mercredi 17 octobre 2018

Condorcet Marquis de Jean-Antoine-Nicolas de Caritat Idées sur le despotisme



« Celui du corps législatif a lieu lorsque la représentation du peuple cesse d’être réelle ou devient trop inégale ; on préviendra ce danger en veillant sur la composition des lois qui prescrivent la forme suivant laquelle on doit élire les représentants, et qui fixent les divisions du territoire auxquelles on attribue le droit d’en élire un ou plusieurs, et en assurant en même temps à la nation un moyen légal de changer ces formes et ces divisions, au bout d’un temps marqué, assez long pour ne pas rendre ces changements trop fréquents, mais assez court pour que le désordre ne puisse faire des progrès qui le rendent difficile à détruire ».
« Puisque l’on connaît les causes de ce despotisme, on en voit aisé-ment les remèdes. Si les juges sont élus à temps par les justiciables, si les tribunaux civils sont séparés des tribunaux criminels, si les juges sont strictement obligés de suivre la lettre de la loi, si des tribunaux d’un autre ordre, également élus, sont institués pour punir les prévarications des juges, si la fonction de défendre les causes devant les tribunaux est absolument libre, si les associations particulières que ceux qui se livrent à cette fonction voudraient former, au lieu d’être favorisées, sont déclarées contraires aux intérêts des citoyens (car il serait injuste de les défendre), alors le despotisme des tribunaux ne sera plus à craindre ».
« La férocité naît de l’ignorance, de la misère, de la dureté des lois criminelles, de l’insolence des classes privilégiées ; et dès lors, on voit comment la détruire ».
« Il ne faut pas confondre le despotisme avec la tyrannie. On doit en-tendre par ce mot toute violation du droit des hommes, faite par la loi au nom de la puissance publique. Elle peut exister même indépendamment du despotisme. Le despotisme est l’usage ou l’abus d’un pouvoir illégitime, d’un pouvoir qui n’émane point de la nation ou des représentants de la nation ; la tyrannie est la violation d’un droit naturel exercé par un pouvoir légitime ou illégitime ».
« Le seul moyen de prévenir la tyrannie, c’est-à-dire, la violation des droits des hommes, est de réunir tous ces droits dans une déclaration, de les y exposer avec clarté dans un grand détail, de publier cette déclaration avec solennité, en y établissant que la puissance législative ne pourra, sous quelque forme qu’elle soit instituée, rien ordonner de contraire à aucun de ces articles ».
« Sans une telle précaution, quelque forme que l’on donne à la constitution, les citoyens ne seront point à l’abri de la tyrannie ; elle sera établie par un pouvoir légitime, mais elle n’en sera pas moins une tyrannie, comme un jugement injuste n’en est pas moins injuste, quoique rendu suivant les formes légales ».
« Ainsi, par exemple, toute nomination de juges ou jurés autrement que par l’élection des justiciables, toute institution d’un tribunal perpétuel se recrutant lui-même, ou nommé par un corps de citoyens ou par un magistrat suprême, etc., doivent être proscrites par une déclaration de droits ».


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