jeudi 12 août 2021

Lignes N°62: Les mots du pouvoir le pouvoir des mots

Lignes: Collection dirigée par Michel Surya






Rien        par     Mehdi Belhaj Kacem

 

Un des premiers signes qu’a donnés notre président de la République de la nature de son investiture fut la fine distinction epistémologico-sociologique entre «  ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien ». Ceux-là firent vite de donner une couleur – jaune – à ce rien, pour rappeler à notre président, censé être un émérite philosophe, à quel point le rien était au centre des préoccupations de la pensée moderne. « Nous ne sommes rien, soyons tout » : ce président a vu passer de très près le rien, au point de faire s’abattre sur lui la plus violente répression policière à s’être vue de toute la cinquième République. Il s’est acharné sur le rien comme seul un aliéné peut le faire. La forclusion symbolique du rien lui est revenue en pleine gueule dans le réel.

Que seraient les mathématiques moderne sans le rien, que serait la poésie moderne si elle s’acharnait à dire le rien ? Le Rien, c’est l’esprit lui-même, la pensée comme telle depuis au moins deux siècles. Il faudrait lire à notre président tous les matins le poème suivant de Celan:

« Un rien,

Voilà ce que nous fûmes, sommes et

Resterons, fleurissant

La rose de rien la

Rose de personne. »

 

Faute d’assomption du rien, notre président n’aura recueilli de cette rose que les épines. S’ensuit une idée politique pas plus incongrue qu’une autre : le parti de rien, le front des « négativités sans emploi » dont parlait Bataille, qui ne désignait rien d’autre. C’est pour témoigner de cette France du rien qu’avec l’artiste Antoine d’Agata nous avons sillonné le pays pour photographier ce rien, le mettre en image. Le Rien est une idée neuve en France. Il est la majorité silencieuse interdite de la Représentation, laquelle n’en a en effet que pour « ceux qui ont réussi ».

 


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