"Il écrit. Il semble qu’il n’a jamais cessé d’écrire. Qu’écrire est ce qu’il n’a jamais cessé de faire. Quoiqu’il semble aussi le contraire. Quoiqu’il semble que s’il y a quelque chose qu’il n’a jamais cessé, c’est de pouvoir ne pas écrire, ou le redouter. Autrement dit, il n’aurait jamais cessé d’écrire et de ne pas écrire. De là que ce qu’il écrit, qu’il ne cesse pas d’écrire et qu’il ne cesse pas de pouvoir arrêter d’écrire, ait cette si parfaite simplicité : il serait celui qui aura témoigné à chaque mot écrit par lui de la discrétion de qui s’excuse d’écrire, quoiqu’il ait toujours tenu qu’écrire était ce à quoi il pouvait le plus cesser de tenir. C’est une étrange ambivalence, qui fait qu’il est écrivain – et nul n’est plus écrivain que lui – et qui fait qu’écrivant il ne l’est pas – que nul n’a plus que lui l’envie de ne pas l’être. Non pour n’être rien. Mais pour être autre chose. Autre chose qu’écrivain, ou poète, ou critique (d’art), rien qui suffise dans chacun ni dans tous réunis. La politique est plus ample, qui l’attire davantage, à laquelle il se reconnaît mieux, mais qui le désenchante à tout instant, et trop, avec laquelle, il le sait, il faudrait aussi qu’il en finisse. Cette question s’est posée à moi, pensant à lui : comment peut-on ne pas soi-même suffire à ce qui ne nous suffit pourtant pas ? Écrivant des romans magnifiques, ne tirant rien pourtant pour soi de cette magnificence. Des poèmes : pareillement. Des traités, etc. On tend à l’art le plus haut et, qu’on l’atteigne ou pas, c’est l’art lui-même qui déçoit. Dont c’est l’insuffisance qui déçoit. Une autre insuffisance, mais qui s’ajoute à celle par laquelle on tend vers lui. J’aurai connu de grands écrivains, d’aucuns modestes, d’autres moins, de derniers enfin aucunement ; et tous pourtant m’ont témoigné de cette insuffisance à la puissance deux : d’eux-mêmes à l’atteindre, d’elle-même à y répondre. Certaines de leurs œuvres, parfois toutes, leur donneraientelles pourtant tort que rien ne s’en trouverait changé : leur espérance était plus haute, laquelle pensait aux œuvres elles-mêmes, qui pensait à eux aussi, qui pensait les atteindre."
Michel Surya
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