LOT
Nº 3
Après
le « sérum de vérité »
On connaît le principe de ce
traitement. Devant un malade qui semble souffrir d’un conflit intérieur
inconscient que l’entretien n’arrive pas à extérioriser, on recourt à des
méthodes d’exploration chimique. Le penthotal, par injections intraveineuses,
est la substance la plus communément pratiquée dans le but de libérer le malade
d’un conflit qui paraît dépasser ses possibilités d’adaptation. C’est pour
libérer le malade de ce « corps étranger » que le médecin intervient 30.
Toutefois, on s’est aperçu de la difficulté qu’il y avait à contrôler la
dissolution progressive des instances psychiques. Il n’était pas rare
d’assister à des aggravations spectaculaires ou à l’apparition de nouveaux
tableaux absolument inexplicables. Aussi, d’une façon générale, a-t-on plus ou
moins abandonné cette technique.
En Algérie, les médecins
militaires et les psychiatres ont trouvé dans les salles de police de grandes
possibilités d’expérimentation. Si, dans les névroses, le penthotal balaie les
barrages qui s’opposent à la mise au jour du conflit intérieur, chez les
patriotes algériens il doit pouvoir également briser le barrage politique et
faciliter l’obtention des aveux du prisonnier sans qu’on ait besoin de recourir
à l’électricité (la tradition médicale veut qu’on épargne la souffrance). C’est
la forme médicale de la « guerre subversive ».
Le scénario est le suivant.
D’abord : « Je suis médecin, je ne suis pas un policier. Je suis là pour
t’aider. » Ce faisant, on obtient au bout de quelques jours la confiance du
prisonnier 31. Ensuite : « Je vais te faire quelques piqûres, car tu es
drôlement sonné. » Pendant plusieurs jours, on met en train n’importe quel
traitement : vitamines, tonicardiaques, sérums sucrés. Le quatrième ou le
cinquième jour, injection intraveineuse de penthotal. L’interrogatoire
commence.
TABLEAUX
PSYCHIATRIQUES RENCONTRÉS
a)
Stéréotypies verbales
Le
malade répète continuellement des phrases du type : « Je n’ai rien dit. Il faut
me croire, je n’ai pas parlé. » Ces stéréotypies s’accompagnent d’une angoisse
permanente. Le malade en effet, très souvent, ignore si on a pu lui arracher
des renseignements. La culpabilité envers la cause défendue et les frères dont
on a pu donner les noms et les adresses pèse ici de façon dramatique. Nulle
affirmation ne peut ramener le calme dans ces consciences délabrées.
b)
Perception intellectuelle ou sensorielle
opacifiée
Le
malade ne peut pas affirmer l’existence de tel objet perçu. Un raisonnement est
assimilé, mais de façon indifférenciée. Il y a une indistinction fondamentale
du vrai et du faux. Tout est vrai et tout est faux à la fois.
c)
Crainte phobique de tout tête-à-tête
Cette
crainte dérive de l’impression aiguë qu’on peut à tout instant être interrogé
de nouveau.
d)
Inhibition
Le
malade se tient sur ses gardes : il enregistre mot après mot la question posée,
élabore mot après mot la réponse projetée. D’où l’impression de
quasi-inhibition, avec ralentissement psychique, interruption des phrases,
retours en arrière, etc.
Il est
clair que ces malades refusent obstinément toute injection intraveineuse.
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