Article
issu de L'injure sociale N°4 et N°5 janvier 1978
"Le
temps disponible n'est pas indéfini. Berlinguer, Octobre I
976.
"tous
sommes arrivés à un point limite, peut-être a t-il même été
déjà dépassé."
PCI,
Mai 1977,
Les
insurrections survenues en Italie au printemps dernier lèvent un peu
plus le voile sur la réalité du mouvement communiste contemporain
et ses tendances, Si les forces de conservation sociale ont tenté
d'étouffer ou de travestir cette réalité-là,c'est d'ailleurs
qu'elles y ont reconnu les marques d'un vrai péril: la subversion
radicale de l'ordre existant conçu enfin dans sa totalité. De ce
côté-ci des Alpes,c'est l'appréhension de cette réalité qui
imposa un silence quasi tota1 aux analystes de tout poil,en dehors de
quelques comptes-rendus journalistiques et du manifeste de juillet de
quelques intellectuels parisiens,dernier pétard mouillé de
l'humanisme venant reprocher au "socialisme à visage humain"
du PCI de n'être vraiment pas si humain que ça. La nouveauté la
plus évidente fut que pour la première fois les individus qui ont
fait ces événements,qui sont descendus dans la rue pendant deux ou
trois mois ne se laissent pas enfermer dans des catégories sociales
ou politiques bien définies: ce ne sont ni les étudiants de 68,ni
les grévistes sauvages de 69,ni les gauchistes des années 70 !
Finies les appellations qui cernaient et circonvenaient commodéménâ
les agitateurs d'hier ••• Voilà de quoi dérouter les
interprétations classiques: -le "lumpen" ? Mais
non,puisque traditionnellement c'est le terrain de recrutement des
fascistes! -la "marge" ? Mais non,on l'a depuis le
phénomène hippy définitivement assimilée au pacifisme et à la
passivité sereine des ghettos communautaires! -alors s'agissait-il
de la prolétarisation des couches petites-bourgeoises accélérée
par la crise économique? Non puisqu'elles s'étaient prononcées en
masse aux élections de 1976 pour le PCI. •• On s'est alors
occupé de faire l'analyse sociologique des émeutiers:
chômeurs,étudiants sans débouchés,travailleurs immigrés du sud
de la botte et professionnels de l'absentéisme,marginaux des zones
suburbaines de Rome ou de Milan,ouvriers "au nom" des
femmes révoltées par le machisme ambiant ••• Il s'agissait
par cette dissection de scinder le mouvement et par là prouver qu'il
y avait des intérêts divergents, pour cacher l'essentiel aussi: ce
qui avait jeté ensemble et soudé ces gens-là dans la rue.
Qualifiés d' ''emarginati"-en marge de la société car en
marge du travail salarié quotidien régulier pour la plupart, ils
ont ceci en commun qu'ils refusent la vie qu•on leur impose: misère
matérielle (car elle existe bel et bien en ltalie .••
),chômage,exploitation légale ou pas (travail noir ••• )et
ils refusent également le modèle de vie qu'on leur propose à
gauche: un simple rôle économique,productiviste,la vie tranquille
d'un esclave salarié soumis aux sacrifices exigés par la crise
C'est un véritable front du refus qui s'est spontanément créé,refus
àe la soumission aux lois de l'Etat (manifester quand c'est
interdit,s'armer. ••• ) et de l'économie et par delà de la
soumission aux patrons,chefs,partis, syndicats,flics,medias •••
le refus de l'argent et de la marchandise (dans un premier temps on
auto-réduit,dans un deuxième, on pille!),de l'ennui (la destruction
devient un jeu,l'ironie une arme ••• ),des journaleux (d'abord
on sort son propre journal,puis on tire dans les jambes de la
canaille journalistique d'en face ••• ) (ooo Le correspondant
du "Monde" en Italie, Robert Solé a d'aprés la hargne de
ses articles flairé un sérieux danger, en tant que larbin du
"journal de tous les pouvoirs",il ne pouvait d'ailleurs en
être autrement •••)
Bref,c'est
le refus de tout ce qui encadre la "vie" du prolétaire et
borne sa misère quotidienne; tous ces éléments ont été au fil
des jours compris dans leur totalité(et peut-être plus qu'en mai 68
••• ) et l'idée fit son chemin qu'on ne pouvait plus accepter
de compromis avec ce qu'on rejetait en bloc,que le temps des luttes
partielles était révolu et qu'on ne pouvait plus que nier en
