jeudi 5 août 2021

Lettre de Manon Aubry, pour elle-même et pour les autres

 Manon Aubry est une personne qui vient à la politique car elle a cette croyance que seule la politique peut faire bouger les choses. Comme elle le dit, peut-être casser les barrières entre politique et le monde associatif. La chose peut-être sincère, tentante mais ne peut-elle pas être le piège pour faire de l'entriste dans le monde associatif? Après l'avoir fait dans les syndicats, pour les détruire de l'intérieur, le monde associatif?

La sincérité de la personne n'est peut-être pas à mettre en cause mais on peut douter de la sincérité du monde politique.

DES PROMESSES EN POLITIQUE ET À SOI-MÊME : UN BILAN PERSONNEL DE MA 2ÈME ANNÉE DE MANDAT

 

S’éloigner de l’agitation politique. Prendre (enfin !) le temps de déconnecter. Voilà mon programme pour les prochaines semaines. Parce que je m’étais promis de ne pas être complètement happée par la vie politique. Parce que derrière nos combats politiques, nous devons rester des êtres humains. Parce que des élus coupés de la réalité, il y en a trop. Et que c’était une de mes lignes rouges que je m’étais fixée dans une lettre que je me suis écrite à moi-même avant de sauter le pas et de plonger tête la première dans le grand bain de la politique.

Alors que se termine ma 2ème année de mandat, c’est l’occasion de relire cette lettre. Et de faire un premier bilan. Personnel et subjectif, forcément.

La politique plus utile que l’associatif ?

Nombreux dans mon entourage me demandent si je regrette mon saut en politique. Ils voient mon rythme de vie transformé et accéléré et m’interrogent : était-il utile de quitter le monde associatif (Oxfam) pour entrer dans le jeu politique ? Deux ans plus tard, je n’ai aucun regret. Certes, le travail purement associatif me manque parfois. Notamment parce qu’il demeure bien moins violent et à certains égards moins épuisant que le monde politique. Parce qu’il m’a permis d’enquêter et de documenter les pires pratiques d’évasion fiscale, un travail de fond bien éloigné des polémiques politiciennes auxquelles je suis sans cesse sommée de répondre. Parce qu’il a vocation à faire l’agenda médiatique plutôt qu’à se le faire dicter sur des thématiques souvent montées de toutes pièces par l’extrême droite.

Mais non, je n’ai aucun regret. D’abord, parce que si tous les dégoutés de la politique partent, il ne restera plus que les dégoutants. Ensuite, parce que je reste convaincue que ce sont de ces passerelles entre le monde associatif et le monde politique que peut naître un élan de transformation, une véritable « union populaire » et créer une dynamique en capacité de l’emporter. Mais surtout, parce que la politique reste le principal moyen de changer la vie (« ici et maintenant » pour reprendre un vieux slogan qui a depuis été bien dénaturé…). De sortir des millions de gens de la pauvreté. De garantir un emploi à tous. D’éviter la catastrophe écologique. De mettre fin aux paradis fiscaux. Et voilà ce qui m’anime toujours, deux ans après.

Le syndrome de l’imposture

Alors comment trouver sa place ? C’est une vraie question. Et je mentirais si je disais que c’était la chose la plus facile. En politique, il est rarement permis d’hésiter ou de douter. J’ai d’ailleurs toujours été frappée par l’assurance que dégagent tous les hommes politiques (souvent des hommes d’ailleurs). La réponse à tout. La certitude de toujours avoir raison. D’être dans le vrai.

J’ai la particularité d’avoir été projetée dans le monde politique sans avoir eu à patiemment faire ma place, ou me vendre pour grimper les échelons. C’est une vraie chance car je ne me sens pas redevable et peux librement faire mes choix politiques sans calcul. La sincérité, ça n’a pas de prix pour moi en politique. Mais, il est évident que j’ai parfois l’impression d’être entrée là par effraction. Me sentir illégitime. Pas à ma place. Je sais que je ne suis pas la seule. D’autres l’ont écrit avant moi. C’est le syndrome de l’imposture, vécue bien plus souvent par des femmes. Et qui les pousse souvent vers la sortie.

