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On connaissait les deux régimes de la
contradiction, principale et secondaire (ou subordonnée). L’aurait-on oublié
que ce qu’on a entendu après les attentats de janvier 2015 se serait employé à
nous le rappeler. Ceux qui, parmi les anticapitalistes, se sont montrés enclins
à la mansuétude pour l’islam politique radical (ils n’ont pas manqué)
prétendaient plus ou moins ouvertement que celui-ci était une invention du
capitalisme, pour continuer de se sauver. A ceux-ci convient d’objecter que le
capitalisme continuera de se sauver seul tant que sa contestation ne viendra
pas majoritairement de son sein, quelques ennemis extérieurs qu’il s’invente,
ou qu’on l’imagine s’inventer –et tant que cette contestation ne sera pas
réellement révolutionnaire. Or on ne voit pas depuis les années 1970 rien qui
le menace réellement ni majoritairement. (Si l’exigence révolutionnaire y
perdure, c’est à l’état résiduel, nostalgique, incantatoire et
archi-minoritaire.)
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Le capitalisme a depuis toujours ce problème,
qu’on l’a vu avoir contre le fascisme et le communisme, qu’on le voit avoir
contre l’islamisme politique radical : à se constituer comme religieux par surcroit (la contre-révolution
néo-conservatrice l’a bien essayé en usant ad
nauséam d’un vocabulaire religieux : «croisade », « axe du
bien et du mal », « guerre des civilisations », etc. , lequel
vocabulaire ne cherchait pas à beaucoup plus que justifier des menées
militaires intéressées et désastreuses au Moyen-Orient). Le fascisme et le
communisme naguère, l’islamisme politique radical aujourd’hui ont seuls été et
sont seuls capables de se représenter comme totalités. Comme totalités au sens
où le tout (totos) est appelé à – ou
promis de – s’accomplir ; et au sens où le même (tautos) ne l’a pas été ni ne le serait pas moins. Du tout, le
capitalisme est certes capable, qui y tend par nature. Mais du même, il ne l’a
jamais été, qui n’y tend d’ailleurs pas. Il tient que le tout peut se dispenser
du même, ou qu’il s’impose à lui (c’est sa surenchère archi-religieuse). De là
que le capitalisme n’ait jamais été ni ne soit jamais capable de plus que d’un
totalitarisme (ce qu’il est tendanciellement), quand c’est à un
« tautalitarisme » qu’il lui faudrait atteindre, à quoi vise et tend
l’islam politique radical.
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Georges Bataille, parlant en 1933 de ce
« tout » et mesurant les fascismes d’alors à l’islam politique
radical historique, autorise à rebours qu’on mesure l’islam politique radical
d’aujourd’hui au fascisme d’alors :[…]
Le fascisme a sous nos yeux, repris et reconstitué de la base au sommet –
partant pour ainsi dire du vide – le processus de fondation du pouvoir […]
Jusqu’à nos jours, il n’existait qu’un seul exemple historique de brusque
formation d’un pouvoir total, à la fois militaire et religieux […], s’appuyant
sur rien d’établi avant lui, celui du Khalifat islamique. »
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Ceci est possible aussi : qu’il entre dans
cette mansuétude inattendue de l’anticapitalisme un étonnement, qui sait une
envie : plus personne ne montre en effet, ici, assez de pensée ou assez de
passion pour mourir pour la révolution. La révolution se cherche des martyrs,
quand la religion n’en manque pas.
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On lit que l’anti-islamisme (ce qu’on appelle
en France : l’islamophobie) serait providentiel sinon pour le capitalisme
du moins pour l’état. Suivant sans doute un dualisme persistant qui voudrait
qu’on puisse ne se connaitre qu’un adversaire à la fois. Ou suivant un sophisme
qui écarterait de fait l’idée que l’islamisme politique radical et le
capitalisme seraient deux faces inconscientes d’une même adversité. Il ne fut
tout de même pas impossible, sinon facile, tout le temps que dura la guerre
froide, de n’être ni pro-soviétique ni pro-américain (ni stalinien ni
capitaliste). L’anarchie fut l’un des noms de cette exception.
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Le terrorisme serait deux fois providentiel,
qui permet à l’état de donner à ses réflexes antiterroristes l’étendue dont il
rêve, et à l’anti-terrorisme une
politique d’opposition à l’état, faute d’aucune autre politique réelle (à
fortiori anticapitaliste). Par quoi l’anti-terrorisme se laisse abuser ou
s’abuse lui-même (confusion involontaire ou entretenue entre l’état et la
domination, laquelle confusion mésestime que le premier ne dispose d’à peu près
plus aucun moyen et la seconde de presque tous). En effet, la question n’est
plus qu’en second lieu de la surveillance et de ses procédures, qu’on n’étant
pas à ce point, et depuis longtemps déjà, sans le consentement de ceux sur qui
elle va s’exercer. Lesquels n’y consentent pas seulement ; à la vérité,
qui y aspirent.