totalité ce sur quoi on riait,visait ou tirait,et que de toute façon
on n'avait plus rien à perdre! C'est toute une redéfinition de la
classe subversive et une vision du mouvement communiste qui sont à
revoir à la lumière de ceci: le prolétariat en tant que classe de
l'avenir et actrice de subversion comprend dé moins en moins tous
les vaincus de l'aliénation ouvrière,les achevés syndiqués de
l'usine dont on attendrait le réveil magique, mais elle devient
l'union de ceux qui refusent d'entrer dans cette condition- là ou
qui n'arrivent pas à s'y intégrer, à s'y habituer à un moment où
l'impossibilité du capital à tous les "employer" coïncide
avec le dégoût de ceux-ci d'aller se louer à lui et de
l'entretenir plus longtemps ••• Le capital de par son évolution
crée dans les millions d'individus qu'il rejette hors des lieux de
production aliénants ses fossoyeurs de demain. D'autre part la
globalité de cette attaque contre le vieux monde exclue toute place
laissée à l'idéologie et ne peut se satisfaire d'aucune expression
politique- c'est à dire partielle. Dans ce genre de lutte,enjeu du
tout ou rien,les partis et les sectes politiques sont renvoyés dos à
dos,le mouvement exclue ses professeurs ou ses orateurs et ne fournit
pas cie"vedettes" pour la H.Al ou l'"Espresso"
••• La revendication de l'autonomie ne resta pas un vague
emblème idéologique de plus mais fut assumée jusqu'au bout dans
les faits.Le discours politique d'en face fit rire,incongru et
irréaliste! "Scemi, scemi ! " pour Lama,Andreotti
,Berlinguer ••• Et l'arme de l'ironie en retour fut d'autant
plus meurtrière qu'elle n'exclua pas l'ironie des armes,de quoi à
vraiment être pris au sérieux! Cette présence des armes et le
souci constant de s'en procurer montrent à quel point la volonté
d'aller jusqu'au bout existait. La violence cesse d'3tre un problème
insurmontable,elle est et est vécue (voir l'article traduit dans le
précédent numéro.) Enfin un trait d'égalité était publiquement
tracé par tout le mouvement entre toutes les forces qui se
trouvaient en face de lui: DC- PCI- flics-syndicats: leur fonction
concertée de conservation sociale éclatait pour tous au grand jour
et sans alibis ••• (le 7 avril les autonomes plaçaient une
bombe dans le bureau du ministre de l'Intérieur,l• 25 ils
attaquaient une section locale du PC! à Rome ••• les flics de
Bologne étant aussi bien ceux de Cossiga que ceux de Berlinguer!)
Quant à ceux qui revendiquaient la figure de l'Indianité,vite
compris par tout le monde,ils signifiaient vraiment que le monde
qu'on leur proposait ne pouvait pas être le leur et qu'il était
vain de croire qu'on pourrait cantonner ces inassimilables dans
quelques réserves de résignation et de neutralité ••• La
lutte de classe traditionnelle y perdit en effet quelques plumes.Ce
n'était plus les escarmouches salariales, syndicales ou électorales
mais une lutte de classes posée comme une véritable guerre
sociale,une guérilla quotidienne mettant fin à ces banalités,ces
répits, ces temps morts dont se nourrit habituellement le
capital,maître du jeu;voilà quelque chose qui n'est pas prêt
d'être oublié.On parlait déjà de libérer des zones entières,des
quartiers,des entreprises et des"rondes ouvrières" armées
faisaient la loi çà et là de Milan à
Rome,expropriant,menaçant,punissant et imposant leurs "décrets
prolétaires" ••• La sécurité chère au capital
disparaissait chaque jour un peu plus;patrons et "hommes
d’État",cadres et "hommes de droit",journalistes-flics
hésitaient à sortir de chez eux et multipliaient leurs gardes du
corps: l’État s'avérait incapable de défendre les agents de sa
domination et se ridiculisait par son insuffisance aux yeux de la
population. Face à cette situation alarmante,les forces du
vieux-monde coalisées serrèrent les coudes et réagirent selon leur
arsenal habituel: - du compromis historique on passa vite à une
véritable union nationale: l "'arc constitutionnel" de la
DC au PCI et les ennemis désignés furent le désordre et la
subversion (le PGI comparait la situation à celle de 1919,lapsus!)
