samedi 20 octobre 2018

Le Jardin des Délices




Article issu de L'injure sociale N°4 et N°5 janvier 1978

"Le temps disponible n'est pas indéfini. Berlinguer, Octobre I 976.
"tous sommes arrivés à un point limite, peut-être a t-il même été déjà dépassé."
PCI, Mai 1977,

Les insurrections survenues en Italie au printemps dernier lèvent un peu plus le voile sur la réalité du mouvement communiste contemporain et ses tendances, Si les forces de conservation sociale ont tenté d'étouffer ou de travestir cette réalité-là,c'est d'ailleurs qu'elles y ont reconnu les marques d'un vrai péril: la subversion radicale de l'ordre existant conçu enfin dans sa totalité. De ce côté-ci des Alpes,c'est l'appréhension de cette réalité qui imposa un silence quasi tota1 aux analystes de tout poil,en dehors de quelques comptes-rendus journalistiques et du manifeste de juillet de quelques intellectuels parisiens,dernier pétard mouillé de l'humanisme venant reprocher au "socialisme à visage humain" du PCI de n'être vraiment pas si humain que ça. La nouveauté la plus évidente fut que pour la première fois les individus qui ont fait ces événements,qui sont descendus dans la rue pendant deux ou trois mois ne se laissent pas enfermer dans des catégories sociales ou politiques bien définies: ce ne sont ni les étudiants de 68,ni les grévistes sauvages de 69,ni les gauchistes des années 70 ! Finies les appellations qui cernaient et circonvenaient commodéménâ les agitateurs d'hier ••• Voilà de quoi dérouter les interprétations classiques: -le "lumpen" ? Mais non,puisque traditionnellement c'est le terrain de recrutement des fascistes! -la "marge" ? Mais non,on l'a depuis le phénomène hippy définitivement assimilée au pacifisme et à la passivité sereine des ghettos communautaires! -alors s'agissait-il de la prolétarisation des couches petites-bourgeoises accélérée par la crise économique? Non puisqu'elles s'étaient prononcées en masse aux élections de 1976 pour le PCI. •• On s'est alors occupé de faire l'analyse sociologique des émeutiers: chômeurs,étudiants sans débouchés,travailleurs immigrés du sud de la botte et professionnels de l'absentéisme,marginaux des zones suburbaines de Rome ou de Milan,ouvriers "au nom" des femmes révoltées par le machisme ambiant ••• Il s'agissait par cette dissection de scinder le mouvement et par là prouver qu'il y avait des intérêts divergents, pour cacher l'essentiel aussi: ce qui avait jeté ensemble et soudé ces gens-là dans la rue. Qualifiés d' ''emarginati"-en marge de la société car en marge du travail salarié quotidien régulier pour la plupart, ils ont ceci en commun qu'ils refusent la vie qu•on leur impose: misère matérielle (car elle existe bel et bien en ltalie .•• ),chômage,exploitation légale ou pas (travail noir ••• )et ils refusent également le modèle de vie qu'on leur propose à gauche: un simple rôle économique,productiviste,la vie tranquille d'un esclave salarié soumis aux sacrifices exigés par la crise C'est un véritable front du refus qui s'est spontanément créé,refus àe la soumission aux lois de l'Etat (manifester quand c'est interdit,s'armer. ••• ) et de l'économie et par delà de la soumission aux patrons,chefs,partis, syndicats,flics,medias ••• le refus de l'argent et de la marchandise (dans un premier temps on auto-réduit,dans un deuxième, on pille!),de l'ennui (la destruction devient un jeu,l'ironie une arme ••• ),des journaleux (d'abord on sort son propre journal,puis on tire dans les jambes de la canaille journalistique d'en face ••• ) (ooo Le correspondant du "Monde" en Italie, Robert Solé a d'aprés la hargne de ses articles flairé un sérieux danger, en tant que larbin du "journal de tous les pouvoirs",il ne pouvait d'ailleurs en être autrement •••)
