Le dilemme du contremaître.
La position du contremaître est très délicate. Il est pris entre deux feux. Il est forcé de pousser l'ouvrier à produire, étant donné que sa propre situation dépend de la production. La pression qu'il subit de la part de ses supérieurs est considérable. Une importante bévue suffit à le faire casser. Ceux qui sont au-dessus de lui évitent délibérément et autant qu'ils le peuvent, tout contact quotidien avec lesvouvriers. Ils se déchargent de cette tâche sur le dos des contremaîtres et du premier échelon de la supervision. Le contremaître est rendu responsable de tous les accrochages qu'il peut avoir avec les ouvriers. Parallèlement à cela, il y a l'immense accumulation de paperasserie et le refilage systématique des responsabilités à l'échelon inférieur, si bien que si quelque chose n'a pas été fait, c'est toujours sur le dos de l'ouvrier que cela retombe. L'opinion des ouvriers, c'est que avant que quelque chose se fasse ici on a le temps de mourir cent fois . Tout cela se répercute sur le contremaitre, qui devient un homme perpétuellement tendu et fatigué. Il est hyper-sensible; c'est une épave mentale qui cherche continuellement à reporter l'instabilité de sa situation sur le dos des ouvriers. J'ai des renseignements de première main concernant un contremàître qui avait été forcé de prendre plusieurs semaines de repos parce qu'il était au bord de la dépression nerveuse. De nombreux contremaîtres se protègent de la pression à laquelle ils sont soumis en se cuirrassant d'indifférence. Ils se jurent bien de ne jamais donner le meilleur d'eux-mêmes, quoi qu'il arrive. Aussi, quand les difficultés surviennent, on voit le contremaître hausser les épaules, déclarer qu'il n'y a rien à faire, et partir en laissant à ceux qui sont dans la mélasse le soin de trouver comment s'en sortir. De telles situations donnent lieu parfois à ce que l'on appelle fe truc de la « pomme de terre chaude » et qui consiste à la passer au plus vite à son voisin pour ne pas se brûler. Ainsi, du sommet de la direction jusqu'en bas on se refile les responsabilités. Ces pratiques finissent par engendrer une situation si confuse que les divers échelons de la direction eux-mêmes se montent les uns contre les autres et se contredisent, Personne ne veut prendre la responsabilité de trancher la question. A différentes reprises, j'ai passé plusieurs mois comme contremaitre de quelques ouvriers. J'y ai appris, ce que mon expérience d'ouvrier dans la production m'avait déjà montré, que la supervision sert quand même à quelque chose : les contremaîtres finissent par s'exaspérer de voir que les ouvriers freinent délibérément au travail. Les hommes ne produisent pas autant qu'ils le pourraient. Aussi les contremaîtres répètent-ils : « Les hommes ne veulent pas travailler, ils sont paresseux. " Cette appréciation influe sur la conduite des contremaîtres et les pousse à pousser les ouvriers au travail. A un autre point de vue, cependant, les contremaîtres sont très prés des ouvriers. Les hommes se rendent compte que les contremaîtres ne sont pas dans une situation enviable et qu'ils sont soumis, aussi bien que les ouvriers, à une discipline et risquent d'être renvoyés. J'ai appris, d'un ouvrier de Détroit, que durant la grève de la maitrise, les ouvriers éprouvaient un mélange de sentiment de culpabilité en allant travailler et en ne soutenant pas les contremaîtres, et de satisfaction, à cause de l'occasion qui leur a été offerte de montrer qu'ils pouvaient fort bien se passer d'eux.
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