dimanche 22 août 2021

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

CAS NO 5

Psychoses puerpérales chez les réfugiées

On appelle psychose puerpérale les troubles mentaux qui surviennent chez la femme à l’occasion de la maternité. Ces troubles peuvent apparaître immédiatement avant ou quelques semaines après l’accouchement. Le déterminisme de ces maladies est très complexe. Mais on estime que les deux causes principales sont un bouleversement du fonctionnement des glandes endocrines et l’existence d’un « choc affectif ». Cette dernière rubrique, quoique vague, recouvre ce que le public appelle « grosse émotion ».

Sur les frontières tunisiennes et marocaines, depuis la décision prise par le gouvernement français de pratiquer sur des centaines de kilomètres la politique du glacis et de la terre brûlée, se trouvent près de 300 000 réfugiés. On sait l’état de dénuement dans lequel ils vivent. Des commissions de la Croix-Rouge internationale se sont à maintes reprises rendues sur les lieux et, après avoir constaté l’extrême misère et la précarité des conditions de vie, ont recommandé aux organismes internationaux d’intensifier l’aide à ces réfugiés. Il était donc prévisible, étant donné la sous-alimentation qui règne dans ces camps, que les femmes enceintes montrent une particulière prédisposition à l’éclosion de psychoses puerpérales.

Les fréquentes invasions des troupes françaises appliquant « le droit de suite et de poursuite », les raids aériens, les mitraillages – on sait que les bombardements des territoires marocains et tunisiens par l’armée française ne se comptent plus, et Sakiet-Sidi-Youssef, le village martyr de Tunisie, en est le plus sanglant exemple –, l’état de démembrement familial, conséquence des conditions de l’exode, entretiennent chez ces réfugiés une atmosphère d’insécurité permanente. Disons-le, il y a peu d’Algériennes réfugiées ayant accouché qui n’aient présenté des troubles mentaux.

Ces troubles revêtent plusieurs formes. Ce sont soit des agitations qui peuvent prendre quelquefois l’allure de furies, soit de grosses dépressions immobiles avec tentatives multiples de suicide, soit enfin des états anxieux avec pleurs, lamentations, appels à la miséricorde, etc. Pareillement, le contenu délirant est divers. On trouve soit un délire de persécution vague, qui intéresse n’importe qui, soit une agressivité délirante contre les Français qui veulent tuer l’enfant à naître ou nouvellement né, soit une impression de mort imminente, les malades implorent alors des bourreaux invisibles d’épargner leur enfant...

Ici encore il faut signaler que les contenus fondamentaux ne sont pas balayés par la sédation et la régression des troubles. La situation des malades guéries entretient et nourrit ces nœuds pathologiques.

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