dimanche 7 octobre 2018

Alphonse Aulard Polémique et Histoire


L’IMMUTABILITÉ DE L’ÉGLISE
17 septembre 1903

Les discours prononcés à Tréguier, en l’honneur de Renan, abondent en enseignements précieux.
Parmi les vérités qu’a prodiguées Anatole France, une des plus instructives, quoiqu’un peu développée, est celle qu’on démêle dans le passage où, se refusant à injurier les insulteurs de Renan et à défendre de cette manière basse la mémoire du plus tolérant des philosophes, il dit :
« Nous n’attaquons pas l’Église. Bien mieux : nous ne voulons pas la juger aussi sévèrement qu’elle se juge elle-même quand elle se pré-tend immuable. Nous voulons croire qu’elle s’adoucit avec l’âge. Ne l’écoutons pas : elle est plus accommodante qu’elle ne dit, elle est plus humaine qu’elle ne voudrait le faire croire. De ses vieilles habitudes, il lui reste, il est vrai, la manie importune de fulminer sans cesse ; mais songez que c’est un progrès moral et qu’elle faisait bien pis autrefois… » Oui, la tactique de l’Église a changé, s’adaptant au siècle, aux circonstances ; mais ses principes, ses dogmes, son but n’ont pas changé.
Anathème à qui dira que l’Église peut se réconcilier avec la civilisation moderne, avec la science moderne !
Anathème à qui dira que l’Église peut évoluer !
La vieille cosmogonie biblique avec toutes ses absurdités naïves, elle n’y a rien changé, et, la science a eu beau contredire cette cosmogonie, la ridiculiser par l’évidence, l’Église l’a conservée tout entière, absolument tout entière, sans en raturer une seule ligne, sans en effacer un seul mot.
Tout le merveilleux suranné de ses mystères orientaux, tout l’enfantillage de son dogme, toutes ces manifestations d’une mentalité abolie, elle garde tout cela intact, elle l’impose tel quel aux esprits d’aujourd’hui.
Elle se dit une cité ; elle se dit la seule cité, la cité parfaite, la cité irrévocablement achevée, la cité définitive pour l’éternité. Elle ne veut pas que cette cité change avec le temps et les hommes ; elle la fixe au type du moyen âge ; elle lui interdit tout progrès, tout perfectionne-ment. Lisez les encyclopédies politiques et sociales du subtil Léon XIII : c’est lui qui déclare, en propres termes, que la cité chrétienne est la cité parfaite et ne peut progresser.
Quand les Français, à l’exemple des Anglo-Américains, formulèrent en une déclaration solennelle les principaux résultats historiques de leur expérience politique et sociale ; quand ils exprimèrent, en 1789, les Droits de l’homme et du citoyen, à l’applaudissement universel de toute l’humanité civilisée, que fit l’Église ? Elle n’hésita pas : elle condamna expressément la déclaration française, comme subversive et satanique. Ce qu’avait ainsi fait Pie VI, la naïveté de Pie IX le confirma et la diplomatie de Léon XIII ne le confirma pas moins. Et vous verrez que Pie X lancera, lui aussi, un jour ou l’autre, l’anathème aux principes 1789. Quand l’humanité éprouve et exprime des besoins nouveaux, quand elle prend conscience de nouveaux droits et de nouveaux devoirs, l’Église se met à la traverse et lance l’anathème.
Mais, comme l’immobilité absolue est impossible, l’ébranlement qu’éprouve l’Église à cette lutte contre l’esprit moderne la rejette à quelques pas en arrière. Au lieu de s’alléger d’un peu de l’absurde, comme on jette du lest, elle renforce cet absurde, à mesure que la science le ridiculise davantage. Aux découvertes de la raison, en plein XIXe siècle, elle oppose quoi ? l’Immaculée-Conception et l’Infaillibilité du pape.
Certes, ce n’est point là changer : c’est se fortifier dans le statu quo.
L’immutabilité de l’Église ! La voilà, telle que l’Église la pro-clame, telle qu’elle existe réellement.
L’immutabilité de l’Église ! C’est l’orgueil de l’Église, c’est sa faiblesse, c’est la cause future et certaine de se mort, c’est l’espoir de ses adversaires.
Ah ! si l’Église catholique, adoptant la Déclaration des Droits de homme et du citoyen, la divinisant, si je puis dire, la faisait sienne, eût déclaré qu’elle se faisait la protectrice, la revendicatrice de ces droits ! Si, rejetant une à une les absurdités de la cosmogonie biblique, à me-sure que la science les contredisait, elle eût aussi épuré le dogme en suivant l’évolution de l’humanité, et honorablement relégué parmi les symboles historiques les croyances dépassées, si elle avait suivi le mouvement général au lieu de se raidir à l’encontre, quel terrible adversaire elle aurait été pour la libre-pensée, pour notre libre-pensée !
Mais cette intelligente et progressive adaptation de l’Église aux conditions générales de la société laïque, ce n’est que le rêve de quelques jeunes prêtres, rêve secret, rêve chimérique, et qui n’a aucune chance d’être réalisé.
L’Église évoluant, ce ne serait plus l’Église.

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