Lignes N°65 : Etats d’exception
Rien d’exceptionnel par Yves Dupeux
« Comment peut-on dire
qu’il n y a rien d’exceptionnel à l’égard de la situation en tout point
exceptionnelle que nous vivons ? Car de fait, le coronavirus contamine
tout, c’est-à-dire aussi bien les hommes considérés individuellement que l’ensemble
des activités sociales qui les relient et les déterminent, et finalement le
monde lui-même. Mais si, avec cette pan-démie, tout (pan) est exceptionnel, alors plus rien ne l’est, par définition.
Afin de dégager le caractère
exceptionnel de cette pandémie, on entend souvent dire que « le monde
d’après ne sera pas comme le monde d’avant ». Une telle formule a
l’avantage de mettre notre situation actuelle en perspective, temporellement ou
historiquement, en insistant sur la rupture produite par la pandémie et le changement
qui en résultera. Il faut cependant préciser que si l’on peut aisément convenir
du caractère exceptionnel de cette rupture vis-à-vis du « monde
d’avant », on ne peut que douter du changement qu’elle est présupposée
produire, et donc de la nouveauté du « monde d’après ». Le
confinement, par exemple, qui semblait impensable dans le « monde
d’avant », a de fortes chances d’être la meilleure façon de le sauver,
voire d’assurer ses principes. En effet, il permet entre autres l’accélération
de la mise en place du télé-travail, c’est-à-dire d’une socialisation abstraite
à partir de la réalité d’un travailleur confiné, considéré à partir de (chez)
soi uniquement : l’auto-entrepreneur accompli. Par conséquent, ceux qui
voyaient dans l’exception actuelle l’occasion d’un « sursaut
politique » risquent d’en être pour leurs frais, d’autant plus qu’il n’y a
pas besoin d’être devin pour savoir à l’inverse qu’une crise financière et
sociale s’ensuivra. »
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