dimanche 1 août 2021

Capitalisme et Djihadisme: Une guerre de religion Décembre 2015 Partie 1 Par Michel Surya

 


Tiré de la série : De la domination

 

Notice éditoriale

Le texte qui suit est la version remaniée et augmentée, « définitive » au sens ironique ou restreint que lui donne Borges, de la réponse apportée par l’auteur à la sollicitation que lui-même a faite à quelques amis, dont les contributions ont été rassemblées sous le titre « Les attentats, la pensée » du N° 48 de la revue Lignes, en octobre 2015. Il n’est peut-être pas inutile de reproduire ici les termes de cette sollicitation pour que cette réponse s’inscrive, comme elle le doit, dans la réflexion collective qu’elle cherchait à susciter :

Des évènements se sont succédé dont les conséquences nous obligent à penser la situation qu’ils ont déterminée :

1.    Les attentats de Paris, après ceux de Toulouse et Bruxelles ; avant celui de Copenhague- d’autres, inévitablement, à venir ;

2.    La réponse sécuritaire que le gouvernement français est résolu d’opposer à leur récidive (au nom des « libertés » ; au prix de celles-ci) ;

3.    La réponse idéologique qu’il leur objecte : l’union nationale, à laquelle la tentation semble grande en lui de réduire tout ce qui lui reste de politique ;

4.    L’ascension – irrésistible – de l’extrême droite française (des extrêmes droites européennes avec elle), attirant à elle (presque) toutes les droites et une large majorité de l’électorat (populaire, y compris de gauche) ;

5.    Le surenchérissement d’un séquençage identitaire jouant en tous sens, opposant entre eux des groupes se constituant en communautés : de quoi il résulte une forte augmentation du nombre des actes et propos racistes et antisémites. Etc.

6.    Situation d’autant plus préoccupante qu’elle prend appui sur ce que la France et l’Europe connaissent interminablement de la crise (économique et sociale), et de la défaillance ou de l’indifférence des gauches (de gouvernement ou de majorité) à y répondre (qui la secondent au contraire et l’aggravent).

 

La question de départ doit être décisive en cela : oui ou non la situation est-elle nouvelle ? Ou n’est-elle que la même aggravée ? Change-t-elle de nature et seulement de degré ? Quel sens, quelle pertinence etc. ont les évocations du passé (les années trente) ? Comment ne pas s’étonner surtout ( un parti pris s’impose) de ce qu’ont pu dire beaucoup de ceux pour qui, à gauche de la gauche, chez les anticapitalistes précisément, la situation ne serait pas nouvelle, mais la même, et pour qui les attentats – peut-être parce qu’ils ne veulent voir dans ceux-ci que les attentats « français » - témoigneraient d’un malaise ( au sens emphatisé de Freud) que la seule interprétation sociologique suffirait encore à circonvenir ; malaise qu’expliqueraient – séquelles du colonialisme raciste – les effets de la relégation et de la ségrégation des classes pauvres et immigrés ( ou d’origine). Tous points justes, mais qui ont déjà été servis et dont l’efficacité n’a pas été avérée.

Surtout, à les lire, à les entendre, une césure opérante a semblé se dégager : ce serait selon que le capitalisme est premier ou second dans l’analyse que s’établiraient les pensées et se distribueraient les déclarations. Ce qu’on peut dire autrement : soit ; l’anticapitalisme est premier, et il n’y aurait de moyen de penser cette situation – même dans ce qu’elle aurait de nouveau ou d’inédit- que comme l’in des symptômes dont seul son renversement viendrait à bout ; soit cette situation témoigne d’autre chose qui ne menace pas davantage le capitalisme que l’anticapitalisme qui conspire à le renverser (de ce point de vue, l’analogie avec les années trente serait plausible).

La difficulté qu’on n’a alors vu presque personne aborder : les rapports de puissance ne sont-ils pas en train de changer au point que penser selon les termes des puissances respectives du capitalisme et de son opposition ne suffit plus. Une autre puissance émerge qui ravage des territoires entiers, y répandant la terreur (terreur qui n’atteint encore l’Europe qu’épisodiquement), qui n’est sans aucun doute pas moins hostile à l’anticapitalisme qu’au capitalisme lui-même. De là que l’étau se resserre : plus de gauche ou presque, où que ce soit ; un plébiscite au contraire pour un libéralisme sans fard ni frein ; une extrême droite, comme on pouvait le craindre depuis longtemps, à l’affût et aux portes du pouvoir ; et, enfin, le déferlement d’un archaïsme historique qu’on ne voit pas à quoi comparer sinon à une variante du fascisme – l’opposition dominante serait dès lors celle-ci : d’un néofascisme djihadiste et d’un ancien fascisme européen.

Que penser donc de cette situation nouvelle ?

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