dimanche 1 janvier 2023

Chroniques politiques des années trente (1931-1940) Par Maurice Blanchot

 « Avant Genève – M. de Neurath expose les principes de la politique allemande – Un discours logique »


Au moment où vont recommencer les négociations sur le désarmement et, avec elles, les discussions chimériques et les manœuvres dangereuses, le discours de M. de Neurath constitue un rappel salutaire des choses réelles. Les puériles rêveries de Genève sont, en septembre 1933, au temps de l’Allemagne hitlérienne, une incroyable absurdité. Le gouvernement du Reich lui-même souligne tout ce qu’il y a d’enfantillage dans cette entreprise. M. de Neurath, qui est un diplomate et qui n’est pas un agitateur, s’est exprimé sur toutes ces questions avec une netteté qui ne peut laisser aucun doute aux gouvernements. L’Allemagne n’acceptera ni statut international ni contrôle, qu’il soit immédiat, périodique ou automatique, tant que les autres pays n’auront pas eux-mêmes désarmé. Elle n’acceptera pas davantage que les puissances lui refusent la réalisation de l’égalité des droits qui lui a été reconnue. L’Allemagne affirme avec ténacité et avec impatience les thèses qu’elle a toujours soutenues à Genève et que la faiblesse des gouvernements a laissé s’accréditer. Ces affirmations ne peuvent surprendre personne. Ce qui est inconcevable, c’est que les autres puissances les aient rendues possibles et qu’elles se soient exposées à ce refus arrogant. Tout est étrange dans la politique qui a été suivie. Il était insensé de proposer, dans une Europe troublée et en face d’un peuple menaçant, l’idée d’un contrôle international comme seule condition du désarmement. Il était absurde, après les expériences passées et toutes les fraudes de l’Allemagne, de considérer cette méthode comme efficace. Il était puéril enfin de la considérer même comme applicable. L’Europe est aujourd’hui incapable de contrôler Hitler et les nazis. C’est un projet qui n’a de sens que dans les songes de l’internationalisme. Mais il n’a aucune portée réelle. L’Allemagne refuse tout contrôle des armements, parce qu’elle se déclare déjà désarmée et en règle avec le traité de Versailles. Bien plus, elle incite les autres puissances à se conformer au statut militaire dont elle ne veut pas pour ellemême. C’est une prétention hardie. Mais c’est malheureusement la suite logique des défaillances qui ont marqué notre politique depuis dix ans. Tout le monde sait aujourd’hui que l’Allemagne a réarmé, qu’elle a éludé presque toutes les clauses du traité de Versailles, que, pendant des années, sa mauvaise foi a été évidente et souveraine. Tout le monde connaît la vérité sur ses armements, comme sur ses intentions. Mais l’hypocrisie internationale a couvert tous les manquements du Reich et lui a laissé le bénéfice de sa fraude. Le gouvernement français, avant toute discussion sur le désarmement, avait le devoir de dénoncer avec franchise et avec fermeté cette situation. Il s’est contenté d’allusions timides et impuissantes. Puis il s’est tu. La reconnaissance de l’égalité des droits a consacré cette abdication. Aujourd’hui, il subit les conséquences d’un long égarement et d’une constante faiblesse. Dans ces conditions, les négociations qui vont très prochainement commencer entre les représentants de l’Angleterre, de l’Amérique et le gouvernement français n’ont plus aucune signification. L’Allemagne a fait connaître quelle serait son attitude. Elle fait connaître chaque jour quels sont ses desseins et ses ambitions. Les uns et les autres sont absolument inconciliables avec la politique de décadence des armements, à laquelle l’internationalisme genevois nous invite. Au sujet de l’Autriche, de la révision des traités, M. de Neurath nous apprend que l’Allemagne hitlérienne poursuivra son entreprise. Elle achève de reconstituer son armée et elle prépare le bouleversement de l’Europe. C’est pourquoi elle se refuse en définitive à tout contrôle qui pourrait la gêner et à tout compromis qui l’empêcherait d’agir. Dès qu’elle aura l’instrument de sa force, elle s’en servira pour faire triompher ses volontés par la diplomatie, si cela suffit, et, s’il le faut, par la violence. M. de Neurath a déclaré que l’Allemagne voulait la paix. Mais c’est la paix pangermaniste, celle même qu’elle tente aujourd’hui d’imposer à l’Autriche et à la Sarre, avant de se tourner vers d’autres pays.

Journal des débats, 17 septembre 1933, à la Une


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