jeudi 26 janvier 2023

Lignes N°69: Logiques du conspirationnisme

Lignes est une collection dirigée par Michel Surya

Article:  Sur ma propre confusion et celle de quelques autres   par Alphonse Clarou

"Leur pouvoir est sans bornes. Avec eux on peut confondre la mer allée avec le solail ou mairer le ciel et l'enfer, on peut faire que toutes les vaches la nuit soient grises, de même que toutes les passions contraires et les différentes perspectives révolutionnaires, en général issues d'un même refus de ce qui est, les libertaires et les égalitaires, les conservatrices et pire, on peut déboussoler l'esprit humain, le mettre snews dessus dessous, le priver de ses répères et de quelque critérium moral que ce soit, inverser toutes les valeurs, faire que le haut devienne le bas et vice-versa, on peut même faire que la mort devienne vivante, la même chose qu'une simple histoire à raconter, un théâtre qu'elle inaugure...Pour le meilleur et pour le pire: de cela on n'est jamais vraiment, immédiatement certain".


"Quelques autorités intellectuelles, ni critiques ni conspirationnistes ( comme c'est bien connu que d'autres ne sont ni de gauche ni de droite), auront trouvé intérêt à les confondre. En commençant par décréter mortes les premières, les vessies, vieilleries communistes ou sympathisantes plus ou moins contestataires, bonnes pour la déchetterie des alternatives; déblayant le terrain pour laisser volontairement ou non le champ libre aux secondes, lanternes faites pour élaborer ou mettre au jour des fictions alternatives, obscures et profondes, fonctionnant comme le négatif des fictions dites officielles, par lesquelles quelque ordre que ce soit se nourrit et se maintient. lanternes magiques répondant aux lumières implacables de ce qui est, les deux se mêlant et se confondant pour se projeter ensemble un peu partout sur les pages et les écrans bleus tenant lieu de débat public".


"Si la critique est décrétée morte par ceux qui y trouvent un intérêt, ou si elle ne cherche plus à se transformer, à trouver sa propre forme, jamais définitive, et si de la méthode on ne garde que le premier moment de doute, hyperbolique, dont le ventre est fécond en rêveries morbides ou en élucubrations fantaisistes, alors la confusion l'emporte, gagne du terrain. Le niveau de confusion augmente en même temps que celui des simplifications.

Par exemple, la critique est le bien, le conspirationnisme le mal. Le mal est grand et le bien rare: il suffit qu'une petite quantité de mal pour absorber une grande quantité de bien, mais la réciproque n'est pas vraie. On voudrait donc lutter, prendre part à ce conflit, trouver le moyen de penser-contre: de corriger le mal et que le bien cesse de se laisser absorber par lui. découvrir à hauteur de mots, la vaccine qui ralentirait la contagion que provoquent ces mêmes mots, prêtant à confusion et profitant de cette confusion pour se figer en représentations arrêtées, capables de se démultiplier; trouver le moyen de ralentir la vitesse et d'atténuer le vertige de leur démultiplication et de leur circulation, de guérir du mal ou de la maladie que cette contagion répand. On voudrait opposer à la confusion d'une pensée la clarté d'une autre, à l'angoisse d'une question le réconfort d'une réponse. Au conspirationnisme d'esprits malades ou détraqués, perdus quoi qu'il en soit, la santé mentale et sûre d'elle-même d'une critique ou d'une clinique vertueuse".

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"Et puis penser-contre fatigue, déprime par avance, lasse et laisse se répandre l'ennui. Penser-contre qui croit déjà penser contre fatigue aussi et encore plus. Le philosophe était-il fatigué quand il disait qu'on ne pouvait parler ou penser qu'avec qui ou quoi l'on se trouvait sur le fond d'accord - qu'on ne pouvait pas penser contre -, était-il fatigué pour laisser ainsi la porte grande ouverte à toute une génération pop et post-critique qui ne s'en est pas privée de l'enfoncer, laissant le divertissement conspirationniste occuper le champ libre de la contestation?"

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