Lignes N°62 les mots du pouvoir le pouvoir des mots
Révolution par Bernard Noël
« Il ne s’agit pas d’une
égalité dans la possession, ais d’une fraternité dans le bien-être matériel.
J’aime à penser que ce fut l’idéal des premiers chrétiens dégradé ensuite en
charité.
La charité, pendant des
siècles, a pansé la pauvreté mais n’est jamais allé jusqu’à en combattre les
raisons. Elle ne fut qu’un palliatif et elle l’est toujours sous d’autres noms.
Que d’ONG pour combattre la
misère du monde, mais elles ne font que l’entretenir et n’y changent rien, tout
au plus sauvent-elles des vies.
Quand on apprend qu’une
dizaine de milliardaires possèdent à eux seuls, autant de biens que la moitié
ou les trois quarts de l’humanité », on est confronté à l’inimaginable.
La disproportion est telle
qu’elle paralyse la réflexion tant la quantité de richesse défie le nombre de
pauvres et la possibilité de diviser l’une au profit des autres.
L’étrange est que les riches
n’aient jamais songé à un partage susceptible de leur conserver leur place et
même leurs privilèges en assurant à chacun une solide aisance.
Le partage pourrait résoudre
en fondant, non pas une société égalitaire, mais solidaire. Et c’est à quoi
nous engagent toutes les violences du passé pour en finir avec elles.
Les riches sont en principe
des individus cultivés. Comment se fait-il que cette qualité ne les rende pas
sensible au sort des humains, naturellement leurs semblables en les incitants
au partage ? Un partage qui, au vu l’ampleur de leur richesse, leur en
conserverait l’essentiel.
Et finalement les avantagerait
en supprimant contestation, hostilité, révolutions. »
« Lu tout à l’heure un
texte sur la gig economy , déjà fort
avancée. Elle est basée sur l’auto-entreprise, qui fait de chacun un individu indépendant
mais surtout isolé et privé de droits sociaux. Travail à la tâche, et pas de
salaire. Pas d’encadrement, pas de régularité, isolement et fragilité.
Compétition de tous contre
tous, mépris des faibles, dictature du marché, contrats à la tâche, flexibilité,
disponibilité immédiate.
C’est l’économie à la tâche
qui maintient le travailleur dans l’inconnu avec des algorithmes d’évaluation
et une précarité extrême.
En somme la contre-révolution
est à l’œuvre et elle dispose de moyens non pas seulement de vaincre, mais de
liquider d’avance les moyens de résistance en les empêchant non seulement
d’agir mais de s’éveiller.
Empêcher que s’éveille le
désir de résister en bloquant d’avance cette aspiration naturelle : vieux
rêve de pouvoir absolu.
Sauf qu’auparavant cette effet
était obtenu par l’éducation, par le raisonnement orienté mais libre, tandis
qu’il est en train d’être installé par connexion, par maitrise extérieure des
défenses naturelles, leur perversion.
Les plus habiles vont cumuler
les commandes, s’enrichir, sous-traiter, les autres vont galérer,
s’épuiser… »
« Mais dans ce cas, de
quoi je me mêle car si je n’ai pas de pouvoir, je n’y ai pas de responsabilité.
Or, je voudrais des responsabilités sans pouvoir. Est-ce possible ?
Responsabilité et pouvoir sont-ils séparables ?
Arrivé là, je me suis cru au
bord de proférer des absurdités : eh bien non ! Si j’accepte des
responsabilités et refuse qu’elles me donnent un autre pouvoir que celui de les
exercer, tout change, car ce que j’exerce par devoir se limite à son exercice
et n’en profite pas à titre personnel. Il s’agit de dévouement et non plus de
pouvoir.
Ici quelque chose s’ouvre, qui
est inattendu bien que la conséquence de ce qui précède : si la
responsabilité pousse au dévouement et non au pouvoir quelque chose s’ouvre qui
ne donne pas vers le profit mais la générosité.
Brusque méfiance à l’égard des
bons sentiments, mais ne sont-ils que sentimentalement bons ? La
générosité est-elle un bon sentiment ? Sans doute mais au sens péjoratif,
et je l’étonne depuis toujours –depuis l’enfance qu’elle ne soit pas spontanée.
Tout comme je m’étonne que la religion chrétienne qui a régné si longtemps sur
l’occident n’ait pas généralisé solidarité, générosité, fraternité tout en ne
cessant de les promouvoir.
Mais la religion participait
au pouvoir ou bien l’exerçait, toujours dévouée ou complice ou gardienne. »
*
« Tout surpris d’arriver
au bout de ce carnet sans avoir avancé ; j’ai piétiné, piétiné…Est-ce un
effet de l’âge ? Ces derniers mots sont sans doute une dérobade, bien que
la fatigue soit là, tous les jours.
L’idée d’exercer des
responsabilités sans qu’elles me donnent un autre pouvoir que celui de les mettre
en œuvre : voilà surement la seule chose à développer.
Mais les agents de l’état
n’ont-ils pas été dans ce cas ? Tout déraille avec la destruction des
services publics. Quand la rentabilité n’est plus dans le service rendu, tout
va vers le pouvoir et il devient le maitre.
Rien de plus redoutable que le
pouvoir anonyme : celui qui manipule tout sans jamais révéler qui il est.
Le premier acte révolutionnaire serait de révéler qui il est. Mais nommer un
groupe : la finance n’avance à rien.
On parle de « postes de
responsabilité » : il faudrait qu’ils le soient sans en faire un lieu
de pouvoir.
Des responsabilités et pas
d’autre pouvoir que celui de les exercer.
Tel était, au fond, le rôle du
service public : responsable du service rendu mais n’en tirait pas d’autre
pouvoir que de susciter un Merci. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire