Défaut
d'ordre, dérèglement dans le fonctionnement d'un corps constitué ;
manque d'organisation. Confusion, dérangement. Mettre tout en
désordre. Des cheveux en désordre. Le désordre du bureau. « Mes
papiers et mes livres sont restés dans un désordre épouvantable »
(J.-J. Rousseau). Le désordre des finances ; le désordre politique
; le désordre administratif ; le désordre parlementaire. Avec un
cynisme déconcertant, la bourgeoisie, inspirée sans doute de ce
même esprit qui fait que le coquin crie « au voleur » pour se
débarrasser des poursuivants qui le menacent, a fait du mot «
Anarchie » le synonyme de désordre et pourtant il ne peut exister
un organisme qui symbolise plus parfaitement le désordre que l’Etat
social bourgeois. On se demande comment les peuples peuvent être
assez aveugles pour ne pas apercevoir le dérèglement de la chose
publique, dérèglement qui s'accentue de jour en jour et se
terminera par la déchéance et la ruine, s'ils ne se décident pas à
mettre un frein à l'incohérence les dirigeants. C'est dans tous les
domaines de l'activité : politique, économique et sociale que se
manifeste le désordre inhérent à la Société capitaliste, et il
faut toute la naïveté, toute l'inconscience des masses populaires
pour considérer comme ordonnée une société qui évolue dans un
fouillis et une confusion perpétuels. Les anarchistes qui ne se
nourrissent pas d'illusion ont une conception plus nette des
réalités, et pensent que te mot désordre est plus conforme à la
vérité et s'applique admirablement pour qualifier ce que l'on
appelle « l'ordre bourgeois ». La démonstration de ce que nous
avançons nous paraît facile. Le Larousse nous enseigne que l'ordre
est « La disposition des choses d'une manière utile et harmonieuse,
le fonctionnement régulier ; la qualité de ceux qui aiment
l'arrangement, la méthode : la règle établie par la nature, etc.,
etc….» Acceptant cette définition de l'ordre il est alors bien
simple de démontrer que l'organisation bourgeoise s'oppose dans ses
moindres rouages à l'harmonie, à l'arrangement et à la méthode.
En effet, peut-on sincèrement qualifier d'ordonnée, une Société,
qui, si nous prenons la France en exemple, est obligée de se
dépenser presque uniquement à chercher des remèdes aux troubles
continuels qui agitent sa population? En France, sur une population
de 40 millions d'habitants, près de deux millions d'hommes :
soldats, policiers, magistrats, gendarmes, gardiens de prison,
douaniers, etc., etc., sont arrachés, d'un bout de l'année à
l'autre, à tout travail utile et productif, afin que « l'ordre »
soit maintenu au sein de la nation. Une telle conception de l'ordre
est inimaginable et il faut pour s'y soumettre avoir eu le cerveau
atrophié dès l'enfance par l'éducation bourgeoise. Si l'ordre
existait réellement, il ne serait pas nécessaire qu'une telle armée
soit mise à son service. La réalité c'est que face au désordre
qu'elle engendre, la bourgeoisie est obligée de prendre des mesures
si elle ne veut pas être engloutie dans le chaos. Chaque jour un
nouveau conflit divise les diverses classes de la population et la
cause initiale de ces conflits est : l’erreur dans laquelle évolue
la société basée sur le capitalisme. Un tel désordre règne en
maître dans tous les rouages de l'Etat social, que les hommes les
plus avertis, les politiciens les plus retors, les financiers les
plus roués se perdent dans la confusion et sont incapables de
remettre un peu d'ordre et de méthode dans les affaires publiques.
