dimanche 1 août 2021

Capitalisme et Djihadisme: Une guerre de religion Décembre 2015 Partie 4 Par Michel Surya

 

·       On le déduirait à tort : la passion narcissique serait le fait «  progressiste », quand le puritanisme qui l’anime et la nourrit est réactif ou régressif aussi, comme l’est celui qui anime et nourrit la passion ascétique.

·       La passion narcissique n’est pas en soi moderne ni la passion ascétique archaïque, mais chacune l’un et l’autre. L’archaïsme de la passion narcissique n’apparait pas d’emblée, qu’on tient tout entière pour moderne. Celui de la passion ascétique saute aux yeux ; qu’in réduit à cela. A tort. Le même tort qu’eurent les années trente face au national-socialisme, lequel était loin de n’être qu’irrationnel ou barbare, comme on le voulait (comme on le dit aussi aujourd’hui du Djihadisme). National-socialisme que Hans Meyer caractérise de deux mots – qu’il y réduit : la « hache » (pour la décapitation, et la mise à mort archaïque) et la « chambre à gaz » (pour la mise à mort « moderne ») ; […] ce n’était pas seulement un retour à la barbarie. Il y avait aussi tout autre chose. D’un côté, l’exécution à la hache, de l’autre, le perfectionnement de la chambre à gaz, à l’aide de la technologie moderne allemande. »

·       Ce que la passion ascétique parait avoir de commun avec l’exigence révolutionnaire (apparence à l’origine des méprises les plus considérables) : le révolutionnaire occuperait dans ce schéma la position de la tentation acétique minoritaire (l’exigence de l’égalité est en effet par nature ascétique) aux marges de la passion narcissique majoritaire (par nature inégalitaire). Par-là, il serait permis de comprendre que la position anticapitaliste révolutionnaire puisse euphémiser la portée des crimes commis par les représentants les plus radicaux de la guerre entreprise au nom de la passion ascétique (comme on l’a hélas vu après les attentats européens, par exemple).

·       Ce qui ne devrait cependant pas permettre qu’in forme de ces deux passions, révolutionnaire et religieuse, une seule, ou qu’on la conclue de l’homotéthisme de leur opposition respective au capitalisme. La passion ascétique n’est en effet et ne peut qu’être contre-révolutionnaire, en tant qu’elle est puritaine, en tant qu’elle est anticapitaliste par principe (ce fut l’hésitation de Foucault sur la dite « révolution » iranienne, en 1979, due à cette même mise en équivalence fâcheuse ou bon enfant.

·       L’anticapitalisme semble ne pas apercevoir, quand il soutient tout anticapitalisme par principe, que c’est dans tous les cas la passion ascétique qui l’emporte sur toute autre dans son opposition à celui-ci. Ni apercevoir que la passion ascétique peut, en partie au moins, s’accommoder du capitalisme, quelque narcissique qu’il soit par principe.

·       Nul ne sait d’ailleurs rien encore de l’opposition structurelle réelle du Djihadisme et du capitalisme. Les pays (du Golfe par exemple) ne manquent pas déjà om la forme exacerbée de l’un s’accommode sans mal de la forme outrancière de l’autre (de même que le national-socialisme s’est accommodé sans mal du capitalisme qu’il promettait pourtant d’abattre).

·       L’euphémisation des crimes imputables à la passion ascétique en général, des attentats en particulier, est étrange ou cruelle – insupportable dans tous les cas. De quoi témoigne-t-elle ? D’une confusion, qui tiendrait une opposition pour une homologie, sinon pour une identité, selon un postulat que la stratégie peut aléatoirement justifier, mais que la logique récuse. Se connaitre le même ennemi ne fait pas de l’intérêt de chacun des deux parties en guerre contre lui le même intérêt, moins encore de ceux-ci des partis amis.

