L’IMMUTABILITÉ
DE L’ÉGLISE
17
septembre 1903
Les
discours prononcés à Tréguier, en l’honneur de Renan, abondent
en enseignements précieux.
Parmi
les vérités qu’a prodiguées Anatole France, une des plus
instructives, quoiqu’un peu développée, est celle qu’on démêle
dans le passage où, se refusant à injurier les insulteurs de Renan
et à défendre de cette manière basse la mémoire du plus tolérant
des philosophes, il dit :
«
Nous n’attaquons pas l’Église. Bien mieux : nous ne voulons pas
la juger aussi sévèrement qu’elle se juge elle-même quand elle
se pré-tend immuable. Nous voulons croire qu’elle s’adoucit avec
l’âge. Ne l’écoutons pas : elle est plus accommodante qu’elle
ne dit, elle est plus humaine qu’elle ne voudrait le faire croire.
De ses vieilles habitudes, il lui reste, il est vrai, la manie
importune de fulminer sans cesse ; mais songez que c’est un progrès
moral et qu’elle faisait bien pis autrefois… » Oui, la tactique
de l’Église a changé, s’adaptant au siècle, aux circonstances
; mais ses principes, ses dogmes, son but n’ont pas changé.
Anathème
à qui dira que l’Église peut se réconcilier avec la civilisation
moderne, avec la science moderne !
Anathème
à qui dira que l’Église peut évoluer !
La
vieille cosmogonie biblique avec toutes ses absurdités naïves, elle
n’y a rien changé, et, la science a eu beau contredire cette
cosmogonie, la ridiculiser par l’évidence, l’Église l’a
conservée tout entière, absolument tout entière, sans en raturer
une seule ligne, sans en effacer un seul mot.
Tout
le merveilleux suranné de ses mystères orientaux, tout
l’enfantillage de son dogme, toutes ces manifestations d’une
mentalité abolie, elle garde tout cela intact, elle l’impose tel
quel aux esprits d’aujourd’hui.
Elle
se dit une cité ; elle se dit la seule cité, la cité parfaite, la
cité irrévocablement achevée, la cité définitive pour
l’éternité. Elle ne veut pas que cette cité change avec le temps
et les hommes ; elle la fixe au type du moyen âge ; elle lui
interdit tout progrès, tout perfectionne-ment. Lisez les
encyclopédies politiques et sociales du subtil Léon XIII : c’est
lui qui déclare, en propres termes, que la cité chrétienne est la
cité parfaite et ne peut progresser.
Quand
les Français, à l’exemple des Anglo-Américains, formulèrent en
une déclaration solennelle les principaux résultats historiques de
leur expérience politique et sociale ; quand ils exprimèrent, en
1789, les Droits de l’homme et du citoyen, à l’applaudissement
universel de toute l’humanité civilisée, que fit l’Église ?
Elle n’hésita pas : elle condamna expressément la déclaration
française, comme subversive et satanique. Ce qu’avait ainsi fait
Pie VI, la naïveté de Pie IX le confirma et la diplomatie de Léon
XIII ne le confirma pas moins. Et vous verrez que Pie X lancera, lui
aussi, un jour ou l’autre, l’anathème aux principes 1789. Quand
l’humanité éprouve et exprime des besoins nouveaux, quand elle
prend conscience de nouveaux droits et de nouveaux devoirs, l’Église
se met à la traverse et lance l’anathème.
Mais,
comme l’immobilité absolue est impossible, l’ébranlement
qu’éprouve l’Église à cette lutte contre l’esprit moderne la
rejette à quelques pas en arrière. Au lieu de s’alléger d’un
peu de l’absurde, comme on jette du lest, elle renforce cet
absurde, à mesure que la science le ridiculise davantage. Aux
découvertes de la raison, en plein XIXe
siècle,
elle oppose quoi ? l’Immaculée-Conception et l’Infaillibilité
du pape.
Certes,
ce n’est point là changer : c’est se fortifier dans le statu
quo.
L’immutabilité
de l’Église ! La voilà, telle que l’Église la pro-clame, telle
qu’elle existe réellement.
L’immutabilité
de l’Église ! C’est l’orgueil de l’Église, c’est sa
faiblesse, c’est la cause future et certaine de se mort, c’est
l’espoir de ses adversaires.
Ah
! si l’Église catholique, adoptant la Déclaration des Droits de
homme et du citoyen, la divinisant, si je puis dire, la faisait
sienne, eût déclaré qu’elle se faisait la protectrice, la
revendicatrice de ces droits ! Si, rejetant une à une les absurdités
de la cosmogonie biblique, à me-sure que la science les
contredisait, elle eût aussi épuré le dogme en suivant l’évolution
de l’humanité, et honorablement relégué parmi les symboles
historiques les croyances dépassées, si elle avait suivi le
mouvement général au lieu de se raidir à l’encontre, quel
terrible adversaire elle aurait été pour la libre-pensée, pour
notre libre-pensée !
Mais
cette intelligente et progressive adaptation de l’Église aux
conditions générales de la société laïque, ce n’est que le
rêve de quelques jeunes prêtres, rêve secret, rêve chimérique,
et qui n’a aucune chance d’être réalisé.
L’Église
évoluant, ce ne serait plus l’Église.
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