Oter
l'honneur, avilir quelqu'un. « Se déshonorer : perdre son honneur
». Le déshonneur est toujours relatif à la conception que l'on se
fait de l'honneur ; or, il y a des gens qui ont une conception
particulière ou erronée de ce qu'est l'honneur et qui se trouvent
déshonorés pour des causes et des raisons différentes. Une jeune
fille se trouvera déshonorée parce que, sans être liée par les
liens du mariage légal, elle aura cédé aux désirs de son amant,
alors que telle autre plus consciente et plus logique ne se
considérera pas amoindrie par l’accomplissement d'un acte naturel.
Le souteneur, déchet social, qui vit de la prostitution de la femme,
et qui accepte que sa compagne se livre contre argent au passant
inconnu, se juge offensé si cette dernière se permet d'entretenir
gratuitement des relations sexuelles pour satisfaire ses désirs, et
se considèrerait déshonoré s'il ne lavait pas dans le sang cette
incartade aux lois de prostitution ; il en est de même pour le mari
« trompé » qui va laver son déshonneur en tuant l'amant de sa
femme. Il y a donc autant de conceptions du déshonneur que de
l'honneur, et nous savons qu'en bien des cas l'honneur est un préjugé
qui puise sa source dans l'ignorance. Que de parents se croient
déshonorés parce qu'à l'âge de vingt ans, leur fils s'est refusé
de répondre à « l'appel du pays » pour accomplir son service
militaire, et que de gens se croient déshonorés par le jugement des
hommes, et pourtant! En notre siècle d'exploitation ce sont les plus
coupables qui sont à l’honneur. La bourgeoisie pense déshonorer
le travailleur en le jetant en prison ; cependant « la puissance
souveraine peut maltraiter un brave homme, mais non pas, le
déshonorer » (Voltaire). Pour nous, Anarchistes, qui devons avoir
de l'honneur une conception différente de celle du commun, nous
pensons que le déshonneur n'est pas subordonné aux jugements des
moralistes ou des magistrats, mais qu'il est inhérent à une
mauvaise action commise. Tout acte qui a pour but le bien-être de
l'humanité, tout ce qui ne nuit pas à son prochain sous quelque
forme que ce soit ne peut être déshonorant. Au contraire tout ce
qui nuit à la marche en avant de la civilisation, tout ce qui
s'oppose au progrès et à l'évolution du genre humain peut être
considéré comme déshonorant. Le policier qui arrête le militant
ou l'ouvrier au cours d'une grève ou d'une manifestation est
déshonoré à nos yeux et non sa victime, et c'est lui pourtant qui
est couvert par la loi et qui sort légalement glorifié de
l’aventure. La répression en ce cas est déshonorante pour celui
qui l'exerce et non pas pour celui qui la subit. La loi bourgeoise
qui entend; veiller à l'honneur de la société est un tissu de
contradictions. Tel homme, pour une raison quelconque, parce qu'il y
trouve un certain intérêt physique ou moral, supprime un de ses
semblables ; l'acte est mauvais en soi, et cet homme est déshonoré.
Supposons que ce même homme, en période de guerre et sans aucune
raison, simplement parce qu'il y est contraint et forcé, supprime
plusieurs de ses semblables ; il est l'objet de l'admiration publique
et recevra les honneurs et les félicitations de ses supérieurs.
Notre conception de l'honneur n'est pas si complexe. Pour nous,
chacun est libre de faire ce qui lui plaît, à condition de ne pas
entraver la liberté de son prochain. C'est la base de tout l'honneur
anarchiste. Il en découle nécessairement certaines obligations
sociales que nous devons avoir à coeur de respecter. Luttant contre
toutes les tares, tous les vices, toutes les erreurs inhérentes à
la Société bourgeoise, nous ne nous considérons pas comme
déshonorés par les assertions mensongères et les crimes que l’on
nous impute. Nous avons conscience d'être dans la vérité et
l'honneur pour nous est de poursuivre notre travail et notre lutte
jusqu'à la complète libération du monde. Les Anarchistes n'ont que
faire de cet honneur militaire qui est une source de larmes et de
crimes ; et, loin de se considérer comme déshonorés lorsqu'ils
refusent de participer à un massacre quelconque, ils pensent au
contraire accomplir une belle et noble action que tous les hommes
auraient intérêt à prendre en exemple. Ils ne se jugent pas
déshonorés lorsqu'ils refusent de se prêter aux comédies du
mariage légal, ils savent leurs droits et ils connaissent leurs
devoirs, et n'ont pas besoin de l'autorisation d'un officier d'état
civil pour accomplir un acte qui ne regarde que les intéressés ;
ils se moquent de l'honneur civique, tel que le conçoivent les
fidèles défenseurs des régimes d'autorité et leur honneur
consiste à travailler au bonheur de l’humanité qu'ils espèrent
un jour réaliser.
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