: Une lettre de J.P. Cannon (1)
Un camarade trotskyste,
soucieux de me montrer que son courant n’avait pas toujours eu une opinion
entièrement négative sur le mouvement anarchiste, m’a transmis la lettre
suivante de James P. Cannon dirigeant du Socialist Workers Party américain (trotskyste
orthodoxe, du moins à ses débuts), à une amie, Myra Tanner Weiss, dont voici
les extraits les plus significatifs :
Los Angeles, Calif. 29
juillet, 1955
Chère Myra,
J’ai reçu ta lettre du 9 juin.
Je dois avouer que le fait de t’envoyer ma brochure sur les IWW (2) était une
manœuvre calculée de ma part. Je savais que ce texte allait réveiller la
vieille Wobbly qui sommeille en toi.
Murry a en partie raison
lorsqu’il pense que je t’ai envoyé ce pamphlet parce que je te considère comme
une « anarchiste ». Mais il a complètement tort s’il croit qu’il s’agit pour
moi d’un terme péjoratif. L’anarchisme est une bonne chose, lorsqu’il est sous
le contrôle d’une organisation. Cela peut sembler une contradiction dans les
termes, mais sans l’anarchisme qui nous habite nous n’aurions pas besoin de la
discipline de l’organisation. Le parti révolutionnaire réalise l’unité
dialectique de ces forces opposées. Dans un sens, il représente la fusion de la
révolte individuelle instinctive avec la conscience que cette révolte ne peut
être efficace que si tous deux se combinent et s’unissent en une seule force
puissante que seule une organisation disciplinée peut fournir.
Dans ma jeunesse,
j’entretenais des relations amicales avec les anarchistes, et mon comportement
était spontanément anarchiste. J’adorais ce mot de « liberté » qui était le mot
le plus important de leur vocabulaire. Mais mon attirance spontanée pour ce
courant fut bloquée lorsque je compris que la réorganisation de la société, qui
peut seule rendre possible la liberté, ne peut s’accomplir sans l’aide d’une
organisation. Et qui dit organisation dit discipline et subordination de
l’individu à la majorité. Je voulais tout avoir à la fois, en fait j’ai
toujours les mêmes aspirations, mais je n’ai pas encore réussi à savoir comment
cela pourrait se réaliser.
Ceux qui sont nés après la
révolution russe et la Première Guerre mondiale ne savent pas et ne peuvent pas
vraiment comprendre ce que représentait le mouvement anarchiste avant 1914,
avant que ses hypothèses théoriques fussent soumises au test décisif de la
pratique. On considérait alors l’anarchisme comme la forme la plus extrême de
radicalisme. Les anarchistes attiraient des gens merveilleux ; ils se voulaient
les continuateurs des martyrs de Haymarket (3), et tous les cercles
révolutionnaires ou radicaux les respectaient. Lorsque Emma Goldman et
Alexander Berkman venaient à Kansas City durant une de leurs tournées de
conférences, nous les Wobblies, nous invitions les gens à venir assister à
leurs réunions.
Goldman était une grande
oratrice, l’une des meilleures que j’ai jamais entendues et Berkman un
personnage héroïque, d’une grande noblesse. C’est lui qui avait organisé le
premier comité de défense et le mouvement pour Tom Mooney (4), après que ce
dernier fut condamnée et lorsqu’il était sur le point d’être exécuté, quand
tout le monde avait peur d’élever la voix. Je me souviens de sa venue à Kansas
City, au cours d’une tournée nationale de conférences, où il était venu pour
organiser la première coordination des comités de défense de Mooney. Je me
rappelle avec orgueil avoir été un membre actif du premier comité organisé par
Berkman. (Moi et Browder (5)!)
Les pulsions de révolte des
premiers anarchistes étaient merveilleuses, mais leur théorie ne tenait pas la
route et n’a pu survivre au test de la guerre et de la révolution. J’ai honte
de rappeler que les anarchistes espagnols sont devenus ministres dans un
gouvernement bourgeois à l’époque de la révolution espagnole ; et que certains
vieux anarchistes américains de New York, ou plutôt ce qu’il en restait, sont
devenus des sociaux-patriotes pendant la Seconde Guerre mondiale. Rien n’est
aussi mortel qu’une théorie fausse (…)
James P. Cannon
Notes du traducteur
1. James P. Cannon (1890-1974)
Né dans un milieu d’ouvriers catholiques radicaux du Kansas, il devint un
organisateur des IWW et fut personnellement formé par Bill Haywood. Il adhéra
au Sccialist Party à l’âge de 18 ans et fut un des dirigeants de la tendance
favorable aux bolcheviks qui scissionna en 1919 pour créer le Workers Party
(l’un des premiers partis communistes aux Etats-Unis) dont il devint le
secrétaire général en 1919. Il s’allia à William Z. Foster dans l’espoir
d’implanter les idées révolutionnaires dans le mouvement ouvrier américain. Il
participa très activement à la campagne pour la défense des anarchistes Sacco
et Vanzetti. En 1928 alors qu’il assistait au Sixième Congrès de
l’Internationale communiste Cannon fut convaincu par les critiques de Trotsky
contre la bureaucratie stalinienne. A son retour, il fut exclu du PC et fonda
la Communist League of America qui publiait The Militant avec Max Schachtman.
