vendredi 27 janvier 2023

Je n'ai pas de haine Par M.A.

"...Ça y est...Je suis encore en vie...Depuis combien de temps je suis ici?...Je sens ma couverture mouillée. Ils en ont encore profité pour y jeter un seau d'eau...Qu'est-ce qu'il fait froid !...La lumière est floue...J'essuie mes yeux...Ils me font mal...Tous les points de mon corps me font mal...On dirait qu'ils ont visité chaque centimètre carré...C'est comme si il ne m'appartenait plus...Même ça, ils ont réussi à me le voler...Je le dépose à mes bourreaux afin qu'ils en extraient des aveux... 

 

Quels aveux?... 

 

Quel sera mon soulagement?  

 

Mes amis seront torturés aussi, comme moi, pour donner d'autres noms et puis, un terme à quoi?  A la souffrance?...A la mienne?... 

 

Se dire que l'on se fout de tout ça? Que l'on s'est placé au-delà de ce monde, que tout cela ne nous concerne plus?  

 

Mais bien sûr que cela nous concerne puisqu'ils nous torturent... 

 

Bien sûr, les gens comprendront...La torture, il n'a pas tenu...Finalement, on lui en veut un peu...Ça doit être horrible... 

 

Est ce qu'il y a un temps de résistance minimum à la torture avant de tout lâcher, sans être traité de lâche?... 

 

C'est quoi la lâcheté?... 

 

Est-ce nous qui en donnons une définition ou ce sont ceux qui sont dehors et qui attendent d'en définir les limites?... 

 

J'ai faim...J'ai pas soif... 

 

Toute cette humidité autour de nous a fait que je n’aurais plus soif de ma vie...Du moins du temps qu'il me reste.. 

 

.J'ai froid...J'ai dû dépasser les 4 jours, puisque je ne pleure plus... 

 

Maintenant, j'attends... 

 

Je sais que je dois attendre qu'ils viennent me chercher... 

 

J'en entends autour de moi qui pleurent encore dans les cellules à côté...Je leur dis: "Ne t'inquiètes pas..." 

 

 Après, on sait que cela fonctionne autrement... 

 

A nouveau, mon regard se brouille...Une douleur fulgurante me remonte des boyaux...Une hémorragie… sans doute, la javel... 

 

Je m'évanouis...  


 La porte s'ouvre.  

 

Ils m’attrapent par les bras et me traînent vers le petit bureau à la porte verte.  

 

Elle s'ouvre... 

 

Je pourrais dessiner cette odeur... 

 

La même obscurité avec ce halo de lumière centrale, on me pose sur une chaise... 

 

Ça me déchire le fondement...Je ne bouge plus...Des tessons de bouteille... 

 

Je n'ouvre pas les yeux, je le connais...  

 

"Ouvrez les yeux quand je vous interroge!"  

 

Je les ouvre.  

 

"Alors, on reprend...Vous allez me donner la liste de vos complices...  -Je ne vois pas de quoi vous parlez...Je suis seul et je travaille à l'usine de vélo...  -Vous faites des actes terroristes, je veux les noms de ceux avec qui vous faites des attentats...  -Je ne comprends pas..."  

 

Il me tend un verre.  

 

"Buvez!  -Je n'ai pas soif.  -Buvez! Allez, buvez!"  

 

Je bois. Ça me déchire la gorge et les boyaux. Je me tords, je tombe de la chaise...Je sens encore les morceaux de bouteille... 

 

Voilà, je ne vais pas tarder à m'évanouir encore...  

 

"Si vous ne parlez pas, j'abats cette femme avec son enfant." 

 

Je cherche des yeux un peu d'air...Je vais bientôt m'asphyxier avec mon sang...Je ne peux plus déglutir...  

 

"Laissez les...Ça ne servira à rien, je ne sais rien."  

 

La femme serra son enfant contre elle.  

 

"Parlez! hurla-t-elle. Parlez, je vous en supplie." 

