jeudi 12 août 2021

Lignes N°62 les mots du pouvoir le pouvoir des mots

 Lignes:  collection dirigée par Michel Sury






Restitution     Jean-loup Amselle

 

La décision de restituer aux pays africains des objets d’ « art premier » exposés dans les musées français, décision annoncée par Emmanuel Macron lors de son discours à Ouagadougou en novembre 2007 s’inscrit dans le cadre d’une politique de bascule entre le social, l’économique et le « sociétal », politique qui remonte au mandat de François Hollande, voire à celui de Nicolas Sarkozy, et qui porte la marque de la fondation Terra Nova.

Indolore sur le plan politique puisque les Français se moquent comme d’une guigne du retour de ces objets à l’Afrique, ce geste éminemment symbolique a pour mérite de donner une image postcoloniale, voire décoloniale à Macron qui a bien vu là l’intérêt d’adopter une telle posture. C’est pourquoi il s’est empressé de demander à l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy et à l’économie sénégalais Felwine Sarr un rapport qui a rapidement fait l’unanimité de ce qu’on appelle l’opinion publique, c’est-à-dire des médias dominants, seuls quelques esprits chagrins dont l’ex-président du Musée du quai Branly, directement concerné, se permettant d’émettre des réserves à l’égard de cette mesure présentée comme généreuse et désintéressée.

Qu’il faille rendre à l’Afrique des objets pillés pendant la période de la traite esclavagiste ou sous la colonisation est en effet une idée qui n’est pas contestable, la question pendante étant celle de savoir à qui l’on rend ces objets. Difficile de les restituer aux descendants de ceux qui les ont fabriqués, aux « communautés-mères », aux différentes « ethnies », qui entretemps se sont largement christianisées ou islamisées et qui par conséquent ne sauraient accueillir des statues ou des masques appartenant à l’ère honnie du paganisme.

Reste donc les musées qui se sont porté candidats à la réception de ces pièces. Mais là encore, n’y a-t-il pas un malentendu ainsi qu’en témoigne le musée des civilisations noires de Dakar au Sénégal qui expose des « fétiches » en provenance de plusieurs pays d’Afrique de l’ouest dans un pays où quatre-vingts pour cent au moins de la population sont musulmans. Plus généralement, cette entreprise de restitution n’ouvre-t-elle pas une boite de Pandore contraignant l’ensemble des musées du monde, dont une partie des œuvres exposées est d’origine étrangère, à rendre celles-ci aux pays où elles ont été créées ?

Quoi qu’il en soit, cette opération de communication de Macron a été menée dans le but de masquer les failles dans d’autres aspects d’une nécessaire restitution, en particulier dans celui du déni de souveraineté que subissent les anciennes colonies françaises d’Afrique. On sait que l’intervention de l’armée française dans les pays du Sahel, qu’elle soit légitime ou non, qu’elle soit motivée par la volonté de préserver ces pays de l’instauration de régimes régis par la charia ou de protéger la France et plus largement l’Europe de l’arrivée sur son territoire de djihadistes en provenance de cette région d’Afrique, est de plus en plus contestée par une fraction de la population de ces mêmes pays. Cette opposition, qui se dresse contre l’ancienne puissance coloniale en proférant le slogan « Dégage » et qui va même jusqu’à accuser la force française d’intervention Barkhane d’attiser les conflits ethniques, voire de commettre le crime de génocide, si elle traduit sans doute une attitude complotiste, témoigne également de la volonté qu’advienne une seconde et réelle indépendance après celle accordée de façon formelle par le général de Gaulle en 1960.

Parallèlement, à cette hostilité dirigée contre l’intervention militaire française s’est manifestée depuis quelques mois, voire plusieurs années, une opposition très forte à l’existence du franc CFA qui maintient les économies d’Afrique de l’ouest anciennement colonisées sous le joug du trésor public français. A la suite d’une série de manifestations qui ont eu lieu dans différents pays de la zone monétaire CFA, la France a consenti à opérer un replâtrage de cette monnaie en congédiant les responsables français de la BCEAO (banque centrale des pays d’Afrique de l’ouest) émettrice du franc CFA et en remplaçant le nom de cette monnaie par celui d’ »éco ». Mais ces mini-mesures ne trompent personne et sont inaptes à contrer les critiques à l’égard d’une monnaie arrimée à l’ancienne puissance coloniale et qui est accusée de freiner la croissance de ces pays en renchérissant les exportations et en favorisant les produits importés au détriment des productions locales.

Bref qu’il s’agisse de l’intervention militaire française ou du franc CFA, ce que demandent des fractions croissantes de la population de cette région d’Afrique, c’est une authentique restitution de souveraineté qui ne se réduirait pas à la restitution gadgets « d’art premier » et qui déboucherait sur l’existence de pays véritablement indépendants à la fois sur le plan politique et économique.

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