jeudi 26 janvier 2023

Lignes N°69: Logiques du conspirationnisme

 Lignes est une collection dirigée par Michel Surya

Article: Pourquoi je lis de si bons livres    Par Christian Prigent


"Rimbaud: "J'ai seul la clef de cette parade sauvage." On y a vu  un projet d'hermétisme. Non. C'était plutôt indiquer qu'il n'y a pas à supposer un sens caché. Ni (donc) à trouver une clef d'interprétation qui donnerait accès à un recel de sens.

Tous ceux que le langage poétique ébranle et exalte ont la clef parce qu'il n'y a pas de clef. Y en aurait-il qu'elle n'ouvrirait aucune porte. Le texte est la clef, la porte et l'espace. Cet espace n'est pas limité, pas plein. C'est le vide que fait l'infini du réel dans le fini de l'objet écrit: ce que ça fait béer dans la clôture du sens. Cette béance à son tour fait sens. Mais un sens qui ne se forme pas dans le détail étrange des propositions textuelles. Le sens est dans la passion d'estrangement elle-même -dans le mouvement de désarticulation et de reconfiguration des énoncés: dans cette force globale d'ébranlement. C'est de cette force, en rien, "secrète", que le poème mime les effets d'objection, de vérité sensible : parade de l'expérience comme exception au sens".


"On aimerait lire non coiffé d'un chapeau d'Hermès des complots (obsédé par ce que ça "veut dire"). Il est en effet  peu sûr que ce poète qu'on lit ait d'abord voulu dire (il pensait plutôt à faire). Moins sûr encore qu'il ait su ce qu'il allait dire. Si en fin de compte il a quand même dit, ce n'est pas ce qu'il entendait à l'origine faire. S'il l'a pourtant fait, c'est sans trop savoir pourquoi ni comment il le faisait, sans préjuger de ce que ça allait dire".


"Ecrire: non pas instituer un sens, configurer des images, énoncer des vérités; mais jouer, déjouer et rejouer le mouvement des significations (la vivacité de l'énonciation à travers et sous le dispositif arrêté des énoncés). But: donner la sensation de ce mouvement, de son infinité.

Quelques bons livres font ça. Qui plongent dans le fond sans fond de la langue ( l'origine ethymologique sans cesse renvoyée à des racines de racines de racines et la contamination de toute langue par la multiplicité des langues): Joyce. Qui phrasent une passion du bougé subjectif dans l'objectivité syntaxique en creusant un fond psychologique toujours relégué vers un point de lucidité paradoxalement aveugle: Proust. Qui déchainent l'effervescence comique de mille possibilités de phrases à l'intérieur d'une phrase qui ne s'assemble que pour suggérer une puissance panique de désassemblement : Beckett (la vis sans fin des polypotes de Cap au pire). Qui machinent un dédale de temps désalignés et décomposés à force d'être recomposés: Faulkner. Qui poussent jusqu'à la glossolalie la pression physique du non-sens: Artaud, acharné de motilité ( "Les sentiments ne sont rien,/ les idées non plus/, tout est dans la motilité").

Etc!"



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