«
Personnes dépourvues de certains biens que les autres possèdent ».
C'est la définition qu'on peut dire « classique ». Les autres? Qui
sont-ils ces autres? Dans une société où le bien-être est le
produit de la rapine et du vol, « les autres » ne peuvent être que
la minorité possédante, vivant sur le travail d’autrui et
accaparant la plus grosse partie de la richesse sociale. Les
déshérités sont donc ceux qui ne possèdent rien, ne posséderont
jamais rien et, durant toute leur existence, mèneront une vie
d'esclaves.
Ils
n'ont rien ; et comment auraient-ils quelque chose, les déshérités,
puisqu'ils viennent au monde dans la misère, et que leur unique
héritage est la pauvreté? Personne ne peut leur léguer un peu de
bonheur et de bien-être, qui sont le privilège des riches et qui se
transmettent avec la fortune, de père en fils. Acquérir ce
bien-être est chose impossible aux déshérités, car la fortune et
la richesse ne sont pas les fruits du travail et de l'économie, mais
de la roublardise et de l'exploitation.
Le
déshérité, c'est le prolétaire qui du matin au soir est obligé
de se soumettre à la pénible loi du travail capitaliste et n'a
aucune espérance de voir son sort s'améliorer dans les cadres de la
société bourgeoise. Et, après une vie de labeur, lorsque, vieux et
fatigué, il est incapable de fournir sa part de travail au
capitalisme, son unique ressource est le bureau de bienfaisance ou
l'hospice, ce qui est la même chose : la misère.
Et
encore, parmi cette grande majorité d'exploités, de déshérités,
sacrifiés à la soif de jouissance d'une minorité oisive, il y a à
faire des classifications. Il est des individus plus malheureux les
uns que les autres et qui traînent péniblement une vie de paria. Le
travailleur a encore cette satisfaction de retrouver le soir autour
de la table familiale, la femme et les bambins qui lui font oublier
un instant les soucis de la lutte quotidienne et lui donnent le
courage nécessaire pour reprendre le lendemain le collier de misère
; il jouit parfois des mille petits riens qui rendent supportable la
vie de l'exploité ; il participe à l'action qui doit lui apporter
sa libération sociale ; la vie est rude mais il se nourrit de cette
espérance, qu'un jour son sort, qui est intimement lié à celui de
ses semblables, s'améliorera. Hélas! Il est des individus,
descendus au dernier degré de l'échelle sociale, qui n'ont ni
travail, ni famille, ni foyer, ni amis et qui traînent leur misère
derrière eux, ayant à jamais perdu l'espoir d'un changement dans
leur vie. Ce sont des morts-vivants habitant des taudis ou couchant
sous les ponts et qui n'ont même plus la force de se révolter
contre une société qui les soumet à un tel état de chose. Ils
vivent de la charité publique, si toutefois on peut appeler vivre,
cette végétation toute physique ; ils n'ont aucun but ; ils vivent
par instinct de conservation, sans savoir pourquoi, ni comment. Ce
sont des exceptions, diront les défenseurs du régime bourgeois.
Hélas non! Ce ne sont pas des exceptions et si, dans les pays
occidentaux, la misère brutale et atroce est cachée par la
bourgeoisie, il existe des contrées entières ou les déshérités
meurent littéralement de faim, sous l'oeil indifférent du
capitalisme. M. René Maran qui milite activement en faveur de ses
frères noirs, nous initie à la misère de ces déshérités, soumis
à un régime abject en Afrique Equatoriale française. Au sujet de
la construction de la voie ferrée Congo-Océan, voici ce qu'il
écrivait :« Pendant tout 1925, on a assisté au drame suivant : du
Tchad, de l'Oubangui, du Bas-Oubangui et du Moyen Congo, des Saras,
des Yakomas, des Bandas, des Bakongos, tous gens solides, avaient
été, par voie fluviale, acheminés sur Brazzaville, et de
Brazzaville sur les chantiers où l’on travaillait à la voie
ferrée.
«
Il est hors de doute que l'on aurait dû descendre en même temps, et
par le même vapeur, les travailleurs et leurs vivres. Il n'en a rien
été. Saras, Bandas, Bakongos et Yakomas, étaient d'abord expédiés
sur Brazzaville. Suivaient leurs vivres à deux ou trois semaines
d'intervalle. « Aussi, par manière de protestation, ces malheureux
crevaient-ils affamés. Entre février et septembre 1925, la
mortalité par dénutrition a été effroyable ... Sur certains
chantiers, à différentes reprises, les manoeuvres noirs sont restés
quatre jours sans manger, sur d'autres leur ration était infime. On
ne distribuait par exemple, aux Saras, gros mangeurs de mil, que de
ridicules portions de manioc. « Cette pénurie de vivres, ce
rationnement inintelligent, cette criminelle imprévoyance de la
haute administration, ont produit tous les résultats qu'ils devaient
produire. Les contingents envoyés fondaient à vue d'oeil. L'un de
ceux-ci qui s'élevait à trois cent cinquante individus à son
arrivée à Brazzaville, n'en comprenait plus, au bout de trois mois,
que soixante-neuf. TOUS les autres étaient morts » (René MARAN).
Le fait signalé par René Maran est assez fréquent et se reproduira
encore, car il n'est qu'un effet du régime qui considère comme
normal que des hommes crèvent de faim, cependant que des milliers de
tonnes de vivres sont inutilisés ; il n'y a donc pas à s'en étonner
outre mesure. C'est l'indignation qui devrait s'emparer de l'individu
animé d'un peu de sentiment à la lecture d'une telle barbarie. Ce
qu'il y a de terrible, c'est que les populations ouvrières se
rendent complices bien souvent des actes de la bourgeoisie et de ses
représentants. Qui donc ignore les souffrances du peuple irlandais,
assujetti à l'impérialisme britannique et qui, depuis le XIIème
siècle, lutte pour son indépendance? C'est toute la population de
l'Irlande qui est déshéritée et qui se bat pour conquérir sa
liberté ; il en de même des nombreuses populations des Indes qui
sont honteusement exploitées par la perfide Albion. Or, le peuple
anglais, qui bénéficie dans une certaine mesure de cette indigne
exploitation, n'élève pas la voix en faveur de son frère indigène.
En
Amérique c'est toute la population noire des Etats-Unis qui est
victime des préjugés de race et de couleur, qui est martyrisée et
soumise à des vexations quotidiennes de la part de la population
blanche, et le travailleur américain ne dit rien, et se prête à
ces manoeuvres déshonorantes pour un homme qui se prétend libre. En
Bulgarie, en Roumanie, ce sont les juifs qui souffrent des pogroms
organisés par le gouvernement pour éloigner le peuple de la lutte
de classes qui est la véritable lutte pour l'émancipation des
hommes. Et il en est ainsi partout. Le onde regorge de déshérités,
alors que l'humanité pourrait être heureuse, si les hommes
voulaient comprendre enfin la cause de leur souffrance. Nous avons
dit par ailleurs que la philanthropie ne pouvait rien contre la
misère humaine ; mais qu'elle entretenait plutôt un état de chose
qui n'est que 1a conséquence d'une mauvaise organisation sociale. Il
n'y a que l'union de tous les déshérités qui peut changer la face
des choses. La misère ne disparaîtra qu'avec la richesse, mais ceux
qui détiennent la richesse entendent la défendre avec la dernière
énergie. C'est pourquoi la révolution est l'unique moyen dont
disposent les déshérités, pour détruire une organisation sociale
élaborée sur des erreurs séculaires, et la remplacer par une
société ou la solidarité sera le lien de fraternité universelle.
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