L'agglomération de personnes
vivant sous les mêmes lois, dans un pays limité par des frontières, ayant des
intérêts communs, une langue commune et des droits plus ou moins communs
constitue une nation.
Il arrive qu'on emploie le
mot peuple à la place de celui de nation, mais il parait plus logique de
réserver le nom de peuple (v, ce mot) aux multitudes unies par une communauté
d'origines et d'idées, et de qualifier de nations les peuples régulièrement
constitués en Etat politique et souverain.
Chaque nation a ses
coutumes, ses mœurs et souvent des religions diverses. Des prérogatives qui
s'attachent aux diverses branches de l'activité nationale se constituent un
droit national qui coordonne l'action individuelle à l'action collective, pour
l'intérêt général. Parmi les nations les unes sont belliqueuses, puissantes,
civilisées ou barbares, sauvages, prospères, commerçantes, industrielles,
agricoles, riches ou pauvres. Ainsi par les nations naissent les rivalités, la
concurrence, les alliances et les guerres qui constituent les plus tristes
fléaux qui puissent affliger l'Humanité.
En théorie, et en époque
d'ignorance sociale sur la réalité du droit, tout le monde est peuple et
souverain ; en pratique, sont seuls souverains dans la collectivité nationale
ceux qui détiennent les richesses ; et ils le sont : soit directement, soit par
interposition de mandataires défendant plus ou moins bien leurs intérêts.
Rationnellement, la nation, à notre époque, représente une circonscription
humanitaire déterminée par une certaine communauté d'idées sur le droit spécial
de chacune d'elle, Aussi les mœurs, les coutumes, les institutions varient dans
chaque nation, Ce qui est vérité dans l'une est erreur dans l'autre. Avec cette
diversité de méthodes particulières et collectives, il est Impossible d'obtenir
une harmonie réelle clans les rapports sociaux.
C'est de l'ignorance du
droit réel, du droit social que les nations sont faites. Quand l'idole qui
résume les idées dominant la nation tombe, la nation déchoit et meurt plus ou
moins rapidement. . .
Les nations sont en quelque
sorte des incarnations du Dieu personnel et leurs mœurs s'inspirent des idées
qui se rattachent au culte du Créateur : Elles s'évanouiront au fur et à mesure
que le droit passera du domaine national à celui de l'Humanité. Quand la
Société se substituera à la Divinité, le Droit aura une valeur morale réelle,
c'est-à-dire commune pour tous et pour chacun et la vérité sera la même
partout, aussi bien que l'erreur. C'est de ce moment, c'est-à-dire de la
connaissance de la vérité, de l'application de la justice égale pour tous, que
le droit aura une autorité incontestée parce qu'incontestable. Nous n'en sommes
pas là, mais la nécessité sociale amènera les nations à ne former qu'une
Société comprenant tous les peuples. A notre époque d'ignorance sociale, le
besoin d'harmonie se fait empiriquement sentir ; cependant chaque nation se dit
autonome, croit à son indépendance et s'attribue une souveraineté toute
puissante dans la pratique de la justice spéciale qu'elle propose.
Il en est ainsi parce que
toutes les attributions nationales reposent sur l'idée de droit que les classes
dirigeantes et possédantes se font du pouvoir qu'elles disent détenir : soit de
Dieu, soit du peuple souverain. Ces espèces de souveraineté ne reposent sur
aucune preuve, mais simplement sur la foi et l'illusion ; toutes aboutissent au
despotisme d'un seul ou de quelques-uns et nullement à l'application de la
Justice.
Mais ces deux espèces de
souverainetés qui ont nom théocratie et démocratie conduisent au désordre ; la
seconde directement comme c'est le cas actuel, avec le despotisme de la finance
et la première y conduit aussi en cédant le pas à la seconde.
Nous sommes loin de la
justice, par l'application de ces souverainetés, que la nécessité sociale, le
besoin d'ordre rationnel, obligeront de réaliser et qui donneront naissance à
la souveraineté de la Raison, seule possible pour avoir un ordre durable.
Sans être à la veille de la
fusion les souverainetés existantes, appliquées nationalement, chacun comprend,
plus ou moins empiriquement, le besoin d'une rénovation sociale qui situerait
les nations sous la dépendance du droit humanitaire.
La mission historique des
nations, la grande prestation morale des peuples ont pour but de créer un ordre
social nouveau où l'homme sera libre réellement. A la souveraineté de la force
qui est la seule que l'Humanité ait connue et connaisse, (et par suite chaque
nation) succédera nécessairement la souveraineté de la Raison, De nos jours il
se produit pour les nations ce qui se produit pour les individus : chaque homme
est nécessairement souverain par sa raison pendant toute l'époque de doute
social, de même que les peuples l'ont été, le sont encore quant aux droits de chacun
et le seront jusqu'à ce que la connaissance de la vérité du droit ait substitué
l'Humanité aux nations, le droit réel et logique à la force individuelle.
En résumé, l'existence des
nations implique celle de l'ignorance sociale et l'ignorance sociale de la
vérité de la réalité du droit commun à tous a pour conséquence inévitable
l'application nécessaire de la force au maintien de l'ordre, de sorte que les
mandements et ordonnances, pour, parler comme Proudhon, qui partent d'une
nation n'offrent pas pour toutes la même garantie.
Hypocritement ou ouvertement
deux nations souveraines en contact ne peuvent pas ne pas être, économiquement,
en état de guerre déclarée ou sournoise tout comme le sont, dit Colins, deux
familles qui vivent isolément tout en étant voisines. La fraternité la
solidarité entre ces familles ne peut être qu'illusoire et non réelle. Sans la
reconnaissance d'un droit supérieur à toutes les nations, il ne peut exister
entre elles de paix véritable.
Nous approuvons l'idée d'une
Société des Nations comme nous approuvons tous les pactes qui auront pour but
de fusionner, ne serait-ce que sentimentalement, les intérêts particuliers avec
l'intérêt général. Pour l'heure et tant que le Droit n'est que l'expression de
la force, une nouvelle Tour de Babel pointe à l'horizon. C'est tout de même un
heureux symptôme de voir les grands de la Terre aussi bien que les exploités du
travail s'intéresser à l'interpénétration au sein des nations, d'un DROIT
souverain.
Il saute aux yeux et au
cerveau que : lorsqu'il n'y aura plus qu'un Droit pour tous les peuples, pour
toutes les familles, pour tous les hommes ; du moment, enfin, que la nécessité
de la justice en imposera l'application, le Droit réel qui en est l'expression
obligera les nations à disparaître et à fusionner dans l'Humanité pour ne
former qu'une seule société rationnelle. Les nations seront alors dans la
Patrie universelle ce que sont, de nos jours, dans chaque nation, les
départements et les provinces, où chacun jouira pareillement de la liberté, du
bien-être par le travail et, enfin, de la justice réelle en conformité des
actions autant individuelles que sociales.
- Elie SOUBEYRAN.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire