Pandore contraignant l’ensemble des
musées du monde, dont une partie des œuvres exposées est d’origine étrangère, à
rendre celles-ci aux pays où elles ont été créées ?
Quoi qu’il en soit, cette
opération de communication de Macron a été menée dans le but de masquer les
failles dans d’autres aspects d’une nécessaire restitution, en particulier dans
celui du déni de souveraineté que subissent les anciennes colonies françaises d’Afrique.
On sait que l’intervention de l’armée française dans les pays du Sahel, qu’elle
soit légitime ou non, qu’elle soit motivée par la volonté de préserver ces pays
de l’instauration de régimes régis par la charia ou de protéger la France et
plus largement l’Europe de l’arrivée sur son territoire de djihadistes en
provenance de cette région d’Afrique, est de plus en plus contestée par une
fraction de la population de ces mêmes pays. Cette opposition, qui se dresse
contre l’ancienne puissance coloniale en proférant le slogan « Dégage »
et qui va même jusqu’à accuser la force française d’intervention Barkhane d’attiser
les conflits ethniques, voire de commettre le crime de génocide, si elle
traduit sans doute une attitude complotiste, témoigne également de la volonté
qu’advienne une seconde et réelle indépendance après celle accordée de façon
formelle par le général de Gaulle en 1960.
Parallèlement, à cette
hostilité dirigée contre l’intervention militaire française s’est manifestée
depuis quelques mois, voire plusieurs années, une opposition très forte à l’existence
du franc CFA qui maintient les économies d’Afrique de l’ouest anciennement
colonisées sous le joug du trésor public français. A la suite d’une série de
manifestations qui ont eu lieu dans différents pays de la zone monétaire CFA,
la France a consenti à opérer un replâtrage de cette monnaie en congédiant les
responsables français de la BCEAO (banque centrale des pays d’Afrique de l’ouest)
émettrice du franc CFA et en remplaçant le nom de cette monnaie par celui d’ »éco ».
Mais ces mini-mesures ne trompent personne et sont inaptes à contrer les
critiques à l’égard d’une monnaie arrimée à l’ancienne puissance coloniale et
qui est accusée de freiner la croissance de ces pays en renchérissant les
exportations et en favorisant les produits importés au détriment des
productions locales.
Bref qu’il s’agisse de l’intervention
militaire française ou du franc CFA, ce que demandent des fractions croissantes
de la population de cette région d’Afrique, c’est une authentique restitution
de souveraineté qui ne se réduirait pas à la restitution gadgets « d’art
premier » et qui déboucherait sur l’existence de pays véritablement
indépendants à la fois sur le plan politique et économique.
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