Le pacte fut scellé par la manifestation de Bologne le 16 mars et
appuyé par une gréve générale des syndicats. Les trouble-f~tes
furent assimilés à une sorte de néo-fascisme et le combat pour
sauver la démocratie devint le mot d'ordre de la réaction (air
connu),la mission de la classe ouvrière était de sauver la
République.On essayait ainsi de masquer que le nouveau fascisme
s'incarnait en fait dans le PCI avec 1e même rôle et les mêmes
armes que l'ancien (plus que sous les traits du petit cousin Cossiga
.•• ) L'appel des chars à Bologne,les louanges pour la police,
l'incitation à fermer les radios libres et les siégea des
autonomes: le PCI suggérait,rameutait ses troupes et Cossiga
exécutait,légiférait dans un joli partage des t4ches.En
apparence,le gouvernement restait à la DC,en réalité tout se
jouait dans les coulisses et les cabinets feutrés avec les comparses
du PCI ••• Berlingotti! - Bien que la marge fut étroite,il y
eut place pour quelques tentatives de récupération du mouvement,en
voici: -l'assimiler à une lutte des jeunes pour obtenir, du travail
et pas du noir, une vie décente,des logements et des bourses
d'études,bref en faire une lutte raisonnable et réformiste,alors
que comme en 68,il n'y avait pas de revendication ••• -faire du
mouvement des Indiens métropolitains, des radios libres et de la
nouvelle presse "mao-dadaîste" un phénomène folklorique
peu sérieux ou au contraire un phénomène culturel très
intéressant avec son langage,son art ••• Après les
sociologues,linguistes et esthètes à vos plumes! D'où la décision
immédiate des Indiens de se dissoudre en tant que mouvement plutôt
que de faire les frais du spectacle. -manœuvrer pour rejeter dans un
monde marginal avec sa place toute préparée, ses ghettos,sa culture
et ses luttes
partielles,ceux
qui osaient mettre les pieds dans la lutte des classes si
insolemment. 000 -après avoir isolé les "violents"-les
méchants autonomes- en suscitant chez la majorité un réflexe de
peur (voir le rôle de la presse dans la publicité faite autour des
enlèvements,les photos des P.Jh démocratisés,le procès des
brigades rouges à Turin ••• ) Ces récupérations honteuses
ayant échouées et le mouvement ne tolérant décidément aucune
emprise du monde politique, il ne restait plus qu'une solution: la
répression brutale quoique sélective et étalée sur des mois,assez
efficace pour gagner du temps et dissimuler par le silence imposé
certaines révélations scandaleuses,entre autres:
-
l’État,devenu une fiction pendant quelques semaines,avait été
sauvé uniquement de la faillite par le PCI et les machines qui
tournaient encore sous la surveillance des syndicats sauvaient
l'essentiel: la permanence du travail salarié: Travailleurs,vous qui
avez du travail,vous n'êtes pas concernés! Encore plus de
sacrifices! Moins d'absentéisme! -on avait voulu faire jouer à la
classe ouvrière traditionnelle le r8le de gardienne jalouse de son
esclavage en la maintenant à ses tâches productives et on y avait
réussi momentanément Cependant on n'avait pas réussi à la dresser
contre les insurgés,elle était tout au plus restée passive
,spectatrice des événements,désabusée •••
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