Rien par Mehdi Belhaj Kacem
Un des premiers signes qu’a
donnés notre président de la République de la nature de son investiture fut la
fine distinction epistémologico-sociologique entre « ceux qui ont réussi
et ceux qui ne sont rien ». Ceux-là firent vite de donner une couleur –
jaune – à ce rien, pour rappeler à notre président, censé être un émérite
philosophe, à quel point le rien était au centre des préoccupations de la
pensée moderne. « Nous ne sommes rien, soyons tout » : ce président
a vu passer de très près le rien, au point de faire s’abattre sur lui la plus
violente répression policière à s’être vue de toute la cinquième République. Il
s’est acharné sur le rien comme seul un aliéné peut le faire. La forclusion
symbolique du rien lui est revenue en pleine gueule dans le réel.
Que seraient les mathématiques
moderne sans le rien, que serait la poésie moderne si elle s’acharnait à dire
le rien ? Le Rien, c’est l’esprit lui-même, la pensée comme telle depuis
au moins deux siècles. Il faudrait lire à notre président tous les matins le
poème suivant de Celan:
« Un rien,
Voilà ce que nous fûmes,
sommes et
Resterons, fleurissant
La rose de rien la
Rose de personne. »
Faute d’assomption du rien,
notre président n’aura recueilli de cette rose que les épines. S’ensuit une
idée politique pas plus incongrue qu’une autre : le parti de rien, le
front des « négativités sans emploi » dont parlait Bataille, qui ne
désignait rien d’autre. C’est pour témoigner de cette France du rien qu’avec
l’artiste Antoine d’Agata nous avons sillonné le pays pour photographier ce
rien, le mettre en image. Le Rien est une idée neuve en France. Il est la
majorité silencieuse interdite de la Représentation, laquelle n’en a en effet
que pour « ceux qui ont réussi ».
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