 

 Si j'avais pu lui dire que cela dépassait nos simples êtres... 

 

Que c'était l'histoire avec un grand H qui se débattait au-dessus de nous... 

 

Que nous ne devions plus faire cas de nos corps, de nos êtres et de nos proches... 

 

Je la regardais dans les yeux...Droit dans les yeux...Elle comprit, elle serra un peu plus son enfant...  

 

Lorsqu'elles s'écroulèrent devant moi, je décidais de m'évanouir afin d'aller les pleurer, tranquillement, sur mon matelas mouillée... 

 

Sa douleur, avec la mienne, dans une même lutte désespérée... 

 

Je n'étais pas seul dans cet état d'abandon. J'avais tout quitté pour me lancer dans ce combat...  

 

Lorsque le parti nazi s'est constitué en Allemagne, moi, le communiste Polonais de Gdansk, j'ai su que ma vie allait se marier avec l'histoire de l'humanité.  

 

Pas du monde mais de l'humanité.  

 

Un soir, en sortant de l'usine, notre groupe s'est réuni. Nous avons regardé les actualités sur la guerre d'Espagne. Les combats faisaient rages. Nous sentions que les forces étaient en équilibre et qu'ils allaient falloir qu'il se passe quelque chose pour mettre fin à tout cela. Notre section porta au vote pour savoir si on devait y aller ou pas. Nous allions devoir annoncer notre décision à nos familles.  

 

Le matin de notre départ, le brouillard ne s'était pas encore levé. Ça allait donner à notre départ cette sensation de disparaître au bout du chemin. Je serrai ma femme dans mes bras. Il y avait comme une évidence. Notre vie avait toujours été un combat. S'en était un de plus. Elle me sourit et je partis.  

 

Lorsque l'Espagne s'est vu refuser la démocratie par un fou nationaliste réactionnaire, qu'il a été aidé par les nazis et les fascistes qui ont expérimenté sur le peuple de Guernica une stratégie de mort, j'ai décidé de tout quitter pour aller lutter pour ceux que j'aimais... 

 

Mes proches et les autres, tous les autres... 

 

C'était l'utopie de la vie commune, du vivre ensemble, et surtout, cette sensation effroyable de comprendre que si nous restions comme des lâches au dehors de ce conflit... 

 

Cette guerre n'était pas qu'une guerre civile mais les prémices de ce qu'allait devenir la guerre mondiale... 

 

Rien n'aurait pu m'arrêter... 

 

Rien n'aurait pu nous arrêter, nous, les républicains, rien... 

 

Et rien n’aurait dû arrêter tous les républicains du monde… 

 

Nous avions tout compris de ce combat...Nous savions que ça n'allait pas s'arrêter à ce pays moderne puisqu'ils avaient essayé une société... 

 

Quelque chose de libre qui faisait peur à tous ces fous dangereux qui ne pouvaient admettre qu'on n'ait pas besoin d'eux...Et en même temps, les gouvernements se posaient aussi la question pour eux...Allaient-ils nous jeter après?... 

 

Et malgré la lâcheté des hommes politiques de France, nous sommes venus ensuite vous aider... 

 

Parce que nous aimions la vie et la liberté...Et voilà, où mes croyances m'ont amenées... 

 

Je n'ai pas de regrets... 

 

Aucun... 

 

Je n'en veux à personne car ça a toujours été mon choix...Qui m'a amené ici... 

 

Parmi ces morts, tous ces morts, même ceux qui nous torturent sont déjà des morts en sursis... 

 

Nous n'avions pas à les envier...  

 

 

Un matin, ils m'emmenèrent à la lumière naturelle.  

 

Quelle douleur de bonheur!  

 

Enfin, j'allais être libre.  

 

Je ne pouvais plus les haïr, je ne pouvais plus.  

 

J'ai même du dire avant de tomber : "je ne déteste pas le peuple allemand." 

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