Bref,c'est le refus de tout ce qui encadre la "vie" du prolétaire et borne sa misère quotidienne; tous ces éléments ont été au fil des jours compris dans leur totalité(et peut-être plus qu'en mai 68 ••• ) et l'idée fit son chemin qu'on ne pouvait plus accepter de compromis avec ce qu'on rejetait en bloc,que le temps des luttes partielles était révolu et qu'on ne pouvait plus que nier en totalité ce sur quoi on riait,visait ou tirait,et que de toute façon on n'avait plus rien à perdre! C'est toute une redéfinition de la classe subversive et une vision du mouvement communiste qui sont à revoir à la lumière de ceci: le prolétariat en tant que classe de l'avenir et actrice de subversion comprend dé moins en moins tous les vaincus de l'aliénation ouvrière,les achevés syndiqués de l'usine dont on attendrait le réveil magique, mais elle devient l'union de ceux qui refusent d'entrer dans cette condition- là ou qui n'arrivent pas à s'y intégrer, à s'y habituer à un moment où l'impossibilité du capital à tous les "employer" coïncide avec le dégoût de ceux-ci d'aller se louer à lui et de l'entretenir plus longtemps ••• Le capital de par son évolution crée dans les millions d'individus qu'il rejette hors des lieux de production aliénants ses fossoyeurs de demain. D'autre part la globalité de cette attaque contre le vieux monde exclue toute place laissée à l'idéologie et ne peut se satisfaire d'aucune expression politique- c'est à dire partielle. Dans ce genre de lutte,enjeu du tout ou rien,les partis et les sectes politiques sont renvoyés dos à dos,le mouvement exclue ses professeurs ou ses orateurs et ne fournit pas cie"vedettes" pour la H.Al ou l'"Espresso" ••• La revendication de l'autonomie ne resta pas un vague emblème idéologique de plus mais fut assumée jusqu'au bout dans les faits.Le discours politique d'en face fit rire,incongru et irréaliste! "Scemi, scemi ! " pour Lama,Andreotti ,Berlinguer ••• Et l'arme de l'ironie en retour fut d'autant plus meurtrière qu'elle n'exclua pas l'ironie des armes,de quoi à vraiment être pris au sérieux! Cette présence des armes et le souci constant de s'en procurer montrent à quel point la volonté d'aller jusqu'au bout existait. La violence cesse d'3tre un problème insurmontable,elle est et est vécue (voir l'article traduit dans le précédent numéro.) Enfin un trait d'égalité était publiquement tracé par tout le mouvement entre toutes les forces qui se trouvaient en face de lui: DC- PCI- flics-syndicats: leur fonction concertée de conservation sociale éclatait pour tous au grand jour et sans alibis ••• (le 7 avril les autonomes plaçaient une bombe dans le bureau du ministre de l'Intérieur,l• 25 ils attaquaient une section locale du PC! à Rome ••• les flics de Bologne étant aussi bien ceux de Cossiga que ceux de Berlinguer!) Quant à ceux qui revendiquaient la figure de l'Indianité,vite compris par tout le monde,ils signifiaient vraiment que le monde qu'on leur proposait ne pouvait pas être le leur et qu'il était vain de croire qu'on pourrait cantonner ces inassimilables dans quelques réserves de résignation et de neutralité ••• La lutte de classe traditionnelle y perdit en effet quelques plumes.Ce n'était plus les escarmouches salariales, syndicales ou électorales mais une lutte de classes posée comme une véritable guerre sociale,une guérilla quotidienne mettant fin à ces banalités,ces répits, ces temps morts dont se nourrit habituellement le capital,maître du jeu;voilà quelque chose qui n'est pas prêt d'être oublié.On parlait déjà de libérer des zones entières,des quartiers,des entreprises et des"rondes ouvrières" armées faisaient la loi çà et là de Milan à Rome,expropriant,menaçant,punissant et imposant leurs "décrets prolétaires" ••• La sécurité chère au capital disparaissait chaque jour un peu plus;patrons et "hommes d’État",cadres et "hommes