·       L’attrait qu’exerce sur certains la passion ascétique répons sans aucun doute à la nausée qu’inspire à d’autres la passion narcissique. Tout du moins en sera-t-il ainsi aussi longtemps que la passion narcissique, en tant qu’elle est secrètement puritaine, sera ascétique aussi. Si bien que ces deux passions qu’on pense s’opposer du tout au tout ou dont on voudrait que tous les oppose, ne s’opposent à la fin qu’en tant qu’elles luttent pour la même domination. Du moins ne s’opposent-elles pas sur ce point : elles reversent l’une sur l’autre leurs pulsions désaffectées ou désagrégées (devenues sans objet).

·       La question de la désaffectation ou de la désagrégation des pulsions est essentielle aujourd’hui, qui l’était déjà dans les années trente, au moment de la montée du fascisme et du nazisme. Ce qu’il n’y a que Bataille et Reich à avoir vu alors. Bataille qui pense le fascisme (français en l’occurrence, mais italien ou allemand aussi bien) comme le résultat de cette désaffectation ou de cette désagrégation. Qu’il pense comme extension et dilution de l’hétérogénéité –extension qui a pour effet sa neutralisation. Hétérogénéité  naturelle : le paria (aujourd’hui le Rom, le sans-papiers, le migrant, le réfugié) ; hétérogénéité élective ; l’artiste, le révolutionnaire ; hétérogénéité aléatoire : les classes moyennes désappropriées. Le problème est le même aujourd’hui où la désaffectation et la désagrégation des pulsions ne sont plus nulle part révolutionnaires et les hétérogénéisations de plus en plus involontaires.

·       Et c’est parce que la désaffectation et la désagrégation des pulsions ne seraient plus nulle part révolutionnaires que la passion ascétique serait à peu près tout ce qu’il resterait de l’anticapitalisme (pérenne) et de l’antifascisme (circonstanciel). Ou parce que le capitalisme serait sans dehors qu’il ne resterait d’anticapitalisme qu’ascétique. Autrement dit, il n’y aurait plus d’anticapitalisme conséquent que religieux, seul à s’opposer à la figure enfin achevée et canonique du marché. La question qui se pose aux anticapitalistes serait dès lors la suivante : auquel de ces deux mondes mortifères faut-il qu’ils s’allient pour qu’au moins l’un d’entre eux disparaisse ? Et lequel le premier-deuxième question. Il n’y a eu, longtemps, qu’un seul nihilisme. Un autre en est né qui, surenchérissant, lui conteste le nihilisme lui-même. Lequel l’emportera ? Quoi leur opposer pour qu’aucun des deux ne l’emporte ?

·       Le capitalisme : soit le soutenir dans sa totalité, soit le nier – y remédier ou lui nuire est devenu durablement impossible (tendance lourde du capitalisme : sa consolidation définitive). Le soutenir ne souffre plus ni détail ni condition. Il en est ainsi depuis 1989. Et c’est depuis 1989 qu’à peu près tout le monde le soutient.

·       On le notera ici, quitte à y revenir : l’aversion révolutionnaire pour la religion ne souffre, elle non plus, ni détail ni condition, ce qu’on semble avoir oublié. Ce qu’on  n’a peut-être pas oublié sans raison : c’est le plus souvent en effet que l’exigence révolutionnaire – de là sa perte répétitive- s’est, à rebours, paré des attributs de la religion : foi, sacrifice, expiation, messianique, eschatisme, etc. Comme le christianisme primitif, pour s’étendre, a emprunté partout aux attributs du paganisme, le révolutionnaire, partout en Europe, en Amérique latine a emprunté aux attributs du christianisme.

·       Il n’est certes pas interdit d’en appeler encore, au titre de l’exigence révolutionnaire, au communisme en tant que tel, incompromis, c’est-à-dire à son « idée ». L’ « idée » (« ce qui est obscur, douteux », en un mot, « allemand », disait Nietzsche) : soit tout ce qu’il subsiste de la chose quand elle s’est abâtardie ou absentée durablement. Ce n’en est pas moins se tenir aussi loin que possible du théâtre des opérations militaires actuelles.

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