dimanche 29 janvier 2023

Lignes N°48: Les attentats, la pensée

 Lignes est une collection dirigée par Michel Surya

Article: La désorientation générale   par Plinio Prado

"La question est bien celle de la désorientation générale. Celle-ci définit le motif le plus rassemblant probablement, dans lequel viennent se nouer les différents fils, les fils de quelques événements qui importent aujourd'hui et trament notre sort actuel.

Ces fils portent tous la marque de la menace. Que ce soit l'expansion et l'intensification des attentats du salafisme djihadiste, et ladite "co-radicalisation" en miroir de l'extrême droite islamophobe; ou la montée actuelle des nouvelles extrêmes droites populistes en France et en Europe; ou encore la "politique des choses" du système lui-même, qui sur fond de l'abaissement du politique dans la gestion, érige la sécurité comme technique de gouvernement.

Ces menaces ne sont pas toutes de même espèce, évidemment, ni ne s'équivalent. Il reste que toutes s'en prennent, en dernière analyse, à la vie subjective, singulière, au soi. C'est-à-dire, plus précisément, au rapport de soi à soi et à l'autre de soi, à travers lequel seulement un sujet peut garder sa "ligne générale".

De sorte qu'ici, sous les menaces diverses, le sujet perd et se perd sur tous les tableaux (qu'il soit forcé de renoncer à soi par doctrine, ou réduit à chose évaluée par telle gestion des ressources).

Menacer, minari, c'est mener: technique des meneurs. Dépossédé de son rapport à soi, le sujet menacé est mené, dirigé, géré".


"La désorientation générale

Mon argument tient alors en quelques propositions:

-Notre situation actuelle ne peut être correctement comprise qu'à partir de cette faillite de la figure moderne du politique, et partant de l'histoire, avec l'horizon et la temporalité propres que dégageaient ses promesses d'émancipation.

-Sur fond de cet échec et en absence de tout horizon, la politique ( au sens institutionnel du terme tout au moins, celui de la "classe politique") est devenue gestion des affaires du système, "politique des choses", réglée sur les impératifs libéraux de la mondialisation du marché économique, financier, technologique, scientifique.

-Le culturel, les mass et multi-média, sont essentiels à la politique des choses du système libéral démocratique, programmé pour mobiliser et exploiter les énergies naturelles et humaines (conduire l'opinion, guider le désir) à plein rendement. Ils s'emploient à mobiliser en parmanence les corps et les psychés des "ressources humaines" que la politique administre. ils les maintiennent rivés à l'échange des messages, tournés au dehors, ils travaillent à déposséder les sujets de tout rapport à eux-mêmes, les rendant superflus, permutables, "échangeables".

En un mot: ils organisent la désorientation générale des esprits.

-Or, c'est sur cette vague de désorientation générale que surfent aujourd'hui les mouvements extrémistes, radicaux et co-radicaux évoqués, ainsi que les "réponses" gouvernementales tout aussi bien. Porteurs des menaces qui grèvent notre situation actuelle, ils le sont à des degrés divers, certes; et celles-ci ne sont pas de même nature. mais elles font système aujourd'hui, en un sens, en s'entretenant réciproquement.

-des points précédents il suit que la meilleure façon d'opposer une résistance à ces menaces, c'est de s'en prendre à ce sur quoi elles surfent et dont elles se nourrissent: la vague de désorientation générale ambiante.

Et pour résister à la désorientation générale, pour arriver à s'orienter ou à se réorienter dans sa conduite et dans son existence, qu'ont-ils d'autre finalement sur quoi compter, les êtres parlants, sinon sur les ressources de ce "travail" qui consiste à renouer un rapport de soi à soi et à "l'autre" de soi, dernière boussole du survivant, condition et principe de toute orientation possible"?

Aucun commentaire: