Christian Prigent: Cochonnerie d'écriture
"Prudence, petit homme: tu es coupable, forcement coupable. Pas violeur, certes. Harceleur ? Non plus. Mais à l'occasion séducteur sur fond d'autorité professorale ou de prestige littéraire. Suborneur, alors ? sans doute ( retenu, mais foncier). Aimant du sexe l'invouable, l'excessif, le complice avec l'abjection. Mesurant au jour le jour la différence entre l'expansion inextriguible du fantasme et la petite misère sexuelle courante. Emberlificoté par conséquent dans les fils de névrose noués par cette mesure. Pervers à proportion de cette névrose. Balançable, donc, pour peu que tu mettes un bout de nez ou de sexe dehors. Comme tous, sans doute. Disons à peu près tous, pour faire plausible. Comme tous ceux en tout cas qui habitent sans confort leur peau de mâle moyen ( moyen moins ). Comme tous ceux qui savent par expérience qu'ils n'ont pas de quoi être d'eux-mêmes bien biers. Mais qui savent aussi que c'est primo ce savoir honteux et continûment pensé, deuzio la volonté de ne rien céder sur leur désir ( sur la connaissance analysée et lucide de leur désir ), tertio l'effort pour lui donner des réponses méticuleusement civilisées ( symbolisées ) qui peut les faire effectivement humains."
"L'ordure
Tout invite à préférer ne pas se mêler de ces farces. Mais voici, dans le même courant, que notre temps, qui pourtant fait sans guère de pudeur commerce d'images érotiques et trafic de services sexuels, appelle à censurer des films, des tableaux, des écrits coupables de perversion ( Balthus), de machisme sadique ( le Marquis), d’obscénité ( Guyotat), de pornographie ( Bataille). Comme s'il fallait cesser d'essayer de comprendre ce qui , séculairement, tire sa sublimité d'une conversion de l'obscène en magnificence sauvée, et salvatrice: en une "grâce", disait Jean Genêt. A la place: une bien-pensance sourde à l'inhumain inclus dans l'humain, au malaise dans la civilisation, à la sauvagerie originelle: à tout ce qu'affrontent, d'abord, hors morale, les inventions symboliques du "parlêtre". A ce compte, on vide les bibliothèques. Horizon: insignifiance stylistique, pensée soumise, aliénation aux puritanismes policiers, aux hypocrisies angéliques. Et place à la violence réelle, aux folies, aux refoulements défoulés en actes sanglants parce que non sublimés en langue."
"L'impur
Insistons. Ecrire affronte des formes. Matériau: la langue. Projet: former des objets d'art. Des objets métissés, hétérogènes, non purs, hors morale, inassimilables à quelque déclaration que ce soit. Face à quoi lève l'intolérance envers l'ambivalence qui ne veut pas se discipliner impeccablement; finalement, intolérance contre ce qui est ouvert, ce qui n'est pas préalablement décidé par aucune instance, contre l'expérience elle-même. Immédiatement, sous le tabou mimétique, se trouve un interdit sexuel: pas de moiteur, l'art devient hygiénique" (Adorno)
La moiteur effrayante et voluptueuse de l'impur ( Baudelaire!) est notre vérité. Cette vérité est d'expérience. La sexualité la manifeste. L'impur en nous est donc notre malheur ( la cause de notre angoisse culpabilisée). il est aussi notre chance de n'être pas de part en part assigné aux énoncés purifiés qui sont, partout médiatisés, les vecteurs de la domination: normes morales, monosémie idéologique, pseudo " bon sens" qui fait lieu commun."
"Ce mythe ne dit pas un monde vraisemblable. Il dessine un point d'écart pédagogique au lieu commun dit "monde". C'est un dispositif rationnel d'empêchement de penser en rond ( de ne pas penser): "Nous ne prétendons rien changer aux mœurs des hommes, mais nous pensons bien leur démontrer la fragilité de leurs pensées, et sur quelles assises mouvantes ils ont fixé leurs tremblantes maisons".
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