« Le travailleur pensant
et agissant selon les vues de la démocratie du travail ne s’élève pas contre le
politicien. Ce n’est pas sa faute, ce n’est pas son mauvais vouloir, si un
résultat pratique du travail met à nu le caractère illusoire et irrationnel de
la politique. En tant que travailleur pratique on est, dans quelque profession
que ce soit, attelé à des tâches pratiques visant à améliorer la vie des
hommes. On n’est donc pas «contre» quelque chose à la manière du politicien
qui, faute de tâches pratiques, est toujours contre et jamais pour quelque
chose. C’est cette attitude essentiellement négative (je suis «contre») qui
caractérise la politique dans son ensemble. Les réalisations pratiques et
productives ne sont pas le fait du politicien mais du travailleur, avec ou
contre les idéologies du politicien. Des années d’expériences ont démontré
d’une manière très nette que le travailleur pratique entre toujours en conflit
avec le politicien. Quiconque se met au service des fonctions vitales,
quiconque s’affaire et s’active, est contre la politique, qu’il le veuille ou
non. L’éducateur est pour l’éducation rationnelle des petits enfants; le paysan
est pour l’utilisation des machines dans l’agriculture; le chercheur est pour
l’établissement de preuves scientifiques. Il est facile de se rendre compte que
là où un travailleur est contre telle ou telle performance, il ne parle pas en
sa qualité de travailleur mais sous l’effet d’influences politiques on d’autres
influences irrationnelles.
L’idée qu’un travail positif
n’est jamais dirigé «contre» quelque chose, mais qu’il se fait toujours «pour»
quelque chose, a l’air invraisemblable et exagéré. Cette impression est due au
fait que notre vie de travail est parsemée d’affirmations fondées sur des
motivations irrationnelles qu’on ne distingue pas d’appréciations objectives.
Le paysan n’est-il pas contre l’ouvrier, l’ouvrier contre l’ingénieur, etc.?
Tel médecin n’est-il pas pour ou contre tel remède? On dira que la liberté
d’opinion démocratique entraîne, de par sa nature, la nécessité d’être «pour»
ou «contre». À quoi j’oppose l’allégation que c’est précisément cette
définition formaliste et peu objective de la notion de liberté d’opinion qui a
contribué pour une large part à l’échec des démocraties européennes. Prenons un
exemple: un médecin est contre un certain remède. Cette attitude peut avoir
deux raisons: Ou bien le remède est vraiment mauvais et le médecin
consciencieux; dans ce cas, celui qui a produit le remède a mal travaillé. Son
travail n’a pas donné satisfaction, il n’était pas soutenu par le désir
objectif et ardent de produire un excellent remède. Les motifs du producteur ne
relevaient pas de la fonction du remède, mais, disons, de son désir de réaliser
des bénéfices, autrement dit de causes irrationnelles, puisqu’il n’était pas
adéquat au but. Dans ce cas, le médecin a une réaction rationnelle, il agit
dans l’intérêt de la santé humaine, c’est-à-dire qu’il est automatiquement
contre le mauvais remède puisqu’il est pour la santé. Il agit d’une manière
rationnelle, puisque le but de son travail et le motif de son opinion
coïncident. Ou bien le remède est bon et le médecin peu consciencieux; si, dans
cette hypothèse, le médecin est contre le bon remède, il n’agit pas dans
l’intérêt de la santé humaine, mais – mettons – parce qu’il est payé par une
firme concurrente pour la publicité qu’il fait pour ses produits. Il
n’accomplit pas sa fonction de travail en tant que médecin; le motif de son
appréciation (liberté d’opinion) est sans rapport avec son contenu ou sa
fonction de travail. Le médecin s’élève contre le remède, parce qu’il travaille
pour son propre bénéfice et non pour la santé. Or, le but de l’activité du
médecin n’est pas le profit personnel. Son attitude est donc essentiellement
négative («contre ») et non pas positive («pour»). »
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