Au désordre national, vient s'ajouter le désordre international, et
nous en connaissons les conséquences tragiques. La guerre n'est que
la résultante de ce que les défenseurs des sociétés modernes
osent qualifier de « l'ordre ». Examinons donc brièvement ce que
cet ordre a coûté au monde. D'après les statistiques officielles,
depuis la déclaration de la guerre jusqu'au 11 novembre 1918, sur
une population de 39.600.000 habitants, la France a mobilisé
8.340.000 hommes. C'est-à-dire que pendant plus de quatre ans elle a
arraché à la terre, à l'usine, toute la population mâle valide
du pays. Le total de ses pertes a été de 1.350.000 tués pour
l'armée de terre ; 10.735 pour la marine et 30.000 morts dans la
population civile. Sur ces derniers chiffres, 669.000 hommes étaient
employés dans l'agriculture, 235.000 dans l'industrie et 159.000
dans le commerce. Ce n'est pas qu'en France que se manifestèrent les
ravages du désordre bourgeois. Durant cette période tragique, les
pertes des différentes nations se chiffrèrent comme suit :
1
mort sur 28 habitants en France
1
mort sur 35 habitants en Allemagne
1
mort sur 50 habitants en Autriche-Hongrie
1
mort sur 66 habitants en Grande Bretagne
1
mort sur 79 habitants en Italie
1
mort sur 107 habitants en Russie
N'est-ce
pas terrible, et comment peut-on prétendre qu'un tel état de choses
est normal, conforme aux nécessités des peuples et être assez
fermé à toute raison pour ne pas comprendre que la cause de tout ce
mal est l'autorité abusive des gouvernants qui, loin d'assurer
l'ordre, perpétuent un désordre qui détermine des cataclysmes? Si
l'on considère une nation comme une vaste entreprise commerciale ou
industrielle, on peut, sans crainte de se tromper, affirmer que cette
entreprise est gérée de façon incohérente et que ses
administrateurs seraient bien vite remerciés s'ils dirigeaient une
affaire privée. Les commanditaires forcés de l'Etat sont les
habitants, contraints de subvenir à tous les besoins de la nation,
et qui, en échange de leurs subsides, sont en droit de réclamer que
leurs intérêts soient défendus et leur quiétude assurée ; en un
mot ils sont en droit d'exiger « le fonctionnement régulier et
productif des affaires ». Est-ce que l'Etat répond à ce besoin de
la population? Nous ne le croyons pas. Au contraire, si l'on envisage
les bilans, on constate que le désordre des chefs d'Etat est
nuisible aux intérêts de la collectivité, et que cette dernière
souffre perpétuellement du chaos déterminé par la mauvaise gérance
de la chose publique. Nous avons donné plus haut les pertes humaines
occasionnées par la guerre qui est elle-même une conséquence du
désordre social, voyons maintenant quelles furent les pertes
matérielles qui vinrent s'ajouter à ce criminel sacrifice. Pour la
France seulement, on comptait 893.000 maisons détruites, 3 millions
d'hectares du territoire complètement dévastés, 2 millions
d'hectares de sol cultivé complètement ravagés, 120.000 kilomètres
de routes rendus impraticables, 1.100 kilomètres de ponts et de
barrages inutilisables, 119 millions de mètres cubes de mines à
dénoyer et près de 10.000 entreprises industrielles employant au
moins 16 ouvriers, complètement détruites. Si on se place au' point
de vue financier, l'étendue de la catastrophe consécutive au
désordre bourgeois n'est pas moindre, et personne n'ignore les
difficultés rencontrées par les gouvernements pour boucler
annuellement des budgets qui engloutissent la plus grosse partie de
l'épargne nationale. En conséquence, il semble que les anarchistes
sont dans la vérité lorsqu'ils déclarent que l'ordre ne peut être
établi dans une organisation sociale qui est à source d'un nombre
incalculable de conflits et que le désordre n'ira qu'en s'amplifiant
jusqu'au jour où les individus sauront se décider à combattre le
désordre en employant des mesures radicales. De toutes les écoles
sociologiques qui se sont attachées et qui s'attachent encore à
combattre la forme capitaliste des sociétés modernes, et qui
entendent assurer l'harmonie entre tous les hommes, seul,
l'Anarchisme n'a pas eu l'occasion de se livrer à des expériences
matérielles. Ce que nous savons cependant, c'est que toutes les
organisations politiques ou sociales qui ont tenté de mettre un
frein au désordre économique du monde ont échoué. La démocratie
s'est montrée incapable de résoudre le problème de l'ordre, et
plus récemment encore nous avons assisté à la tentative
communiste, qui, elle non plus, n'a pas été couronnée de succès.
La raison en est bien simple. Tous les révolutionnaires politiques
veulent « s'emparer de l'autorité et la fortifier pour la faire
servir à leurs projets de rénovation sociale » alors que
l'autorité est la cause initiale de tout désordre. C'est ce que les
Anarchistes ont compris et c'est pourquoi ils sont les adversaires
irréductibles de l'autorité. Les accuser d'être des agents de
désordre est une diffamation intéressée, propagée par une
minorité d'oisifs et de profiteurs, car si le désordre est nuisible
à la collectivité, il permet à certains de « pêcher » en eau
trouble et de vivre grassement au détriment de la grande masse des
travailleurs , Est-il même besoin d'insister sur les méfaits de
l'autorité? Est-ce que tout ce qui nous entoure n'est pas là pour
démontrer que ses effets sont déplorables et que, depuis des
siècles qu'elle dirige les destinées de l'humanité, elle n'est pas
arrivée à écarter les conflits entre lez humains? Les Anarchistes
sont des partisans de l'ordre, et l'ordre ne peut prendre naissance
que dans la liberté. La liberté et l'autorité sont des contraires,
et s'il est vrai que l'autorité n'a su engendrer que le désordre,
la liberté engendrera l'harmonie. Abolissons donc l'autorité et
nous aurons du même coup supprimé le désordre ct toutes les
misères qui en découlent.
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