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Si l’on s’en tenait à cette dichotomie, il
suffirait que soient abrogées toutes les mesures antiterroristes pour que les
libertés nous soient rendues (vieilles brisées auxquelles le gauchisme se
raccroche pour maintenir l’illusion d’une adversité invariable). Mais tout a changé, et depuis longtemps. Et les
libertés n’existeraient pas davantage quand bien même personne n’y attenterait
plus (quand bien même personne n’attenterait plus même à leur « formalisme »).
On pourrait presque en faire l’hypothèse ironique : les mesures
antiterroristes sont tout au plus faites pour maintenir l’illusion que des
libertés existeraient encore. Exemple de cette confusion : « Quant à l’antiterrorisme, il faut vivre les
yeux fermés pour ne pas voir l’instrument politique de gouvernement qu’il
constitue depuis quinze ans, et plus notablement en France depuis les attentats
de janvier […] Comment en finir avec l’antiterrorisme comme mode de
gouvernement ? Et comment s’organiser afin de renverser l’ordre existant ? »
(Salon du livre politique, Paris, 2015, Présentation.) C’est sans doute là
parler fort et pour le plus grand nombre, mais c’est ne rien dire quant à ce qu’il
en est réellement. Car l’accent porté
sur l’antiterrorisme n’est pertinent qu’en partie, qui cherche à établir que l’état
a encore besoin de la terreur pour dominer. Ce qui ne constitue pas qu’une
méprise, mais une tromperie quant à la capacité de la domination à asservir
sans pour autant avoir besoin de terroriser. C’est le contraire même qui se
passe, où l’on voit que la domination est maintenant de force à « terroriser »
les états eux-mêmes. La Grèce vient d’en faire l’inévitable et amère
expérience, à qui les marchés ont rappelé qu’il n’y a que le capital qui
permette qu’on jouisse, mais qu’on n’en jouit qu’à ses conditions.
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L’anti-terrorisme tient si peu lieu de
politique qu’il est incapable de lui opposer plus qu’une pauvre incantation
insurrectionnelle. Sans cependant jamais dire laquelle ni à quelles conditions.
Sans surtout prendre en considération que l’insurrectionnalité est vide aujourd’hui
de toute substance politique, seulement susceptible de se remplir de toutes –
régressives aussi bien qu’émancipatrice ou révolutionnaires. Immaturité, selon
Boyan Manchev : « Il est
grand temps de dépasser l’état immature du romantisme révolutionnaire et d’opposer
la tendance à concevoir l’insurrection en tant que structure vide de l’évènement
(messianique, eschatologique). Il n’y a pas de politique sans substance, et la
substance historique est toujours complexe, elle relève d’un champ de forces où
la dynamique des partages et des déchirures excède toute hypostase de la
logique de la négativité, et de sa figure majeure – l’évènement de la Sortie. »
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L’éventualité que le vide de la structure
événementielle (insurrectionnelle ou révolutionnaire) se remplisse de
représentations et d’actualisations régressives et fascisantes est en effet la
plus grande aujourd’hui en Europe et en France. Lesquelles ne sont pas moins
que les représentations et actualisations de l’islam politique radical
susceptibles de produire un romantisme aussi, explicitement contre-révolutionnaire,
d’un pouvoir d’attraction-répulsion analogue, sinon aussi efficace.
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En réalité, la servitude que la domination est
parvenue à imposer n’est qu’accessoirement de nature policière ou de contrôle. Le
contrôle qui tend à s’exercer, sans reste en effet, est essentiellement de
nature marchande, et c’est celui-là même que les « masses »plébiscitent,
convaincues qu’elles sont que c’est de lui que dépend la part qu’elles
prendront à une prospérité promise à tous, mais il n’y a qu’elles à coupablement
parfois ne pas atteindre.
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C’est surtout ne pas vouloir tenir compte de ce
que le problème des libertés est déjà pour l’essentiel réglé, et qu’il s’est
réglé d’un commun accord entre, d’un côté, une volonté de surveillance certes
pour partie policière mais pour l’essentiel marchande et, de l’autre, un désir
narcissique irrassasiable d’attester de soi en se montrant en tout et partout (via la pandémie des réseaux). Une chose
est en effet que les états produisent (ou le semblent) les procédures les plus
sophistiquées pour que tout est partout leur soit « visible » ;
une autre est que tout le monde, en toute occasion, conspire dans ce sens et
veuille se rendre visible à la domination ; que chacun même mesure à sa
visibilité la part qu’il prend à la jouissance d’appartenir à la vision qu’elle offre et promeut. Les
écrans ont fait de cette vision-visibilité infinie leur propre infinité, la
seule qui échoie à cette époque et la mesure infiniment. C’est là que l’identité
narcissique se constitue et (dé)montre, ne jouissant pas moins de la domination
qui le lui permet que d’elle-même qui y existe. En quoi, une fois encore, l’identité
ascétique n’est pas sans lui ressembler fort. Laquelle ne se met pas moins en
scène, quitte à le faire, par un tour itératif et atroce du narcissisme, masqué.
Pour une jouissance plus
grande encore ?
Qui sait ?
Au bénéfice bien sûr du
capitalisme, puisqu’il n’y a de bénéfice pour
finir que de lui.*
Octobre
2015
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