de droit",journalistes-flics hésitaient à sortir de chez eux et multipliaient leurs gardes du corps: l’État s'avérait incapable de défendre les agents de sa domination et se ridiculisait par son insuffisance aux yeux de la population. Face à cette situation alarmante,les forces du vieux-monde coalisées serrèrent les coudes et réagirent selon leur arsenal habituel: - du compromis historique on passa vite à une véritable union nationale: l "'arc constitutionnel" de la DC au PCI et les ennemis désignés furent le désordre et la subversion (le PGI comparait la situation à celle de 1919,lapsus!) Le pacte fut scellé par la manifestation de Bologne le 16 mars et appuyé par une gréve générale des syndicats. Les trouble-f~tes furent assimilés à une sorte de néo-fascisme et le combat pour sauver la démocratie devint le mot d'ordre de la réaction (air connu),la mission de la classe ouvrière était de sauver la République.On essayait ainsi de masquer que le nouveau fascisme s'incarnait en fait dans le PCI avec 1e même rôle et les mêmes armes que l'ancien (plus que sous les traits du petit cousin Cossiga .•• ) L'appel des chars à Bologne,les louanges pour la police, l'incitation à fermer les radios libres et les siégea des autonomes: le PCI suggérait,rameutait ses troupes et Cossiga exécutait,légiférait dans un joli partage des t4ches.En apparence,le gouvernement restait à la DC,en réalité tout se jouait dans les coulisses et les cabinets feutrés avec les comparses du PCI ••• Berlingotti! - Bien que la marge fut étroite,il y eut place pour quelques tentatives de récupération du mouvement,en voici: -l'assimiler à une lutte des jeunes pour obtenir, du travail et pas du noir, une vie décente,des logements et des bourses d'études,bref en faire une lutte raisonnable et réformiste,alors que comme en 68,il n'y avait pas de revendication ••• -faire du mouvement des Indiens métropolitains, des radios libres et de la nouvelle presse "mao-dadaîste" un phénomène folklorique peu sérieux ou au contraire un phénomène culturel très intéressant avec son langage,son art ••• Après les sociologues,linguistes et esthètes à vos plumes! D'où la décision immédiate des Indiens de se dissoudre en tant que mouvement plutôt que de faire les frais du spectacle. -manœuvrer pour rejeter dans un monde marginal avec sa place toute préparée, ses ghettos,sa culture et ses luttes
partielles,ceux qui osaient mettre les pieds dans la lutte des classes si insolemment. 000 -après avoir isolé les "violents"-les méchants autonomes- en suscitant chez la majorité un réflexe de peur (voir le rôle de la presse dans la publicité faite autour des enlèvements,les photos des P.Jh démocratisés,le procès des brigades rouges à Turin ••• ) Ces récupérations honteuses ayant échouées et le mouvement ne tolérant décidément aucune emprise du monde politique, il ne restait plus qu'une solution: la répression brutale quoique sélective et étalée sur des mois,assez efficace pour gagner du temps et dissimuler par le silence imposé certaines révélations scandaleuses,entre autres:
- l’État,devenu une fiction pendant quelques semaines,avait été sauvé uniquement de la faillite par le PCI et les machines qui tournaient encore sous la surveillance des syndicats sauvaient l'essentiel: la permanence du travail salarié: Travailleurs,vous qui avez du travail,vous n'êtes pas concernés! Encore plus de sacrifices! Moins d'absentéisme! -on avait voulu faire jouer à la classe ouvrière traditionnelle le r8le de gardienne jalouse de son esclavage en la maintenant à ses tâches productives et on y avait réussi momentanément Cependant on n'avait pas réussi à la dresser contre les insurgés,elle était tout au plus restée passive ,spectatrice des événements,désabusée •••

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