Alors je veux dire qu’il n’y a rien de honteux. Qu’il est normal de douter. Que nous ne sommes pas des robots politiques. Et j’en suis même convaincue, c’est aussi ça qui fait notre force. Alors oui, cela nous éloigne peut-être de l’image des guerriers qui partent au combat la fleur au fusil. Mais j’assume de refuser ce cadre à la fois violent et puéril de petits garçons qui jouent à la guerre.

Députée activiste

Ma légitimité, je l’ai trouvée ailleurs. Dans la poursuite de mes combats associatifs dans le monde politique : c’était aussi une de mes promesses que je m’étais écrite il y a plus de deux ans. Car après tout, je ne me définis pas comme une élue. Mais comme une activiste. Une activiste au parlement européen. Un pied dans les institutions européennes pour mener le combat, et un pied auprès des mouvements sociaux et luttes sur le terrain. Oui mon objectif est de faire tomber les murs si épais qui existent entre les institutions européennes et la vraie vie.

C’est vrai que ça leur fait parfois drôle d’avoir une élue qui dit les choses directement, porte fièrement les habits de Rosie la Riveteuse en honneur au combat féministe ou se présente avec un T-shirt « taxez les riches ». Mais j’assume. Joindre le geste à la parole et sortir du ronron institutionnel dans lequel se sont enfermés trop d’élus. Quitte à secouer. Secouer Ursula Von Der Leyen, la présidente de la commission européenne, sur l’opacité des contrats avec les labos pharmaceutiques. Secouer les Etats européens parmi les pires paradis fiscaux du monde, ceux dont on ne doit pas prononcer le nom à tel point qu’on se croirait tout droit sorti d’Harry Potter. Secouer les lobbies en révélant et dénonçant le rôle qu’ils jouent en coulisses comme le MEDEF pour torpiller une mesure de lutte contre l’évasion fiscale. Secouer les multinationales qui violent les droits de l’homme. Secouer la banque centrale européenne en se battant pour une annulation de la dette. Secouer milliardaires et grandes multinationales en proposant une taxation sur les profiteurs de la crise. Et pour tout ce travail, j’ai la chance de pouvoir compter sur une équipe brillante. Car oui, la politique est avant tout une aventure collective. C’est certes ma bobine qui passe à la télé, mais il y a aussi derrière une formidable équipe qui bosse au quotidien avec moi pour réaliser tout ce travail. Et je veux ici les remercier car c’est aussi bien trop rarement le cas en politique.

Alors certes, nous n’obtenons pas gain de cause sur tout. Mais le vote au parlement européen appelant à la levée des brevets, c’est notre amendement après un an de bataille sans relâche. Le vote d’une proposition sur le devoir de vigilance des multinationales pour mettre un terme à leur impunité, mon initiative et notre texte, au terme d’une magnifique campagne « #QuiCommande » à laquelle vous avez été nombreux à participer. Ou encore c’est nous qui avons porté les débats sur l’annulation de la dette publique ou les paradis fiscaux.

Mais je considère également notre rôle comme celui de lanceur d’alerte. Pour vous informer sur ces contrats opaques entre les institutions européennes et les labos pharmas. Sur le rôle qu’ont joué les lobbies dans les négociations européennes pour torpiller les mesures de lutte contre l’évasion fiscale. Pour dénoncer le pass sanitaire européen. Ces nouveaux accords de libre-échange qui vont être signés. Et tant d’autres. C’est aussi pour cela que je m’attache en toute transparence à rendre de compte de manière régulière de mon mandat.

Nous sommes enfin un point de relais. Sur lequel, j’espère nous pourrons nous appuyer quand il s’agira de construire une alternative en France et en Europe.

Mais d’ici là, il faudra recharger les batteries. Il est temps pour moi de (vraiment) déconnecter quelques jours. Je commence par reprendre les chemins de rando. Prendre soin de mes proches. Me vider la tête. Préparer la prochaine saison de water-polo (oui, maintenir mes entraînements de water-polo c’était aussi une de mes promesses 😉).

Car le meilleur moyen de tenir des promesses politiques n’est-il pas de commencer par se tenir ses propres promesses à soi-même ?

Je vous embrasse. Et prenez soin de vous.

Manon

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