Ce
texte est extrait de mon blog : www.manuelbompard.fr
Je
n’ai pas signé le « Manifeste
pour l’accueil des migrants »
lancé par Mediapart, Politis et Regards. Je partage pourtant une
grande partie de son contenu. Non, la cause de nos malheurs ne se
trouve pas dans la pression migratoire. Oui, il est sain que des
intellectuels, des artistes, des personnalités politiques,
syndicales ou associatives s’élèvent contre les politiques de
criminalisation qui construisent l’Europe forteresse. Non, nous ne
pouvons accepter le durcissement des conditions de l’asile imposé
par Emmanuel Macron à travers la loi asile et immigration qui rompt
avec les principes républicains qui sont les nôtres. Rupture
qu’avait d’ailleurs été préparée par le quinquennat Hollande
sur lequel cet appel me parait pourtant bien silencieux. Est-ce pour
ne pas froisser d’éventuels signataires, comme ces anciens
ministres de Hollande qui cherchent maintenant à se construire une
nouvelle virginité sur la question ?
Je
comprends donc celles et ceux que nous côtoyons dans les combats
sociaux, démocratiques et écologiques et qui ont choisi de
s’associer à cette démarche. Mais, pour ma part, je ne peux
soutenir ce texte. Pourquoi ?
D’abord
parce qu’il semble considérer que l’explosion des migrations, y
compris contraintes, est une fatalité. C’est comme cela que je lis
les phrases « Il est illusoire de penser que l’on va
pouvoir contenir et a fortiori interrompre les flux migratoires. »
et « Dans les décennies qui viennent, les migrations
s’étendront, volontaires ou contraintes. ». Cette idée
est inacceptable à mes yeux.
Je
ne peux accepter en effet de considérer que l’on ne pourrait rien
faire face aux ravages de la mondialisation capitaliste qui poussent
sur les routes chaque années des centaines de milliers de personnes
confrontées à la misère économique. Je ne peux me résoudre à
l’idée que nous serions impuissants face à la montée des
tensions internationales et à la multiplication des conflits
guerriers avec leurs lots de morts et de réfugiés. Je ne peux
abandonner le combat pour la bifurcation écologique et considérer
comme une évolution naturelle des choses le fait que des territoires
entiers de notre planète deviennent inhabitables. Je ne peux
admettre que l’on pose comme acceptable la terrible épreuve de
l’exil et les souffrances de celles et ceux qui doivent abandonner
leurs familles et leurs villages.
Bien
sûr, tout cela ne se résoudra pas en un claquement de doigts. Bien
sûr, il ne suffit pas de souhaiter la paix pour l’obtenir. Elle se
construit, patiemment, par la diplomatie et la réhabilitation des
instruments de la légitimité internationale trop affaiblis
aujourd’hui. Bien sûr, il ne suffit pas de penser très fort à ce
que chacun ait de quoi vivre dignement dans le monde pour que cela
devienne une réalité. Mais il est de notre responsabilité de
cesser d’appauvrir et d’affaiblir en acceptant que le capitalisme
modèle la géographie et spécialise des zones entières du
territoire exploitées au détriment des autres. Notre responsabilité
est engagée quand l’Union Européenne signe, année après année,
ces funestes accords de partenariat économique exigeant la
suppression des barrières douanières et tuant les économies du sud
et leurs acteurs. Bien sûr, le changement climatique a commencé et
une part est d’ores et déjà irréversible. Mais il est encore
temps d’agir pour en limiter ses effets et sauvegarder tout
simplement la possibilité d’une vie humaine sur notre planète.
Bien sûr, donc, les migrations, y compris subies, vont augmenter
dans les toutes prochaines années. Doit-on pour autant s’y
résigner pour toujours ?
Je
ne le crois pas. S’y résigner, c’est rompre avec les positions
critiques vis-à-vis de la mondialisation capitaliste. C’est,
indirectement, et je n’en fait pas le reproche à celles et ceux
qui ont choisi de signer cet appel, accepter l’idée défendue par
les libéraux qu’elle serait une loi de l’histoire, exonéré du
champ de la souveraineté populaire et de la décision politique.
C’est restreindre le champ de la contestation à la manière de
traiter les conséquences alors que nous voulons pouvoir remettre en
cause le principe. C’est tourner le dos au combat pour
l’émancipation humaine qui consiste à rendre l’individu libre
de ces choix et à lui donner les moyens concrets de sa liberté.
Non, vivre et travailler au pays n’est pas un slogan réservé aux
paysans et aux néo-ruraux des pays riches. C’est un idéal de
développement humain qui doit pouvoir s’appliquer à tous et qui
nécessite que soit pensés autrement les rapports internationaux,
débarrassés des logiques capitalistes et impérialistes.