Après une brève période d’entrisme dans le Socialist Party, Canon créa le
Socialist Workers Party en 1938, qui devint la plus grande section de la
nouvelle Quatrième Internationationale. En 1941, aux côtés de 17 autres
dirigeants du Parti, il fut arrêté en raison du Smith Act, loi anticommuniste
et le PC américain applaudit à son incarcération. En 1943, il fut condamné à 16
mois de prison et libéré en 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. James
P. Cannon a écrit plusieurs livres dont un seul est traduit en français.
2. IWW (Industrial Workers of
the Word), et Wobblies . Syndicat révolutionnaire fondé en 1905 par des
syndicalistes radicaux qui s’opposaient à la politique conservatrice et
pro-patronale de l’American Federation of Labor. Les Wobblies, comme
s’appelaient les membres de ce syndicat, comprenaient beaucoup de membres du
Socialist Party of America, du Socialist Labor Party et d’autres groupes
radicaux de gauche. Pendant les années 1910, les IWW jouèrent un rôle important
dans la lutte pour les droits des travailleurs américains. Des militants
célèbres comme John Reed (auteur du classique « Dix jours qui ébranlèrent le
monde), Mother Jones, Bill Haywod, Joe Hill et d’autres prirent parti pour
l’idée d’un grand syndicat en espérant que les travailleurs du monde entier
pourraient s’unir et combattre ensemble contre leurs oppresseurs capitalistes.
Mais le gouvernement lança une répression féroce contre les activités des IWW
en 1917 et l’influence du syndicat baissa rapidement. Les IWW devinrent anarcho
syndicalistes. Cette organisation existe toujours aujourd’hui mais ne regroupe
que quelques centaines de militants.
3. Martyrs de Haymarket. Suite
à la manifestation du 1er mai pour la journée de huit heures à Chicago une
bombe explosa parmi la foule. Cinq anarchistes furent accusés. L’un se suicida
en prison et les quatre autres furent pendus.
4. Tom Mooney (1882-1942),
syndicaliste des IWW, inculpé de meurtre suite à l’explosion d’une bombe à San
Francisco en 1916 qui fit 10 morts et 40 blessés. Sa condamnation à mort fut
commuée en peine de prison. Il fut gracié en 1939 et formellement disculpé en
1961.
5. Earl Russell Browder (1891-1973)
Originaire d’une famille nombreuse et très pauvre, il arrêta l’école à 10 ans
pour commencer à travailler. Il adhéra au Socialist Parti à l’âge de 15 ans et
milita dans l’aile gauche du syndicat de l’American Federation of Labor. En
1917 Browder fut condamné à 16 mois de prison pour son agitation contre la
guerre. Il adhéra au Parti communiste américain, travailla pour le compte de
l’IC en Chine en 1926 et épousa tous les tournants de la politique stalinienne
de la défense du pacte Hitler Staline (qui lui valut de passer plus d’un an en
prison) jusqu’à l’alliance américano[1]soviétique
contre le fascisme, alliance qui l’amena à dissoudre le PC dans le parti
démocrate ! Exclu du PC américain en 1946, il continua à défendre ses idées
jusqu’à sa mort.
Echanges de publications
Bulletin de la CNT 2e UR, lettre d’information de 8 pages. · L’Oiseau tempête,
revue de 68 pages. Correspondance : Oiseau-tempête c/o Ab Irato — BP 328 75 525
Paris Cedex 11 France. Les anciens numéros sont disponibles sur le site web http://internetdown.org/oiseautempete/plan.php3
Au sommaire du N° 9 : Fascisme de la misère, misère de l’antifascisme. Où en
est-on avec le mensonge moderne de masse ? Emeutes en Argentine. L’effet
Chomsky ou l’anarchisme d’Etat. Soulèvements en Algérie, etc. Dissidences,
revue d’histoire des mouvements révolutionnaires · A contre-temps, bulletin de
comptes rendus de livres anarchistes Présence marxiste
Découverte !
Si vous vous intéressez au
Brésil, la revue Maira vous apportera de solides informations comme le dernier
numéro (65) consacré aux « Feintes dissidences dans le Brésil globalisé : les
exemples du Parti des travailleurs et du Mouvement des sans-terre ».
Au sommaire des numéros
précédents : N° 55-56 A table ! — N° 57-58 et 59-60 On n’a pas tous les jours
500 ans — N° 60-61 et 62-63 Présences juives au Brésil — N° 64 Feintes
dissidences : le PT et le MST. A travers des articles courts mais bien
documentés, on apprend plein de choses et surtout c’est pas écrit en langue de
bois gauchiste ou sectaire. Y a même des recettes de cuisine dans le N° 55-56
et des cours de capoeira pour garder la ligne (pas la ligne politique
heureusement, l’autre) ! Abonnement pour 6 numéros par an (en principe…) 7,62
euros. Libellez votre chèque à l’ordre de Maira. Correspondance : Maira, 4
sentier des Joncs 94230 Cachan. E-mail : associationmaira@aol.com. T. : 01 46
65 19 83.
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