L’appel
assène que s’interroger sur les sources des flux migratoires
conduit nécessairement « par être contraint au pire »,
au « contrôle policier » et à ériger les
frontières comme un « mur ». Comment peut-on
affirmer une telle chose ? Ne sommes-nous pas suffisamment
intelligents et humains pour considérer que l’on peut s’engager
dans une lutte complexe et ardue contre la mondialisation capitaliste
tout en accueillant avec dignité celles et ceux qui arrivent ?
Quelle est cette loi si évidente qui dit que lutter contre les
causes des migrations subies conduit à défendre l’idée absurde
et inhumaine de l’Europe forteresse ? Quels esprits étroits
pensent qu’il n’est pas possible d’allier la lucidité
d’analyse nécessaire à la lutte et l’humanité la plus
élémentaire ? Quelle défaite de la pensée si la « gauche »
est désormais condamnée à choisir entre les différents termes de
l’alternative. Non, le combat pour l’émancipation humaine est un
combat total.
Un
deuxième aspect de ce texte m’interroge. Il m’amène à penser
qu’il y’avait parmi les initiateurs de cet appel une volonté de
démarcation et d’instrumentalisation de la question migratoire
pour cibler, indirectement, les positions de la France insoumise. Il
s’agit de la phrase qui affirme que « [ce] n’est pas la
main-d’œuvre immigrée qui pèse sur la masse salariale, mais la
règle de plus en plus universelle de la compétitivité, de la
rentabilité, de la précarité. ». Elle est une allusion à
peine voilée aux polémiques qui ont occupés les dernières
semaines à gauche, à coup de procès d’intention et d’anathèmes.
Je déplore d’ailleurs que celles et ceux qui prétendent ne pas
vouloir faire « à l’extrême droite le cadeau de laisser
croire qu’elle pose de bonnes questions » acceptent de
facto son agenda en polarisant la prochaine campagne des élections
européennes autour de cette question et en l’instrumentalisant à
des fins politiciennes. Alors oui, j’ai bien conscience de
participer à mon tour par ce papier à cette discussion, mais il est
difficile de ne pas répondre quand vos propositions sont méprisées
et caricaturées, ou, pire, quand on prétend que vous auriez été
un allié des nazis …
Oui
cette phrase est une caricature. Personne n’a prétendu que la
racine des « maux contemporains » était « la
main d’œuvre immigrée ». Personne. Oui nous avons dit,
et c’est une réalité que les faits ne peuvent démentir, que la
disponibilité sur le marché du travail de travailleurs sans droits
et sans statuts pouvait conduire à leur instrumentalisation par le
patronat afin d’affaiblir les protections collectives. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle la France insoumise est
favorable à la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers
(qui cotisent, payent des impôts et contribuent à la solidarité
nationale) afin d’éviter un « dumping intérieur »
entre les salariés. C’est aussi pourquoi nous sommes opposés à
la directive des travailleurs détachés qui génère une même
concurrence déloyale. Il est dommage d’ailleurs que plusieurs
responsables politiques soutenant cet appel n’aient pas exprimé la
même clarté lors du dernier vote sur le sujet au Parlement
Européen.
Contrairement
à ce qui est sous-entendu dans cet appel, dire cela n’est pas
donner une centralité explicative à la question. C’est au
contraire être cohérent pour lutter contre tous les mécanismes de
la compétitivité, de la rentabilité et de la précarité. Et
je m’étonne de voir certains responsables politiques donner des
brevets de « gauche » et d’attitude révolutionnaire en
omettant cette part entière du combat. Je m’étonne de les voir
asséner qu’ils ne « composeront pas avec le fonds de
commerce de l’extrême droite » quand l’appel ne dit
rien des politiques de Macron et de ses amis en Europe qui accouchent
des Orban et des Salvini. Ou pire quand certains d’entre eux ont
une responsabilité directe dans le bilan du quinquennat Hollande qui
a vu l’extrême-droite dépasser les 20% et a failli accoucher sur
la déchéance de nationalité.
Voilà
les raisons pour lesquelles je ne peux me retrouver dans cet appel.
Je sais aussi que l’on n’est jamais à 100% d’accord avec un
texte et que l’on peut voir le verre à moitié plein, comme le
verre à moitié vide. Certains de mes amis, bien que partageant les
idées de cette note, choisiront peut être de soutenir ce manifeste
pour exprimer leur rejet de l’Europe forteresse. Je respecte leur
point de vue. Mais je ne le partage pas car j’aurais alors le
sentiment d’abandonner une part entière du combat et, donc, de
prendre le risque de finir dans une impasse. Car c’est déjà une
défaite de la pensée révolutionnaire que d’accepter qu’elle
soit enfermée dans des règles présentées comme immuables mais
étant pourtant celles de nos adversaires.
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